«LE TRAIN VA ROULER D’ICI A DECEMBRE SUR LE TRONÇON DAKAR-TAMBA»
Mayacine Camara, Secrétaire d'état auprès du ministre des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement, chargé du Réseau ferroviaire, décline le plan d’urgence de la stratégie de revitalisation du rail

Le Secrétaire d'état auprès du ministre des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement, chargé du Réseau ferroviaire, décline sa feuille de route pour la relance définitive des chemins de fer. Dans cet entretien accordé à «L’As», Mayacine Camara, par ailleurs maire de Koungheul, décline le plan d’urgence de la stratégie de revitalisation du rail au Sénégal, annonce le démarrage du Train Express Régional (TER) et se prononce sur les manifestations et le report des élections locales.
Aujourd’hui, tous les trains sont à l’arrêt. Quand est-ce qu’on pourra espérer la reprise ?
Cette situation n’est jamais arrivée au Sénégal. C’est très difficile. Depuis notre arrivée au poste de Secrétaire d’Etat au réseau ferroviaire, nous subissons beaucoup de contrecoups de la privatisation de 2003 qui a été rompue d’ailleurs en 2015. La première consigne que nous avons reçue du chef de l’Etat était d’organiser le secteur qui était un peu sens dessus-dessous. C’est-à-dire de faire du secteur ferroviaire un véritable levier pour la croissance et l’emploi. Du moment où les acteurs avaient constaté que le chemin de fer souffrait de l’absence d’un document stratégique, cette consigne était facile à exécuter. Ce document stratégique devait clarifier les rôles de tous les acteurs. Parce que chacun faisait un jeu qu’on ne comprenait pas et parfois, il y avait une interférence dans les missions. Donc, ce n’était pas du tout clair. Il n’y avait pas de stratégie. Les relations aussi entre organisations n’étaient pas organisées. Tout cela donnait un peu d’efficacité. Et le document qu’il fallait faire devrait répondre à toutes ces questions et évidemment préparer des réformes qui devraient déclencher une relance définitive des chemins de fer. C’était cela la mission de départ. Il ne fallait pas faire une stratégie parallèle qui n’était pas conforme aux orientations de 2035. Cela était aussi une option. On a pu décliner une vision claire qui était assortie d’objectifs précis et chiffrés pour une relance effective. Donc, le processus qu’on a mené pour arriver à cette stratégie était très inclusif. En tant que planificateur, nous avons pu faire des démarches auprès des acteurs que sont les anciens cheminots, les syndicats, les travailleurs, les directeurs généraux et les anciens responsables. Nous avons discuté et exploité des documents qui ont fait que nous sommes arrivés à exprimer en détail les recommandations du chef de l’Etat dans ce qu’on appelle la stratégie de revitalisation du rail au Sénégal. Dans sa phase opérationnelle, le démarrage est retardé par la Covid-19, mais je pense qu’on pourra dans un bref délai envisager le démarrage effectif. Nous travaillons d'arrache-pied pour que le trafic ferroviaire hors Train express régional(TER) démarre définitivement, parce qu’il ne faut plus qu’il s’arrête. En tout cas, l’objectif, c’est de relancer le train d’ici à décembre pour aller au moins jusqu’à Tambacounda.
Redémarrer le trafic ferroviaire d’ici décembre, cela veut-il dire que tout est fin prêt ?
