LE CAMES VEUT TIRER L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR VERS L’ECHELON INFERIEUR
Trois éminents professeurs claquent la porte du CTS pour dénoncer l'instrumentalisation politique des procédures d'évaluation au détriment de la reconnaissance du mérite
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« Faut-il brûler l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar ? » C’était le titre provocateur d’un dossier retentissant que nous avions consacré il y a plus de 30 ans à notre Temple du savoir. Un dossier dans lequel nous moquions en particulier ces « chercheurs qui ne trouvent jamais » et ironisions sur ces « voyages d’études » qui ne l’étaient qu’officiellement puisque constituant en réalité des escapades touristiques assorties de coquets frais de mission. Le but c’était évidemment de fouetter l’orgueil de nos universitaires et les pousser à se sublimer. Mais aussi de dénoncer l’absence de recherche digne de ce nom dans cette première université d’Afrique occidentale française (AOF). Eh bien, ce titre provocateur, nous sommes tentés de le réutiliser pour descendre en flammes une organisation africaine s’occupant, justement, d’enseignement supérieur. Il s’agit, en l’occurrence, du Cames (Conseil africain et malgache de l’enseignement supérieur) qui est en particulier chargé d’évaluer les enseignants des universités africaines et d’homologuer leurs passages de grades. Car si, pendant des décennies, cette organisation s’est acquittée à peu près correctement de sa mission faisant notamment passer des concours d’agrégation à ce point sélectifs que les titulaires de ce diplôme étaient considérés comme de véritables dieux du savoir, depuis quelques années, hélas, ce parchemin s’est banalisé. La faute à l’affaissement des critères de sélection, à l’introduction de critères géographiques voire « diplomatiques » visant, selon les manitous du Cames, à corriger de prétendus déséquilibres — un peu comme, dans certains pays, la méthode des quotas est utilisée pour rectifier des injustices. Selon ces manitous, donc, certains pays ayant « trop » d’agrégés par rapport à d’autres, il convient de favoriser les Etats lésés ! Evidemment, ces choses-là ne sont pas écrites mais se reflètent dans les pratiques de ces messieurs qui dirigent le Cames!
Pour protester contre ces pratiques pas du tout catholiques — et en tout cas pas du tout scientifiques ! —, au moins trois éminents membres du CTS (Comité technique spécialisé de sciences juridiques et politiques), dont notre compatriote le professeur de droit émérite (ce qualificatif étant de nous) Isaac Yankhoba Ndiaye viennent de claquer la porte. Dans une lettre intitulée « Enième scandale au CTS de sciences juridiques et politiques », il dénonce des « aberrations » qui ont cours au Cames. Il explique que le CTS « est chargé d’évaluer les travaux des enseignants qui souhaitent passer d’un grade à un autre : de maître assistant à assistant ; d’assistant à maître de conférence, de maître de conférence à professeur titulaire ». Un comité qui se réunit chaque année et composé d’enseignants de tous les grades désignés par leurs pairs respectifs. Lesquels sont chargés de faire des rapports sur les dossiers qui leur sont confiés mais attention, nul ne peut être rapporteur d’un dossier provenant d’une université de son pays. C’est sur la base de ces rapports que l’enseignant est promu ou, au contraire, recalé.
Ce qui s’est passé cette année c’est que des enseignants recalés par le CTS de sciences juridiques et politiques « faute de pertinence scientifique » de leurs travaux, un euphémisme pour dire que ceux-ci sont nuls, ont vu leurs dossiers miraculeusement repêchés par le CCG (Comité consultatif général) du Cames qui ne renferme pourtant aucun juriste en son sein ! Allez savoir sur quels critères ils se sont bas pour effectuer ces repêchages… C’est un peu comme si des équipes qui n’avaient pas pu passer les phases éliminatoires étaient autorisées par la CAF (Confédération africaine de football), pour des raisons d’équilibre géographique, à disputer directement les huitièmes de finales de la Coupe d’Afrique des Nations sans même passer par la phase des poules! Ou comme si des candidats au baccalauréat, qui n’ont pas pu se qualifier pour le second tour, étaient quand même déclarés admis par le rectorat ou l’Office du Bac ! Pour des questions de quotas régionaux…
Et les derniers seront les premiers !
Pour en revenir aux braves hommes et femmes du très glorieux Comité consultatif général du Cames, ils ont fait reprendre les délibérations du CTS de sciences juridiques et politiques ! Bien évidemment, le CTS a maintenu ses délibérations c’est-à-dire que les profs cancres devaient être ajournés. C’était mal connaître le CCG qui s’est substitué au CTS pour inscrire d’autorité bon nombre parmi les profs ajournés dans la liste de ceux devant être promus ceux !On viendra reprocher après cela — et même les emprisonner ! — nos candidats au baccalauréat qui trichent. Le mauvais exemple vient de très haut !
En tout cas, après ce coup de force du CCG du CAMES, trois distingués professeurs qui étaient membres du CTS de sciences juridiques et politiques ont rendu leurs tabliers
Conclusion du Pr Isaac Yankhoba Ndiaye : « Il faut auditer le Cames techniquement et financièrement. Et si cette dernière forfaiture passe, faute de pouvoir dissoudre le CTS sciences juridiques et politiques, il faudra alors envisager un autre mode d’évaluation de nos enseignants, à l’instar de nos amis béninois. J’adjure les nouvelles autorités à regarder de près ce qui se passe au Cames : il y va de notre crédibilité scientifique qu’on est en train de sacrifier sur l’autel d’une certaine « diplomatie scientifique » consistant à admettre des candidats qui ne le méritent pas, tout juste pour un prétendu équilibre géo-politico-académique ». Et tant pis pour la crédibilité et la valeur des diplômes des enseignants de nos universités ! On viendra s’émouvoir après cela de la baisse du niveau de nos étudiants…