VIDEO DANS LA PEAU DES TANNEUSES
Visite de la tannerie traditionnelle de Guédiawaye

Héritières d’un savoir-faire ancestral, les femmes maures de Wakhinane Nimzatt pratiquent toujours la tannerie. En plus des problèmes sanitaires, les tanneuses font face à des difficultés de commercialisation de leurs produits. Mais, l’appui récent de l’Etat donne des lueurs d’espoir aux professionnels de la filière.
Vêtue d’un tee-shirt marron assorti d’un pagne beige maculé, les mains nues, une femme écharne des peaux de bêtes avec un long couteau. A quelques mètres de là, équipées de simples gants, d’autres poncent les peaux dans de grandes bassines remplies de produits toxiques.
Un peu plus loin, de jeunes filles empilent des bouts de peaux, destinés à produire du cuir tanné. Une odeur âcre et entêtante dégage des monticules d’immondices et des flaques d’eau souillée.
L’atmosphère est irrespirable. Au milieu de cette cohue, une centaine de femmes s’activent telles des abeilles d’une ruche. On est à la tannerie de Wakhinane Nimzatt en plein cœur de la banlieue dakaroise. Cette activité est pratiquée par la communauté maure.
Dans cette ethnie, l’antique savoir-faire du tannage est avant tout une affaire de famille qui se transmet de génération en génération. «Comme la plupart des gens qui travaillent ici, j’ai appris le métier à bas âge sous l’ombre de mes parents. Aujourd’hui deux de mes enfants m’aident dans le travail», explique Fatou Aïdara présidente de l’association des tanneuses de Guédiawaye.
Les travailleuses utilisent des méthodes traditionnelles pour tanner et traiter des peaux sélectionnées avec le plus grand soin. Avant d’être transformée en cuir, la peau passe par plusieurs étapes. D’abord les peaux achetées sont enduites de sel qui stoppe le processus de putréfaction.
Ensuite, elles sont plongées dans des cuves remplies d’une décoction de nép-nép (acacia andosonii) pendant une semaine. Après ce traitement les peaux sont écharnées, épilées et doivent à nouveau séjourner dans une solution de chaux et d’acide sulfurique.
Au bout du processus, les peaux sont séchées sous le soleil et étirées à l’aide de petits piquets. Les produits finis sont empilés en attendant leur commercialisation. Le travail est long et fastidieux.
La pénibilité de ce travail ajoutée aux mauvaises odeurs et à la manipulation de produits toxiques expose les femmes tanneuses à d’énormes problèmes sanitaires. « Je ressens des douleurs musculaires et des problèmes de dos.
Dans la tannerie plusieurs femmes connaissent des crises d’urticaire», se plaint, Ndèye Aïdara, une tanneuse d’une cinquantaine d’années.
Pollution
Le tannage traditionnel entraîne aussi de sérieux problèmes environnementaux. Chaque jour, ce sont des volumes importants d'eau polluée qui sont vomis dans l’étang qui se trouve à proximité de la tannerie, sans aucun retraitement. Un cours d’eau qui fait la joie des populations riveraines.
Certains enfants se baignent pourtant dans ces eaux putrides. Devant la pollution due à la tannerie, les populations ne savent plus où donner de la tête.
« Les enfants du quartier souffrent souvent de maux de tête, d’irritations de la peau et des problèmes respiratoires. Il est impossible de vivre en bonne santé dans cette atmosphère polluée», peste Ibrahima Faye qui sollicite l’intervention des autorités pour la délocalisation de la tannerie dans un endroit éloigné des habitations.
Difficultés
L’activité de tannage traditionnel constitue le principal moyen de transformation des peaux de bêtes sur le territoire national. Les rares tanneries industrielles exportent l’essentiel des peaux brutes et les Wet Blue.
Du coup les tanneuses traditionnelles se contentent de la portion congrue. Pour trouver de la matière première, les tanneuses se ravitaillent principalement lors de la fête de Tabaski où des milliers de petits ruminants sont sacrifiés.
En dehors de la Tabaski, les tanneuses s’approvisionnent presque exclusivement au niveau de l’abattoir de Dakar. « Ce sont les équarrisseurs de la Sogas qui nous vendent des peaux d’ovins, de bovins et de caprins.
Mais comme nous n’avons pas de moyens, ils nous donnent les peaux trouées et de mauvaise qualité. Les peaux de premier choix, plus cher, sont vendues aux exportateurs », soutient Fatou Aïdara.