Le tronçon Dakar-Tambacounda est au cœur de la stratégie. C’est la dorsale sur laquelle il faut travailler à fond. Toute la politique ferroviaire est adossée à cette dorsale. Parce que ce sont les autres branches ferroviaires qui vont venir déverser sur cette dorsale Dakar-Tambacounda. Donc, s’il faut mettre en œuvre une politique, il faut commencer par cette dorsale. Nous allons totalement réhabiliter cette dorsale. Il s’agit de mettre des trains assez confortables, des wagons de marchandises, des locomotives capables de tirer beaucoup de marchandises. Et des camions poids lourds vont prendre le relais à partir de Tambacounda pour transporter par exemple les marchandises au Mali. Et pour cela, il faut des rails solides et des charges à l’essieu assez élevées. Cela risque d’être une réhabilitation complète qui peut prendre 4 ou 5 ans. Maintenant la question qu’il faut se poser est de savoir si on peut attendre 04 ans pour voir le train démarrer. Je pense que c’est non. C’est la raison pour laquelle nous avons pris l’option d’aller en urgence d’abord sur le tronçon Dakar-Tambacounda. Pour ne pas rester les bras croisés avec les travailleurs, nous allons reprendre au moins le trafic à minima entre Dakar et Tambacounda, le temps d’envisager avec nos partenaires la grande réhabilitation définitive. D’autant que si nous relançons le trajet Dakar-Tambacounda, au moment de la réhabilitation, cela ne va pas rompre le trafic. Si nous avons fixé la date du redémarrage en décembre, c’est pour que l’on puisse avoir au moins des trains de marchandises qui pourraient rouler à 30, 40 km à l’heure et arriver à Tambacounda où nous pouvons déposer les containers qui sortiront du port. L’avantage, c’est qu’à partir de décembre, le Port autonome de Dakar (PAD) pourra être décongestionné. Aussi, les camions qui détruisent les routes seront limités à Tambacounda qui sera une zone de stockage. Ainsi les camions maliens vont prendre le relais. Et cela, le temps de préparer une réhabilitation totale des rails.
Quels sont vos partenaires dans ce projet ?
Nous sommes en train de discuter avec la Banque Mondiale sur le plan de la réhabilitation. Aussi, nous avons reçu récemment des Canadiens qui sont intéressés par la partie Sénégal en attendant de voir la possibilité, si tout est clair, de discuter avec la partie malienne. Nous considérons que la Banque mondiale est toujours dans les dispositions pour nous accompagner dans ce projet. Pour la grande réhabilitation, nous sommes encore en négociations. Des partenaires sont tous en train de faire des études sur la rentabilité et les mécanismes qui pourraient rentabiliser le trafic et les investissements pour envisager certainement un partenariat public-privé ou autre. En tout cas, les études vont définir clairement la stratégie avec laquelle nous allons entretenir les travaux et envisager une exploitation qui soit rentable pour les deux pays.
Les travailleurs qui sont un peu dégoûtés de cette situation sont devenus muets. Continuent-ils de percevoir leurs salaires ?
Ils reçoivent leurs salaires. Je pense aussi qu’ils sont calmes parce qu’ils ont vu que le Chef de l’Etat a fait beaucoup d’efforts. On a annoncé le redémarrage du train jusqu’à Tambacounda et déjà 10 milliards ont été voté dans la loi de finances. Et je leur dis souvent de nous concentrer sur le démarrage avant maintenant de voir les aspects qui seront liés à leurs conditions de travail. Ils ont compris qu’on est dans une démarche participative.
Vous parlez souvent de la stratégie des trois axes stratégiques avec des projets pour le maillage du pays. Où en êtes-vous avec ce projet ?
