LE DRAME SANS FIN DE JEUNES MAMANS
Un bébé ! C’est neuf mois de grossesse, mais c’est aussi toute une vie de complications, de protection, de prise en charge et d’encadrement pour pouvoir espérer un avenir radieux
Un bébé ! C’est neuf mois de grossesse, mais c’est aussi toute une vie de complications, de protection, de prise en charge et d’encadrement pour pouvoir espérer un avenir radieux. De la grossesse à l’accouchement en passant par l’éducation, il y a à boire, à voir, à entendre, à redresser, à corriger et à faire. Ce qui n’est pas un « jeu » gagné d’avance ! Mais une grande responsabilité sur les épaules de la mère. Une très grande responsabilité même. D’où la maturité, les capacités, l’accompagnement social, psychologique et médical pour mener à bien une grossesse durant ses différentes étapes. Malheureusement, ces conditions essentielles dans la survie de la mère et son enfant connaissent parfois des manquements. Surtout pour les cas de grossesses précoces, ou non désirées et issues parfois de viol ou d’inceste avec surtout les conséquences gynécologiques. La honte, le repli sur soi, le camouflage avec des habits amples, la culpabilité... D’où l’infanticide et l’avortement clandestin qui ont aujourd’hui conduit plusieurs filles en prison. Coup de projecteur sur les dangers des grossesses précoces et l’importance de l’éducation sexuelle au sein de la famille.
GROSSESSES PRECOCES DESIREES OU NON DESIREES : Des «Bébés mamans» temoignent sur leur expérience douloureuse !
Elles sont très jeunes, très jeunes ces filles qui, par la force des choses, sont devenues très tôt mères. Et qui vont aussi devoir éduquer seules un enfant d’un propre père, grand-père, copain, cousin voire un inconnu. Ce qui n’est pas une chose aisée. N’est-il pas un crime de confier une telle tâche à un «bébé»?
En tout cas, ce vieux «kalabanté» de plus de 70 ans n’oubliera jamais ce plaisir charnel devenu subitement une bombe à la fois sociale et judiciaire. Il croupit depuis quelques mois en prison pour avoir engrossé sa propre petite fille. La maman de cette dernière, étant sa fille, était contrainte de quitter le domicile conjugal pour venir s’occuper d’un papa «malade». Un père qui va plutôt dévier sa prise en charge familiale sur sa fille en classe de CM1 à l’élémentaire pour l’avoir trompé avec de petits cadeaux et des pièces de 100 ou 200 francs. A chaque fois qu’elle venait déposer son repas dans sa chambre, il lui donnait de petits cadeaux. La fille aurait fini par trouver du plaisir à ces petits gestes. Le grand père en a profité pour faire des attouchementssur elle avant de passer plus tard à l’acte sexuel suivi de grossesse. C’est un témoignage d’un habitant du quartier où s’est déroulée la scène à Louga. Saphie, elle vient d’avoir ses 18 ans le 30 avril dernier. Elle a grandisans père, ni mère au milieu de ses frères et sœurs. Leurs parents sont décédés suite à un accident de la circulation. Ce qui n’avait pas trop affecté ses études pendant quelques années avant de tomber entre les mains d’un prédateur sexuel sur la route de l’école. Son bourreau qui a presque l’âge de son père l’a laissée aujourd’hui avec un enfant ce qui a occasionné l’arrêt de ses études. Elle vend de la crème glacée. Sa sœur, Khady, pense que la disparition de leurs parents y a joué un rôle. «Si papa et maman étaient là à nos côtés, je parie qu’elle n’allait jamais être mise en grossesse. Ils ne badinaient pas avec notre éducation. C’était presque comme une rigueur militaire», a-t-elle dit
Des histoires, des drames, des trajectoires…
Sadiya, elle aussi, est une autre maman adolescente qui s’est retrouvée dans cette même situation juste après l’obtention de son Brevet de fin d’études moyennes (Bfem). Après l’accouchement, sa douleur est plus que vive et intense. Rejetée par sa famille, elle s’était retrouvée toute seule avec un nouveau-né dans les bras. «Heureusement, j’ai été accueillie par cette femme qui m’a accepté comme femme de ménage. Elle travaille. Mais comme son mari est à l’extérieur, Alhamdoul’Allah, la charge du travail n’est pas trop lourde. En plus, elle adore le bébé. C’est comme si c’est son propre fils. Elle n’a pas eu d’enfant. Cela a peut-être joué, mais elle fait toute sa joie. Partout où elle part, si elle n’est pas au boulot, elle prend l’enfant avec elle», a-t-elle témoigné à l’endroit de cette bonne volonté qui l’a hébergée chez elle.
Elle est plus chanceuse que Ndèye, 19 ans, dont la vie est une succession d’échecs. Elle n’a pas su résister aux mains tendues en subissant abus sur abus. Fragile et instable, elle peine à s’occuper de son bébé à plein temps. Elle vit chez sa grandmère, très âgée. «Quand tu n’as pas quelqu’un pour t’encadrer, c’est dur», a-telle dit parlant de sa peine face à un «père» démissionnaire. Safi ne peut plus continuer à compter sur lui malgré son parcours scolaire interrompu. Des regrets, elle en a accumulés en pagaille. Surtout l’épisode des crises chez sa fille qui tombe souvent malade. Elle a vu son adolescence contrariée. La prise en charge d’un bébé maladif, dit-elle, «c’est une grande souffrance»! Son calvaire ne s’est pas arrêté après l’accouchement. Il s’amplifie même. Mais elle essaie tout de même de supporter la charge. Pour la nourriture, la petite maman fait du porte à porte. «Je squatte aussi les marchés et portait les bagages pour certaines dames venues s’approvisionner. On me donne 100 ou 200 francs. Il arrive dès fois que je tombe sur une bonne dame qui m’offre 500 ou 1000 francs». C’est avec surtout ce «petit boulot» qu’elle arrive à prendre soin de son enfant à côté de sa grand-mère.
