UNE PRATIQUE QUI NOURRIT BIEN LES ENSEIGNANTS
Le «khar matt» ou cours particuliers

Malgré́ les récentes mises en garde du ministre de l’Education nationale Serigne Mbaye Thiam, sur le «khar matt» (emplois parallèles dans le secteur de l’enseignement), le phénomène persiste. À l’occasion de ce début d’année scolaire, L’AS s’est intéressé́ à la question et a fait le tour de quelques écoles de Dakar. Mais partout le constat est unanime : les professeurs continent de s’adonner à cette pratique illégale. Les raisons qui les poussent à le faire sont nombreuses: la conjoncture, l’insuffisance de leur salaire, etc.
Avec la conjoncture, qui touche presque toutes les couches sociales, le phénomène d’emplois parallèles dans l’enseignement plus connu sous le nom de «khar matt» devient de plus en plus récurrent.
Actuellement, la majorité́ des enseignants est dans ce business, qui permet de gonfler les salaires. Chacun y va de sa manière. Des professeurs rencontrés dans différentes écoles de Dakar racontent leurs expériences. Au lycée de Thiaroye, El Hadji A.G., professeur d’histoire et géographie depuis une dizaine d’années, témoigne: «Je pratique le khar matt depuis des années. Mais actuellement je n’exerce que dans deux écoles privées supplémentaires. Ça me suffit largement, car les cours que j’y dispense me permettent de gagner en moyenne 200.0000 F Cfa par mois, et ce, s’il y a des jours féries dans le mois. Dans le cas contraire, je gagne un peu plus. Cet argent supplémentaire me sert à renouveler ma garde robe uniquement», confie Mon- sieur G. Comme notre premier interlocuteur, ce quinquagénaire nommé Daouda L., professeur de maths, ne cache pas son bonheur sur cette opportunité́ qu’il a. «Grâce au khar matt, je gagne chaque mois 100.000 F Cfa supplémentaires. Cette somme est une sorte de rallonge pour mon salaire. Elle varie en fonction du nombre d’heures de cours dispensés parce que dans le privé on emmarge en fonction des heures de cours qu’on a donnés. Si on ne fait pas de cours, on n’est pas payé. Dans mon cas, je passe mes heures libres dans une seule école privée car j’ai d’autres taches qui m’attendent. Les sommes varient aussi en fonction des mois. Par exemple, en mars, avril et décembre, on peut gagner 100 000 F Cfa à cause d’une semaine de vacances. Avec les cours à domicile aussi, je peux percevoir 100 000 F Cfa. Mais dans ce cas, la somme qu’on gagne dépend des localités où on intervient parce que ce que les gens payent dans la banlieue est diffèrent de l’offre de ce que payent ceux qui sont au niveau des quartiers résidentiels», fait-il savoir.
Trouvé au lycée John Kennedy, Monsieur Top, nous dessine le même tableau. Selon lui, grâce à ce cumul, il parvient à combler des gaps durant le mois, mais aussi de participer à des tontines pour rembourser ses prêts bancaires. «Je donne des cours à domicile à quatre élèves, parce que je ne veux pas trop me fatiguer. Mais on se sacrifie beaucoup, parce que parfois on ne fixe même pas de prix. On vient, on fait notre prestation, et le reste, c’est aux parents de juger notre travail et de nous payer comme ils peuvent. Mais j’avoue que j’y trouve mon compte, parce qu’on peut avoir au minimum 50.000 FCfa par élève. Je ne donne pas des cours à un élève à moins de 50 000 parce que si je dois faire deux séances par semaine, vers le quartier des Almadies qui est très enclavé, je suis obligé de prendre un taxi. De ce fait, on ne peut pas faire mes prestations à moins de 50 000», indique, Monsieur Top. Selon lui, ce cumul de travail n’est pas une chose souhaitable, mais la situation dans laquelle se trouvent les enseignants les oblige à le faire. «Peut-être que si on était dans de bonnes conditions, on ne ferait pas ce travail de plus. On aimerait bien rester au niveau de nos écoles et se concentrer sur nos élèves, mais on n’a pas le choix», semble-t-il regretter. Notre interlocuteur d’ajouter comme pour se justifier: «Effectivement, on se concentre sur nos élèves parce que dans le public on vient parfois durant les jours fériés pour faire cours, pour terminer au plus vite notre programme, mais aussi pour mettre nos élèves en sécurité́. Dans le public vous rencontrez des professeurs très expérimentés, mais malgré́ tout ça, nos situations laissent à désirer.
Par exemple, moi j’ai fais plusieurs années dans ce métier, et je n’ai toujours pas de voiture. Par contre, j’ai une maison. Ce que je gagne à travers le khar matt me permet de participer à des tontines, et de rembourser des prêts bancaires», se console-t-il. Contrairement aux autres, M.Diop, professeur de maths relativise : «Du khar matt, j’en fais comme les autres, mais pas tellement hein, argue-t-il comme pour se donner bonne conscience. Je ne peux pas dire exactement ce que je gagne. Car on me paye par rapport à la prestation. D’ailleurs, là où j’exerce on me paye en fonction des heures de cours que je dispense». Contrairement aux hommes, les dames ne peuvent pas allier leur foyer avec plusieurs postes. C’est le cas pour Mme Aby S., professeur d’Economie familiale. «Je n’ai pas le temps de m’adonner à cette pratique car je suis une mère de famille et je suis obligée de gérer mon foyer après mes heures de cours, lance-t-elle avec fierté́. Je dois constamment veiller sur mes enfants et leur inculquer une bonne éducation. Au lieu donc d’aller éduquer les enfants d’autrui, je préfère concentrer mon énergie sur les miens». Visiblement elle n’est pas la seule dans ce lot, car cette jeune maman et professeur d’espagnol, souligne qu’elle souhaiterait avoir du temps pour donner ne serait-ce que des cours à domicile mais son bébé́ de 18 mois l’en empêche.