CIRCULEZ, IL N’Y A RIEN A VOIR !
Ce qui a été présenté dans le rapport de la Cour des comptes comme une vente des immeubles appartenant à l’Etat, n’est en réalité qu’une banale opération de transfert de propriété et de gestion entre les Domaines et la Sogepa
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Le 26 septembre 2024, le Premier ministre Ousmane Sonko, accompagné des ministres de l’Economie, de la Justice et du Secrétaire général du gouvernement, et en l’absence fort remarquée du ministre des Finances et du budget, s’était présenté en conférence de presse pour dresser un tableau sombre de la situation des finances publiques. Laquelle situation se résumait à un réquisitoire accablant contre le pouvoir sortant : six cent cinq (605) milliards de francs Cfa utilisés par anticipation, trois cents (300) milliards de francs Cfa dépensés mais introuvables, mille huit cents (1800) milliards de francs Cfa empruntés sans jamais les déclarer, la dette publique est de l’ordre de seize mille deux cents (16 200) milliards de francs Cfa, soit 87% du Pib. Tout ceci est adossé à une vaste opération de misreporting (transmission de fausses informations aux partenaires techniques et financiers, le Fonds monétaire international principalement). En somme, «le régime du président Macky Sall a menti au peuple, a menti aux partenaires, a tripatouillé les chiffres pour donner une image économique, financière et budgétaire qui n’avait rien à voir avec la réalité», dira le chef du gouvernement.
D’ailleurs, cela avait fait l’objet d’une chronique dans laquelle nous disions qu’avec de tels propos, il va de soi que «Sonko n’aime pas le Sénégal» (Cf, chronique du 28 septembre 2024). Nous disions que la conférence de presse du Premier ministre «n’avait qu’un objectif : jeter le discrédit sur le Sénégal. En effet, si Sonko pensait ternir l’image de ses prédécesseurs et adversaires politiques en présentant les chiffres truqués, il ne s’en prenait pas uniquement aux anciens ministres des Finances (Amadou Ba, Abdoulaye Daouda Diallo, Mamadou Moustapha Ba qui ont d’ailleurs l’obligation de répondre à ces graves accusations), mais également au Fmi qui supervise l’exécution budgétaire trimestriellement, ainsi qu’à la Cour des comptes qui élabore la loi de règlement censée constater les résultats financiers de chaque année civile et approuver les différences entre les résultats et les prévisions de la loi de finances de l’année, complétée, le cas échéant, par des lois rectificatives de finances»
Conformité sur les chiffres des finances publiques
Après avoir rappelé tous les fonctionnaires impliqués dans la production des chiffres sur les statistiques et les finances publiques, nous ajoutions qu’ils «doivent être très heureux que le chef du gouvernement, dans sa démarche de négation du Sénégal, les traite de flibustiers des temps modernes. Et il faudra virer et poursuivre toute l’administration financière, la mafia des Finances, parce qu’ils ont participé à accompagner les différents ministres à transmettre des chiffres erronés aux Ptf, qui ont été complices par leur passivité ou inaction. Si le budget manque de sincérité, si les chiffres sont falsifiés, ces fonctionnaires sont tout aussi responsables que les dirigeants de l’ancien régime». Six (6) mois après, le rapport tant attendu de la Cour des comptes sur l’état de nos finances publiques est rendu public. C’est un exercice à saluer et qui aurait dû être fait en 2019, conformément au point 1.7 de l’annexe de la loi n°2012-22 du 27 décembre 2012 portant Code de transparence dans la gestion des finances publiques. «Dans les trois mois suivant chaque nouveau mandat présidentiel, la situation globale des finances publiques, et en particulier la situation du budget de l’Etat et de son endettement, fait l’objet d’un rapport préparé par le gouvernement. Ce rapport, audité par la Cour des comptes, est publié dans les trois mois suivants.» Oui, Macky Sall a failli sur ce point, tout comme la Cour des comptes qui attend 2025 pour nous dire que «cet audit est le premier du genre étant donné qu’en 2019, le gouvernement n’avait pas établi de rapport sur la situation des finances publiques»
Si nous nous basons sur ce que nous avait dit le Premier ministre lors de sa conférence de presse du 26 septembre 2024, il va de soi qu’il y a deux choses que nous nous attendions à voir, et que nous n’avons pas vues dans le rapport. Le Premier ministre nous avait parlé de falsification et de maquillage des chiffres. Or, sur la situation des finances publiques, les auditeurs de la Cour des comptes ont conclu à une conformité entre chiffres fournis par le gouvernement de Sonko et «ceux arrêtés par les lois de règlement sur la même période 2019-2023». «L’analyse des recettes fait ressortir une concordance entre les données sur les recettes retracées dans le rapport [du gouvernement] et les lois de règlement/projet de loi de règlement 2023. En effet, les montants globaux des recettes de 2019 à 2023 (…) sur la situation des finances publiques sont conformes à ceux arrêtés par les lois de règlement sur la même période.» L’on nous parlait de falsification.
Là où Sonko parle d’un «surfinancement d’un montant de 604, 7 milliards de francs Cfa à intégrer dans les moyens de couverture du besoin de financement de 2024», la Cour rétorque qu’une «une partie est consommée sur autorisation du ministre des Finances et du budget, pour un montant de 326, 43 milliards de francs Cfa destiné à des dépenses relatives au remboursement de dettes bancaires, au secteur de l’énergie et au soutien à la consommation».