Nous avons défini la stratégie. Dans sa première phase, c’est d’abord le plan d’urgence que nous sommes en train d’exécuter. En 2020, nous avons finalisé la stratégie et réglé les conditions, à savoir le cadre institutionnel, en créant la société nationale des chemins de fer (SNCF), en mettant sur orbite aussi les grands trains du Sénégal(GTS), et la partie TER. Nous travaillons aujourd’hui à la préparation de la connexion entre le dispositif du TER et celui du chemin de fer. Des commissions sont mises en place pour réaliser ces programmes, à savoir la liaison sur le trafic voyageur Dakar-Diamniadio. Ainsi à partir de Diamniadio, voir comment faire pour faire rallier les passagers au reste du Sénégal par train. Mais, il faut travailler sur des rails sécurisés, des trains assez confortables, pas comme ceux du TER évidemment. En tout cas pour qu’on ne soit pas choqué si on descend du TER pour prendre le train du Sénégal. Et tout cela demande aujourd’hui des études préalables. Mais en attendant que le TER démarre dans le semestre qui va suivre et qu’on mette aussi sur orbite les grands trains du Sénégal. Nous sommes en train de préparer tout cela pour, avant la fin de l’année, qu’on puisse avoir un TER qui remplit son rôle jusqu’à Diamniadio. Et dans la mesure du possible, que les Grands Trains du Sénégal puissent prendre le relais pour aller à Thiès. La stratégie consiste à connecter surtout les loumas de Kédougou, les mines de fer de Kédougou mais aussi le marbre qui est dans cette région et qui souffre de l’absence d’usines de transformation. C’est parce qu’il n’y a pas un mécanisme de transport compétitif qui puisse faciliter et motiver les investisseurs à aller à l’Est du pays. C’est la raison pour laquelle dans les priorités, il a été retenu la ligne de chemin de fer Kédougou-Tambacounda. Il y a aussi les mines de phosphates de Matam. Il urge de rejoindre Tambacounda à partir de Ranérou et d'exploiter les mines de phosphates et les déposer au moins dans un lieu de stockage sur la dorsale Dakar-Tambacounda.
Bref, la politique ferroviaire, c’est un phasage. Il s’agit d’abord de mettre en œuvre le plan d’urgence, ensuite la grande réhabilitation et enfin, construire un réseau ferroviaire avec le branchement de Kédougou et de Tambacounda. Nous avons aussi envisagé que Ziguinchor soit reliée à Tambacounda en passant par Sédhiou et Kolda.
Pourquoi misez-vous sur les chemins de fer pour résorber le gap du chômage ?
Le chemin de fer et l’emploi sont liés. Si on parle d’emplois directs, vous pouvez constater que dans l’histoire, c’était le principal pourvoyeur. La régie Dakar-Bamako ferroviaire était au-delà des 1 200 emplois sur l’ensemble des pays. Et tout le monde sait que les emplois indirects dans les chemins de fer sont extrêmement importants. Nous allons le constater lorsque le TER va démarrer au niveau des gares, des zones de stockage et toutes les activités connexes liées au transport ferroviaire qui sont des niches énormes. C’est le secteur le plus pourvoyeur d’emplois au Sénégal. Je pense que le train offrirait beaucoup d’opportunités aux jeunes de Dakar, de Thiès, de Tambacounda et Saint-Louis. Au-delà de cela, le chemin de fer va motiver la création d’entreprises dans toutes les localités qu’il traverse. En termes d’emplois directs, je pense que ce sont des opportunités inestimables que le projet va créer avec la mise en œuvre du plan d’urgence, a fortiori quand on va réhabiliter les rails.
A quand l’exploitation commerciale du Train Express Régional (TER) ?
La polémique autour de la date de démarrage du TER est très positive. C’est une sorte de motivation pour le gouvernement et les entreprises qui y travaillent. Malgré le retard, le Sénégal a fait beaucoup d’efforts par rapport à beaucoup de pays développés. Malheureusement, à chaque fois, il y a des couacs qui interviennent ou des chocs externes.
La Covid-19 est un choc externe inattendu qui nous a bouleversés. Mais ce n’est pas parce qu’on a vécu un an de Covid-19 que les délais doivent juste être reportés pour un an. Les répercussions ne sont pas les mêmes. Les résonances de délais ne sont pas les mêmes. Et en un certain moment, on ne peut pas maîtriser ces retards infinis. D'ici à la fin du semestre, nous pourrons épuiser tous ces aspects et mesures de sécurité et passer dans le prochain semestre aux tests. Si nous arrivons à le mettre sous tension et le tester, valablement d’ici la fin de l’année 2021, nous pourrons arriver à faire circuler le TER. En tout cas pour nous, le plus vite est le mieux. Parce que ce sont des gains au niveau social, de l’environnement. Ce sont des gains partout. Le TER pourra réellement changer le visage de Dakar et du Sénégal. Cela va motiver les gens et tout le monde va définitivement croire que l’émergence est possible.
