L’ÉTAT D'URGENCE DES PRISONS SÉNÉGALAISES
Environ 14 000 détenus se partagent 10 000 places. Les détentions provisoires peuvent durer jusqu'à six ans. Une situation explosive qui, selon l'ONU, "peut entraîner des conséquences dramatiques"
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(SenePlus) - Une poudrière qui menace d'exploser. C'est le constat alarmant dressé par Alice Jill Edwards, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la torture, à l'issue de sa mission d'inspection des prisons sénégalaises menée du 3 au 14 février, rapporte Jeune Afrique. Le tableau qu'elle dépeint est sans appel : une surpopulation carcérale atteignant 40%, des conditions de détention qualifiées d'inhumaines et un système pénitentiaire au bord de la rupture.
Les chiffres sont éloquents : environ 14 000 détenus se partagent 10 000 places dans 37 établissements pénitentiaires à travers le pays. Une situation explosive qui, selon la rapporteuse spéciale citée par Jeune Afrique, "peut entraîner des conséquences dramatiques, telles que des émeutes, des violences ou la propagation soudaine et incontrôlable de maladies infectieuses ou transmissibles."
Le problème est d'autant plus grave que les normes d'occupation sont parfois définies selon des critères budgétaires plutôt que sur la base du nombre de lits disponibles. Certains détenus ont confié à la rapporteuse qu'ils avaient "l'impression d'être détenus dans des conditions proches de l'esclavage".
Seydi Gassama, directeur exécutif d'Amnesty International Sénégal, confirme à JA la vétusté des installations : "Héritées de l'époque coloniale, celles-ci sont vétustes et surpeuplées." La construction de nouvelles prisons reste exceptionnelle, comme à Fatick ou à Sébikotane, la tendance étant plutôt à la rénovation des bâtiments existants.
Face à cette situation, la rapporteuse de l'ONU suggère de s'inspirer d'autres pays qui ont vendu leurs anciennes prisons coloniales pour les transformer en hôtels, utilisant les fonds pour construire des établissements modernes.
L'enquête révèle également des dysfonctionnements majeurs dans le système judiciaire. La détention provisoire peut s'étendre jusqu'à six ans dans l'attente d'un procès. Selon Seydi Gassama, cité par Jeune Afrique, cette situation s'explique en partie par "la culture punitive du ministère public", les procureurs requérant presque systématiquement la détention, même pour des infractions mineures liées aux réseaux sociaux.
Le manque de magistrats aggrave le problème en rallongeant mécaniquement la durée des instructions. La rapporteuse préconise des mesures radicales, notamment la réduction automatique de 20% des peines pour les condamnations de plus de trois ans et la libération des détenus en attente de jugement depuis plus d'un an, sauf pour les crimes les plus graves.
Depuis l'alternance politique récente, Jeune Afrique note quelques évolutions positives : "De plus en plus de délinquants présumés sont jugés en flagrant délit" et les peines prononcées sont souvent assorties du sursis ou relativement courtes, selon Seydi Gassama. Le gouvernement montre également sa volonté d'agir, avec la construction en cours d'une nouvelle prison de 2 500 places et le développement d'alternatives à l'incarcération, comme le bracelet électronique.
Toutefois, ces mesures semblent insuffisantes face à l'ampleur du défi. Le système carcéral sénégalais nécessite une réforme en profondeur pour sortir de cette situation que l'ONU qualifie d'inhumaine, conclut le magazine panafricain.