L’ESSENCE SPIRITUELLE DE LA RETRAITE EN ISLAM
A l’approche du Daaka de Médina Gounass, qui se tiendra du 26 avril au 5 mai 2025, il convient de méditer sur l’essence spirituelle de cette pratique ancestrale qu’est la retraite spirituelle en islam, connue sous le nom de «Khalwa».

A l’approche du Daaka de Médina Gounass, qui se tiendra du 26 avril au 5 mai 2025, il convient de méditer sur l’essence spirituelle de cette pratique ancestrale qu’est la retraite spirituelle en islam, connue sous le nom de «Khalwa». Cette tradition, profondément ancrée dans l’héritage islamique, trouve dans le Daaka une expression particulièrement puissante et authentique.
La pratique de la retraite spirituelle remonte aux premiers temps de l’islam. Le Prophète Muhammad (Paix et bénédiction d’Allah sur lui) lui-même avait coutume de se retirer dans la grotte de Hira, sur le mont Nour, près de La Mecque, pour méditer et se recueillir. C’est d’ailleurs dans cette solitude contemplative qu’il reçut la première révélation coranique. Cette tradition prophétique constitue le fondement spirituel de toutes les formes de retraite qui se sont développées ultérieurement dans le monde musulman.
La Khalwa, terme arabe désignant l’isolement volontaire dans un but spirituel, s’est progressivement institutionnalisée dans diverses traditions soufies dont la Tidjaniya à laquelle appartient la communauté de Médina Gounass. Thierno Mouhamadou Seydou Bâ, fondateur du Daaka en 1942, s’inscrivait pleinement dans cette lignée spirituelle lorsqu’il institua cette retraite annuelle de dix jours dans la brousse, à 10 km de Médina Gounass.
L’une des dimensions essentielles de la Khalwa réside dans la rupture temporaire, mais radicale, avec le rythme et les préoccupations de la vie ordinaire. Dans un monde où l’agitation permanente et la dispersion de l’attention sont devenues la norme, cette interruption volontaire représente déjà en soi un acte spirituel significatif.
Le Daaka de Médina Gounass matérialise cette rupture de manière particulièrement tangible. Pendant dix jours, les participants quittent leurs foyers, leurs familles, leurs occupations professionnelles et leurs habitudes de confort pour s’immerger dans un environnement entièrement dédié à l’adoration et à la contemplation. Cette séparation physique facilite un détachement intérieur plus profond, créant l’espace nécessaire pour une rencontre authentique avec le Divin et avec soimême.
Comme l’enseignait Thierno Amadou Tidiane Bâ, l’actuel Khalife de Médina Gounass : «Quitter temporairement le monde n’est pas le fuir, mais prendre le recul nécessaire pour mieux le comprendre et y revenir avec un regard transformé.» Cette sagesse souligne que la rupture opérée par le Daaka n’est pas une fin en soi, mais un moyen au service d’une transformation spirituelle plus profonde.
Si la Khalwa implique un retrait physique, son objectif véritable est d’ordre intérieur : la purification de l’âme (tazkiyat al-nafs). Cette purification constitue une étape indispensable sur le chemin de la proximité divine, car comme le rappelle le Coran : «Réussit, certes, celui qui la purifie [son âme]. Et est perdu, certes, celui qui la corrompt.» (Sourate 91, versets 9-10).
Le Daaka offre un cadre particulièrement propice à ce travail de purification intérieure. L’éloignement des sources habituelles de distraction, la simplicité du mode de vie, la discipline rigoureuse des journées et l’intensité des pratiques spirituelles créent les conditions optimales pour une confrontation salutaire avec soi-même. Les voiles que l’ego (nafs) tisse subtilement dans la vie ordinaire deviennent plus apparents, permettant un travail conscient de transformation.
Cette dimension purificatrice du Daaka s’inscrit parfaitement dans la tradition de la Tidjaniya, qui accorde une importance centrale à la purification du cœur comme préalable à l’illumination spirituelle. Comme l’enseignait Sidi Ahmed Tidiane : «Le cœur est comme un miroir ; pour qu’il reflète la lumière divine, il doit être nettoyé de toute rouille et de toute poussière.»
