VIDEOPOUR UNE ÉCONOMIE DE LA DIGNITÉ
Alors que le Sénégal traverse une crise des finances, Felwine Sarr insiste : les infrastructures et la croissance économique ne sont pas des fins en soi. Il suggère la production 'd'une fabrique de l'humain', au-delà des seuls indicateurs de performance
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Dans un entretien accordé ce dimanche 16 février 2025 à l'émission "Objection" de Sud FM, l'économiste et enseignant-chercheur à Duke University, Felwine Sarr, a livré une analyse percutante sur la nécessité de repenser fondamentalement la théorie économique depuis une perspective africaine. Alors que le Sénégal traverse une crise financière majeure, avec une dette publique avoisinant les 100% du PIB, le penseur sénégalais appelle à une refondation complète de la pensée économique africaine.
L'universitaire développe une critique fondamentale du modèle économique actuel, plaidant pour l'émergence d'une "économie politique de la dignité". Cette approche, explique-t-il, doit dépasser la simple poursuite de biens matériels et ce qu'il qualifie de "modernité de seconde zone". "Le développement devrait être un espace où on construit les humains à tous les étages de l'être", affirme-t-il, appelant à repenser les finalités mêmes de l'activité économique.
L'invité de Baye Omar Guèye dénonce ce qu'il considère comme une crise profonde de la vision du développement en Afrique. Pour lui, les infrastructures et la croissance économique ne sont pas des fins en soi, mais doivent servir à "construire l'humanité" et "produire une fabrique de l'humain". Cette approche implique une redéfinition radicale des priorités et de l'allocation des ressources.
L'investissement dans le capital humain constitue, selon Felwine Sarr, la priorité absolue pour les pays africains. Il rappelle l'exemple historique du Sénégal sous Senghor, où 30% du budget était alloué à l'éducation - un choix critiqué à l'époque mais dont la pertinence s'est révélée avec le temps. Pour l'économiste, la jeunesse représente "la ressource la plus importante" et nécessite une "grande ambition de formation".
Cette vision implique une répartition équitable des opportunités sur l'ensemble du territoire. L'auteur d'Afrotopia insiste sur l'importance des "facteurs de conversion" - infrastructures, accès à l'éducation, à la santé - permettant aux individus de développer leurs "capabilités", selon la théorie d'Amartya Sen. Il dénonce les disparités actuelles qui créent des "problématiques de déliaison sociale" et un sentiment d'abandon dans certaines régions.
L'analyste pointe plusieurs faiblesses structurelles dans les politiques publiques africaines. Il critique notamment l'absence d'autonomie dans la conception des politiques économiques depuis les indépendances, appelant à "sortir du mimétisme" et à "prendre le destin économique en main".
Sur la question des ressources naturelles, il plaide pour une approche stratégique de long terme, suggérant même que les pays devraient parfois différer l'exploitation de leurs ressources jusqu'à ce qu'ils puissent en tirer le meilleur profit. Il souligne l'urgence de développer une autonomie dans les secteurs stratégiques, citant l'exemple révélateur de la dépendance pharmaceutique révélée pendant la pandémie.
Pour Felwine Sarr, les intellectuels africains ont une responsabilité particulière dans ce processus de transformation. Il les appelle à "créer des idées, des doctrines, des visions du monde" adaptées aux réalités africaines. "C'est à partir de l'Afrique qu'on doit repenser l'économie africaine, mais surtout l'économie du monde", affirme-t-il, positionnant le continent comme un possible laboratoire de solutions innovantes.
Cette mission intellectuelle implique de "reconnecter la recherche" avec les réalités locales et de développer une véritable autonomie de pensée. Sarr insiste sur le fait que cette autonomie intellectuelle ne signifie pas un repli sur soi, mais plutôt la capacité à "produire des réponses adaptées à nos situations".