La dette est soutenable
Sur l’encours de la dette, le chiffre du nouveau gouvernement est balayé d’un revers de main par la Cour des comptes qui parle d’écarts. «L’encours de 13 773 milliards de F Cfa de la dette de l’Administration centrale au 31 décembre 2023 présenté dans le rapport du gouvernement est différent de celui de 13 854 milliards de FCfa retracé dans le Plr 2023, soit un écart de 81 milliards de F Cfa.» Des écarts attribués par la Cour à des dysfonctionnements dans les comptabilités de la Direction de la dette publique, de la Dodp et du Trésorier général. Ecart n’est pas falsification, ni tripatouillage. Même le président de la République, dans le communiqué du Conseil des ministres, parle d’écarts. C’est heureux que la Cour n’ait pas considéré l’année 2024 dans le calcul de l’endettement. En effet, sur 2024, le gouvernement a déjà emprunté 4500 milliards et compte emprunter le même montant cette année, soit un total de 9000 milliards sur deux ans. Et c’est heureux que le ministre de l’Economie Abdourahmane Sarr annonce une bonne nouvelle : la dette du Sénégal est soutenable. «L’analyse faite par mon département révèle que la dette du Sénégal est toujours soutenable», dit Sarr, qui ajoute : «Il est également important de relever que nous avons une bonne structure de la dette.»
Cependant, la Cour des comptes constate que «l’encours total de la dette de l’Administration centrale budgétaire s’élève à 18 558, 91 milliards de F Cfa au 31 décembre 2023 et représente 99, 67% du Pib». Pour arriver à cette somme, les vérificateurs ont suivi la logique du gouvernement en incluant dans la dette, ce qui a été contracté par le secteur parapublic. S’il est vrai que l’Etat ne sert que de garantie à des sociétés nationales dans leur levée de fonds, est-ce raisonnable de retracer une dette qui ne passe pas au Trésor ? Effectivement, les entreprises publiques cumulent à 1517 milliards de francs Cfa. Petrosen (590 milliards), Sogepa (315 milliards), Senelec (147 milliards) et Air Sénégal (104 milliards) sont parmi les entreprises parapubliques les plus endettées. Arrivent ensuite le Port autonome de Dakar (50 milliards F Cfa), la Société africaine de raffinage (Sar, 45, 7 milliards F Cfa), la Caisse des dépôts et consignations (Cdc, 40, 9 milliards F Cfa), le Fonds d’entretien routier autonome (Fera, 25, 4 milliards F Cfa), l’Aéroport international Blaise Diagne (Aibd, 17, 4 milliards F Cfa) et le Fonds pour l’habitat social (Fhs, 11 milliards F Cfa).
Pas de quoi fouetter un chat
Enfin, ce qui a été présenté dans le rapport de la Cour des comptes comme une vente des immeubles appartenant à l’Etat, n’est en réalité qu’une banale opération de transfert de propriété et de gestion entre les Domaines et la Sogepa. Ces biens ont été cédés à la Sogepa pour servir de garantie dans une opération de levée de 330 milliards de francs Cfa à travers des obligations islamiques (Sukuk).
Là où le gouvernement annonce que les disponibilités bancaires de l’Etat sont de 173, 6 milliards, la Cour des comptes dit que celles-ci ont été sous-évaluées. En effet, après vérification auprès du Trésor et des banques, il ressort que l’Etat dispose de 263, 9 milliards. Soit un écart de 104, 87 milliards de F Cfa.
Toutefois, la Cour des comptes a décelé des entorses, anomalies, irrégularités sur plusieurs opérations. Des «tirages sur ressources extérieures supérieurs à ceux affichés dans le rapport du gouvernement» à l’«encours de la dette bancaire hors cadrage supérieur au montant affiché dans le rapport du gouvernement», en passant par «un déficit budgétaire supérieur», un «service de la dette bancaire hors cadrage non retracé», etc. Cependant, les auditeurs de la Cour des comptes n’ont fait aucune recommandation allant dans le sens de l’ouverture d’une information judiciaire. Ni décelé aucune situation susceptible d’être considérée comme du détournement de deniers publics. Ils n’ont pas non plus demandé la traduction d’un quelconque agent devant la Chambre de discipline financière. Dès lors, par quelle gymnastique, Ousmane Diagne, le ministre de la Justice, est-il arrivé à définir des catégories d’infractions et des personnes qui devront répondre devant les juridictions compétentes, en l’occurrence la Haute cour de Justice et le Parquet financier ? N’était-il pas plus judicieux de s’inscrire, comme le ministre des Finances Cheikh Diba, dans une dynamique de correction ? «Nous nous engageons dès aujourd’hui à mettre en œuvre des réformes structurelles ambitieuses pour garantir la soutenabilité budgétaire et la prospérité de notre Nation», dit ce dernier
En somme, si le rapport devait être résumé, il faudrait juste dire : «circulez, il n’y a rien à voir» ou «il n’y a pas de quoi fouetter un chat». En effet, tout ce qui a été dit, en grande partie, a été dit dans les précédents rapports de la Cour des comptes, particulièrement les lois de règlement et le rapport sur la dette. Ce rapport a plus mis à nu les dysfonctionnements du ministère des Finances que de supposées falsifications et maquillages de chiffres. Est-ce la raison pour laquelle ce n’est pas le Premier ministre qui s’est présenté pour commenter les résultats ? Ce rapport va enfoncer davantage le Sénégal. Et l’opération de décrédibiliser le Sénégal se poursuit. D’ailleurs, les euro-obligations souveraines du Sénégal ont chuté après la publication du rapport. Le fort des populistes au pouvoir, c’est de peindre finalement la normalité en scandale.