La retraite spirituelle se caractérise également par une intensification quantitative et qualitative des pratiques religieuses. Ce qui, dans la vie ordinaire, peut parfois se réduire à l’accomplissement minimal des obligations, s’épanouit pendant le Daaka en une dévotion totale qui imprègne chaque instant de la journée.
Les cinq prières quotidiennes, piliers de la pratique musulmane, sont non seulement accomplies avec une ponctualité rigoureuse, mais également enrichies de prières surérogatoires (nawafil) qui en prolongent la bénédiction. La récitation du Coran, pratiquée individuellement et collectivement, occupe une place centrale dans le programme quotidien. Quant au Zikr (évocation de Dieu), il atteint, pendant le Daaka une intensité particulière, avec notamment la récitation quotidienne des 12 000 «Salatoul Fatiha» et des 41 «Sayfiyou», pratiques spécifiques à la tradition de Médina Gounass.
Cette intensification ne vise pas seulement la quantité, mais surtout la qualité de la connexion spirituelle. Au Daaka, on ne prie pas seulement pour prier plus, mais pour prier mieux, avec une présence et une conscience que le rythme ordinaire de la vie ne permet pas toujours d’atteindre.
Dans la tradition soufie, la Khalwa est intimement liée à la pratique du silence (samt). Ce silence extérieur n’est pas une fin en soi, mais une condition favorable à l’émergence d’une écoute intérieure plus profonde, écoute de soi, écoute des autres et, ultimement, écoute de la présence divine qui se manifeste dans le cœur apaisé.
Le Daaka, bien qu’il ne soit pas une retraite silencieuse au sens strict, ménage néanmoins des espaces de silence qui contrastent avec le vacarme habituel de la vie moderne. Les moments de recueillement personnel, les heures précédant l’aube, ou encore les instants de contemplation dans la nature environnante offrent autant d’occasions de cultiver cette qualité d’écoute intérieure.
Cette dimension contemplative du Daaka reflète l’équilibre que la tradition de Médina Gounass, sous l’impulsion de son fondateur Thierno Mouhamadou Seydou Bâ, a toujours cherché à maintenir entre l’aspect actif de la dévotion (les pratiques rituelles) et son aspect réceptif (l’ouverture intérieure à la présence divine). Dans l’esprit de la tradition soufie, la langue qui invoque sans un cœur qui écoute est comme une cloche qui résonne dans une maison vide.
Si la Khalwa traditionnelle est souvent pratiquée dans la solitude, le Daaka de Médina Gounass présente la particularité d’être une retraite collective, rassemblant des milliers de fidèles dans une expérience spirituelle partagée. Cette dimension communautaire ne diminue en rien la profondeur de l’expérience intérieure ; elle lui confère, au contraire, une résonance et une ampleur particulières.
La présence de milliers d’autres chercheurs spirituels, tous engagés dans la même quête avec sincérité et détermination, crée un champ énergétique puissant qui soutient l’effort individuel. Les difficultés inhérentes à la vie en brousse, chaleur, installations rudimentaires, promiscuité, loin d’être des obstacles, deviennent des occasions de pratiquer la patience, l’entraide et l’humilité, vertus essentielles sur le chemin spirituel.
Cette dimension collective du Daaka s’inscrit parfaitement dans la vision islamique de la Ummah comme lieu privilégié de réalisation spirituelle. Comme le rappelle un hadith : «La Main de Dieu est avec le groupe.» Le Daaka offre ainsi l’expérience rare et précieuse d’une communauté entièrement orientée, pendant dix jours, vers un idéal spirituel partagé.
La retraite spirituelle en islam n’est jamais conçue comme une simple expérience subjective ; elle s’inscrit toujours dans le cadre d’une transmission de connaissances et de sagesse. Le Daaka ne fait pas exception à cette règle, intégrant dans son programme quotidien des moments dédiés à l’enseignement religieux.
