EN FINIR AVEC L'APARTHEID CAPILLAIRE
Alors qu’il existe en France presque trois fois plus de salons de coiffure que de boulangeries, le cheveu afro a encore du mal à trouver une adresse pour se faire chouchouter
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Malgré une forte demande et un marché du cheveu bouclé-frisé-crépu en pleine expansion, les formations académiques peinent à se moderniser.
Alors qu’il existe en France presque trois fois plus de salons de coiffure que de boulangeries, le cheveu afro a encore du mal à trouver une adresse pour se faire chouchouter. En 2018, pas moins de 85 192 établissements quadrillaient le territoire, selon le recensement de l’Union nationale des entreprises de coiffure (UNEC) et le secteur, deuxième de l’artisanat, pèse 6 milliards d’euros de chiffres d’affaires par an.
Or si l’on voulait pouvoir couvrir les besoins capillaires des personnes noires et métisses de France, estimées à au moins un cinquième de la population d’après le Conseil représentatif des associations noires (CRAN), il faudrait 17 000 enseignes capables de proposer des services pour cheveux bouclés-frisés-crépus (BFC). L’Ile-de-France, qui compte à elle seule 15 000 salons minimum, devrait donc pouvoir proposer une expertise « BFC » dans 3 000 d’entre eux. Mais on en est encore très loin.
« En région parisienne, où les besoins sont les plus importants car la diversité y est plus forte qu’ailleurs, on n’en dénombre pas 150, même en comptant les boutiques des quartiers de Château-Rouge et Château-d’Eau, explique Aude Livoreil-Djampou, qui a créé le Studio Ana’e à Paris en 2015, un salon « multitexture » qui accueille toutes les diversités de cheveux, du plus raide au plus crépu. Et, à Paris, c’est bien pire : les enseignes qui privilégient la qualité se comptent sur les doigts des deux mains ! »
Alors qu’est-ce qui coince ? La formation. « Aujourd’hui encore, du CAP au brevet professionnel, on n’apprend toujours pas aux futurs professionnels à prendre en charge ces textures, ou alors de manière très marginale », tranche Alexis Rosso. Ce coiffeur studio haut en couleur d’origine guadeloupéenne, parmi les meilleurs artisans de France, a dû se former aux Etats-Unis et à Londres pour développer son expertise du cheveu afro alors qu’il coiffait depuis l’âge de 15 ans en salon. Son parcours, emblématique, l’a convaincu de devenir formateur certifié pour inverser la tendance et accompagner les futurs coiffeurs.
« Coiffure noire ghettoïsée »
Car non seulement le CAP ne forme pas les jeunes à cette problématique, mais le seul bagage qu’on leur enseigne encore, c’est le défrisage. De quoi faire dresser les cheveux sur la tête des militantes de la cause Nappy (contraction de natural et happy) qui œuvrent depuis vingt ans pour libérer le cheveu naturel, le sublimer, et en finir avec le diktat du cheveu lisse. D’autant que les produits défrisants, très agressifs, brûlent le cuir chevelu, abîment la fibre capillaire et peut aboutir en quelques années à de conséquentes pertes de cheveux.
« Pendant longtemps, on a considéré le cheveu afro comme indomptable, explique Diane Châtelier, créatrice en 2012 de Nappy Boucles, un site de vente en ligne de produits capillaires. Ce point de vue a enfin changé. Les femmes ont découvert qu’il n’est pas si compliqué d’avoir une routine de soins adaptés et que les possibilités de coiffage sont grandes. Et le confinement a accéléré encore cette libération. Mais la formation, elle, est encore loin d’être à la page. »