A quelques petites minutes de chez Ndèye, Sali est une jeune mère qui vit la même situation difficile, même si c’est pour une raison différente. Plus connu sous le nom de «Maman», il y a un peu plus de 5 ans, l’adolescente expérimentait une toute nouvelle vie. Une vie de maman quand elle portait une grossesse à l’âge de 17 ans. Elle a terminé celle-ci dans le domicile familial, mais presque isolée. «Pendant mes trois derniers mois de grossesse, mon père m’a tourné le dos, ma maman aussi m’abreuvait d’injures. Je ne faisais que pleurer. Mais Dieu merci, j’ai eu une fille», a-t-elle narré. Elle qui dit porter sa fille dans son cœur. «C’est ma raison de vivre, sinon....»? Sinon quoi? Une question à laquelle elle refuse de répondre. Tout ce qu’elle souhaite aujourd’hui, c’est que son père redevienne comme avant. Il dit qu’elle ne me compte plus comme membre de la famille. Il refuse en quelque sorte d’accepter cet accident, cette expérience pourtant très douloureuse». Elle souhaite donc le pardon de son père très en colère contre elle. Un papa qui l’a rejetée dès l’annonce de la nouvelle. Tout parent souhaite le bonheur de ses enfants, sa réussite, son bien-être et son épanouissement. Une fille qui grandit, qui fonde un foyer et fait des enfants dans un couple, c’est aussi un autre souhait de tout parent. Si ce n’est pas le cas, cela fait mal, et provoque parfois le rejet de l’autre. Il arrive que les parents rejettent leurs filles enceintes. Des filles qu’on renie pour des «erreurs» de jeunesse.
Dans le cas de Mariama Faty, il n’y a pas eu de rejet, mais cela a fait naitre un sentiment d’échec. «Elle ne va plus à l’école. C’est un échec. Mais on a supporté. Cela n’a jamais été une situation rêvée. Les vœux des parents, c’est d’avoir une enfant qui va à l’école, qui réussit et qui a un bon avenir. Je ne suis pas cadre ni fonctionnaire. On avait fondé beaucoup d’espoirs sur elle. Malheureusement, je me suis retrouvée dans une situation que je n’ai jamais voulue. Je me disais que si elle a au moins le bac, un jour ou un autre, elle allait avoir une situation voulue. Mais en classe de troisième, la grossesse est survenue. Le bourreau, au début, il se présentait comme un père modèle. Il avait même promis le mariage.
Mais quelque temps après, ils’est évaporé. En tout cas, on n’a plus de ses nouvelles». Il serait en prison, selon la maman ado qui, avec ses parents,se chargent, de l’éducation de l’enfant. Un enfant de 5 ans qui demande souvent après son père qui, à sa naissance, se pointait à chaque occasion. En tout cas, cette vie, ses parents ne l’ont jamais rêvée. Cette déception! Mais mettre sa fille dans la rue avec son enfant n’a jamais été une bonne option pour lui. Un petit fils qu’il aime tant et qu’il entend assurer une inscription à l’école dès l’année prochaine. Il souligne que, «le jour où la famille de l’enfant prendra la décision de continuer sa scolarité et sa prise en charge, tant mieux. Sinon, on va se débrouiller jusqu’à la mesure du possible». Après 30 ans passés, Mégou ressent encore un sentiment de culpabilité. Elle avait contracté une grossesse alors qu’elle était encore adolescente. A 48 ans, elle s’en souvient avec des regrets comme si c’était aujourd’hui.
Sentiment de culpabilité, regrets
Alors qu’elle est devenue maman poule en charge de l’alimentation, du logement et de la scolarité de ses 5 enfants. Elle revient sur ces moments difficiles. L’enfant hors mariage est aujourd’hui cadre dans une société de la place. Il s’est même mis la corde au cou, il y a deux mois. «J’étais en relation avec un jeune homme comme moi quand j’étais jeune fille. On s’est retrouvé dans cette situation. Mais le problème c’était comment l’annoncer aux parents? C’était très difficile. J’ai finalement décidé de me taire et de les laisser constater. Maman, comme d’habitude, a été la première à porter des soupçons. Elle a essayé un tête-à-tête avec moi. Je lui ai dit et elle a affiché son mécontentement. C’est après qu’elle a informé mon papa que les choses ont tourné mal. Il m’a rejeté et m’ordonnant de quitter sa maison. C’est là où je suis allée me refugier auprès de ma grande sœur avec l’aval de son mari qui vivait en France». Comme si elle était en train de revivre la même situation, il y a 30 ans, elle parle à voix saccadée. Pour une grossesse accidentelle, tous ses rêves ont été mis en veilleuse. Sans sous, elle se retrouve dépendante des autres. Un sentiment de culpabilité l’anime depuis maintenant 30 ans.