Ces enseignements, transmis à travers les enregistrements audio laissés par Thierno Mouhamadou Seydou Bâ, éminent érudit reconnu pour sa science et sa piété, abordent divers domaines des sciences islamiques : l’exégèse coranique (tafsir), les traditions prophétiques (hadith), la jurisprudence (fiqh), mais aussi, et surtout, les dimensions intérieures de la spiritualité soufie. Commentés par le Khalif Thierno Amadou Tidiane Bâ, ces enseignements ne visent pas seulement une acquisition intellectuelle, mais une compréhension vivante et transformatrice, au service de la pratique spirituelle.
Cette dimension éducative du Daaka reflète l’importance que Thierno Mouhamadou Seydou Bâ accordait au savoir authentique comme fondement de la vie spirituelle. Formé auprès d’éminents maîtres reconnus comme Cheikh Moussa Camara, Thierno Hamme Baba Talla, Thierno Seydi Aly Thiam, etc., sa vision d’une spiritualité enracinée dans la connaissance continue d’inspirer la communauté de Médina Gounass et se manifeste pleinement dans l’organisation du Daaka.
Si la retraite implique par définition un retrait temporaire du monde, son objectif ultime n’est pas la fuite, mais une réintégration transformée dans la vie ordinaire. Le véritable succès du Daaka ne se mesure pas tant à l’intensité des expériences vécues pendant les dix jours qu’à leurs fruits durables dans l’existence quotidienne des participants après leur retour.
Cette continuité entre l’expérience de la retraite et la vie ordinaire est au cœur de la vision spirituelle de Médina Gounass. Comme l’enseigne Thierno Amadou Tidiane Bâ : «Le Daaka n’est pas une parenthèse dans la vie du croyant, mais une source qui doit irriguer toute son existence.»
Cette conception rejoint la sagesse soufie traditionnelle qui considère la retraite non comme une fin en soi, mais comme un moyen de revivifier la présence spirituelle au cœur même du monde.
Les participants témoignent souvent des transformations durables opérées dans leur vie suite au Daaka : une pratique religieuse plus régulière et plus consciente, des relations familiales et sociales plus harmonieuses, un rapport plus détaché aux biens matériels et, surtout, une présence intérieure plus stable au milieu des fluctuations de l’existence. Ces fruits concrets attestent de l’efficacité spirituelle de cette forme particulière de Khalwa développée par la communauté de Médina Gounass.
A l’approche du Daaka, cette réflexion sur l’essence spirituelle de la retraite islamique nous invite à considérer cette manifestation non comme un simple événement religieux parmi d’autres, mais comme une opportunité spirituelle exceptionnelle.
Dans un monde caractérisé par la dispersion, la superficialité et l’accélération constante, le Daaka offre un espace sanctuarisé où le temps retrouve sa profondeur, où l’attention peut se recentrer sur l’essentiel, et où l’âme peut respirer pleinement. Cette expérience, héritée de la tradition prophétique et enrichie par des générations de maîtres spirituels, constitue un trésor inestimable de la spiritualité islamique.
Que vous soyez un habitué de cet événement béni ou que vous envisagiez d’y participer pour la première fois, sachez que l’expérience de la Khalwa vécue dans ce cadre sanctifié par des décennies de dévotion collective possède une efficacité spirituelle unique. Car comme le rappelle un hadith qudsi : «Celui qui se rapproche de Moi d’un empan, Je Me rapproche de lui d’une coudée. Celui qui se rapproche de Moi d’une coudée, Je Me rapproche de lui de la longueur des deux bras. Et celui qui vient à Moi en marchant, J’irai à lui en courant.»
Le Daaka de Médina Gounass nous offre l’opportunité précieuse de faire ce premier pas vers Dieu, avec la promesse d’une réponse divine infiniment plus généreuse que notre modeste effort initial.
Au Daaka, c’est Allah que l’on regarde, Allah que l’on écoute, Allah que l’on cherche, Allah que l’on invoque, pour Allah que l’on pleure, Allah que l’on aime.
Seydi DIALLO
Enseignant à l’Ief de Kaolack
rappaetoile@gmail.com