Qu’en est-il des tarifs jugés déjà chers ?
Pour le moment, les tarifs ne sont pas fixés. Si nous fixons un tarif, nous allons l’accompagner d’une mesure budgétaire. Il faut aussi alléger le budget. Plus on allège le budget, plus la population supporte le coût. C’est cela un peu la difficulté. On a encore du temps pour réfléchir et aménager un tarif qui soit adéquat. Parce que s’il est élevé, les gens ne vont pas prendre le TER. Et ne pas prendre le TER, c’est encore une catastrophe. Les gens vont s’organiser de manière stratégique si les tarifs sont compétitifs et garer leurs véhicules. C’est cela l’avantage. Très prochainement, on pourra communiquer les tarifs qui tourneraient autour de 1000, 1500, 500 francs etc. selon la distance.
Où en êtes-vous avec la recherche de financement pour la seconde phase ?
Nous sommes en discussion avec les partenaires. Il y a eu déjà beaucoup de signatures de convention avec l’AFD. Evidemment aussi le budget de l’Etat va être mis en contribution pour qu’on mobilise à peu près 200 milliards. Cette phase est moins compliquée que la première. Parce qu’il y a moins d’impenses à payer. Cela va être plus rapide. Aujourd’hui, c’est Dakar-Diamniadio et demain, c’est Diamniadio-AIBD. Et après, il faut aller à Mbour et à Thiès avec le TER et éventuellement continuer jusqu’à Saint-Louis.
Qu’est devenu le petit train bleu qui ne roule plus à Dakar ?
L’exploitation de l’ex-Petit Train Bleu qui est devenu les Grands Trains du Sénégal (GTS) est dans le schéma institutionnel considéré comme l’opérateur public de transport voyageur. Dans ses missions, il pourrait peut-être éventuellement, quand il aura rempli le rôle transport voyageur convenablement et de manière sécurisée, collaborer avec la Société Nationale des Chemins de Fer (SNCF) pour commencer à faire le transport de fret pour améliorer ces recettes et devenir de plus en plus compétitif. Pour l’instant, il est limité entre Thiès et Tivaouane. Dans deux ans, on pourra également réparer les rails pour aller à Kébémer et éventuellement à Louga. Et progressivement, à l’avenir, reconstruire les rails jusqu’à Saint-Louis pour le bonheur des populations.
Comment avez-vous vécu les récentes manifestations ?
Ces évènements m’ont surpris à tout point de vue. D’abord, c’est un visage du Sénégal que l’on n’attendait pas. Deuxièmement, nous avons pu constater à travers le Sénégal qu’il y a eu beaucoup de réalisations. Aujourd’hui, quoi qu’on dise, le Sénégal est considéré comme l’un des pays qui fasse le plus d’efforts en Afrique de l’Ouest. Je pense que de ce point de vue, on peut considérer que ce sont des choses inattendues.
C’est la énième prorogation de vos mandats d’élus locaux. Est-ce que vous n’avez pas perdu votre légitimité ?
Je pense qu’en tant que maire, ce n’est pas une chose qui est arrivée dans des conditions voulues. D’abord, le premier report était lié à une situation de concertation. Au terme de cette consultation, la pandémie est venue tout bouleverser. Il y a eu des discussions de fond avec la société civile et les différentes parties prenantes. Toutes les parties sont d'accord pour cette prorogation. En termes de légitimité, il faut dire qu’il n’y a pas beaucoup de problèmes. La légitimité, c’est le consensus. De notre côté, nous sommes très pressés que ces élections se fassent et qu’on puisse redémarrer avec des équipes encore engagées. Le message que je lance aux prochains candidats aux mairies est que les responsabilités ont encore augmenté et il nous faut des maires très engagés pour être le relais définitif de l’Etat central.
Etes-vous candidat à votre propre succession à la mairie ou candidat au Conseil départemental de koungheul ?
C’est très tôt de dire qu’on est candidat. Je suis très concentré sur les projets qui sont en cours dans ma commune. Le moment venu, la population va juger si je vais être candidat ou pas.