Les tanneuses achètent entre 300 et 600 F CFA la pièce. Une fois, les peaux tannées et transformées en cuir, elles sont revendues entre 1000 et 3000 FCFA, en fonction de leur qualité. Malgré le dur labeur pour travailler les peaux, la marge bénéficiaire est trop tenue.
Pis encore, les tanneuses peinent à trouver acquéreurs de leurs produits. « A cause de la concurrence féroce des Chinois qui importent des produits en plastique ou en matières synthétiques moins chers que ceux en cuir, nous avons un problème de débouché», se désole Fatou Aïdara. Les cordonniers qui constituent l’essentiel de la clientèle des tanneuses se rabattent sur les matériaux moins onéreux pour confectionner chaussures, sacs et autres accessoires de vêtements jadis faits en cuir.
Dans l’exercice de leur activité, les tanneuses sont confrontées à d’autres problèmes comme le manque d’eau. « Il n’y a pas d’eau courante dans la tannerie. Nous sommes obligées d’aller puiser de l’eau au niveau de l’étang du quartier», déplore, Ndèye Aïdara.
Face à ces difficultés, les autorités publiques ont pris l’option de soutenir la filière. Actuellement, le ministère de l’Elevage et des Productions animales (MEPA) entreprend des travaux de construction de latrines et un mur de clôture pour sécuriser les lieux.
Après ce travail, l’autorité prévoit de débarrasser la tannerie de ces tas de détritus pour assainir ce lieu de travail. Aussi le ministère soutient les tanneuses à une meilleure organisation par la création du Réseau national des Tanneuses (RENAT).
« Grâce à l’assistance du ministère de l’Elevage, toutes les femmes de notre tannerie ont été formées à de nouvelles techniques de tannage végétal amélioré. De même, le ministère nous fait construire une cinquantaine de bassins améliorés pour tanner », témoigne Fatou Aïdara.
Afin de redynamiser la filière cuirs et peaux, le ministre, Aminata Mbengue Ndiaye s’est attelé au renforcement de la législation et de la réglementation avec notamment la mise en circuit du projet de décret sur les cuirs et peaux pour validation et adoption.
Ces actions institutionnelles constituent une bouffée d’oxygène pour cette filière empêtrée dans de terribles difficultés.
Les exportations de cuirs et peaux en sont à leur niveau le plus bas depuis 2010. Elles se rétrécissent telle une peau de chagrin. En 2015, elles ont atteint un volume de 4772 tonnes réparties selon 58% en peaux d’ovins, 22 % en peaux de bovins et 20% en peaux de caprins. Une baisse de plus de 1237 tonnes par rapport à l’année 2014 avec des disparités par espèces.
Ainsi, les peaux d’ovins ont subi la baisse la plus importante avec 1159 tonnes. Ces statistiques dénotent une diminution du volume des exportations de cuirs et peaux pour la seconde année consécutive (2014- 2015). Ce qui traduit des difficultés auxquelles fait face la filière. Les contraintes de la filière découlent principalement d’un manque de compétitivité lié d’une part à l’inadéquation du cadre institutionnel et juridique des activités de la filière. Et d’autre part à la faible qualité des produits. Autant de contraintes qui limitent les capacités de la filière à se conformer aux exigences réglementaires internationales.
La faible qualité des cuirs et peaux est due à l’incidence sur les peaux du marquage traditionnel et de certaines maladies du bétail. En plus, Il y a, les conditions et techniques d’abattage et d’habillage. La faible qualité est aussi due au sous-équipement des professionnels et des unités de collecte, de conservation et de transformation. Par ailleurs certains flux informels ne font pas l’objet d’une traçabilité précise. Il s’agit notamment du marché d’exportation de peaux dans la sous-région pour la consommation humaine et de l’approvisionnement de certains exportateurs sénégalais en peaux provenant du Mali.
En 2015, la majorité des peaux exportées est type Wet Blue (51%) confirmant ainsi la tendance observée en 2014. Ceci reflète les effets du Projet d’Amélioration des cuirs et peaux, qui oriente les acteurs vers une transformation locale des peaux avant exportation, dans la dynamique d’ajouter plus de valeur aux produits.
Les principales destinations des exportations de cuirs et peaux de l’année ont été l’Italie (31%), le Pakistan (28%) et l’Inde (24%). Toutefois, il est à noter que les peaux brutes et Wet Blue n’ont pas les mêmes destinations. Ainsi, 79% des peaux brutes ont été destinés au Pakistan et à l’Inde, pays moins exigeants en qualité que ceux de l’Europe et 57% du Wet Blue à l’Italie.
Source : Rapport d’activités 2015 du MEPA