LE MARIAGE EST UN PROJET DE VIE QUI DONNE DES VIES
Dr Massamba Guèye chercheur, écrivain, conteur, traditionnaliste, manager et fondateur de Kër Leyti, la Maison de l’oralité et du patrimoine décortique le slogan «Goor dou projet» et redoute une «catastrophe sociale».
Dr Massamba Guèye est chercheur, écrivain, conteur, poète, critique littéraire et traditionnaliste. Dans cet entretien, le manager et fondateur de Kër Leyti, la Maison de l’oralité et du patrimoine décortique le slogan «Goor dou projet» et redoute une «catastrophe sociale».
Que comprendre de cette expression ‘’Goor dou projet’’, qui fait fureur, comme ‘’Took muy dox’’ d’ailleurs ?
Dans le cadre de la communication politique globale, il y a des expressions outrageantes à travers desquelles on voit une connotation opportuniste, «took muy dox», qui signifie ne rien fournir comme effort, faire marcher les choses sans rien faire. Ce qui veut dire que nous sommes dans une position d’exploitation des autres. Donc, quand on le met dans le contexte d’un rapport entre l’homme et la femme, cela veut dire que l’homme considère la femme comme une identité à séduire. Et dans ce cadre, la femme considère que l’homme n’est rien d’autre qu’une usine de production de biens. Donc, en chercher un pour lui soutirer tout ce qu’on peut. On voit donc le danger qu’il y à instaurer des slogans politiques parce qu’ils rentrent dans les mœurs, dans les familles et peuvent avoir des conséquences.
On a l’habitude d’entendre un projet de mariage... Il se réalise parfois, échoue aussi. Peut-on limiter la vie de couple à un projet ?
La vie de couple n’est pas un projet. C’est un élément d’un projet de vie. Chaque être humain a un projet de vie. Et dans le projet de vie global, il y a des étapes. Car, au début, on a des projets scolaires, puis des projets universitaires ou encore des projets professionnels. A un moment, arrive le besoin d’insertion sociale dans notre communauté, et le mariage est un acte de socialisation qui consacre un certain niveau de responsabilité. Le mariage n’est pas un projet économique, ce n’est pas un projet qu’on élabore. Mais, c’est un projet de vie extraordinaire parce que, c’est un projet de vie qui donne des vies.
Mais où va-t-on lorsque des femmes qui disent que dans leur vie l’homme n’est pas un projet sous prétexte qu’elles sont veuves, qu’elles ont souffert dans leurs foyer, etc. ?
Mais, on va vers la catastrophe sociale. Parce que quand une communauté tue le mariage, il y a trois possibilités : La première, c’est le développement de l’adultère et la grande consécration de la prostitution, parce que les gens ont des besoins biologiques. Et pour satisfaire ses besoins biologiques en dehors du cadre du mariage, il n’y a que cela, l’adultère ou la prostitution. La deuxième conséquence, c’est qu’à un certain âge, quand on n’a pas quelqu’un avec qui partager certaines détresses, à qui se confier, on peut être dans une psychose. Ce qu’on appelle une destruction d’une mentalité sociale. Et la troisième conséquence, c’est que, vraiment, on est dans la représentation et les emprunts culturels. Dire que dans une société comme la nôtre que le mariage n’est rien d’autre qu’un poids et prôner la vie matérielle, individuelle, c’est une société d’emprunt. On est en train de vivre sous le cliché de la société occidentale.
Alors, un projet doit aussi être financé non ? N'est-ce pas l’aveu d'un matérialisme ?
Quand on considère que le mariage est un projet ou il faut être financé, c’est qu’on rame à contre-courant des valeurs traditionnelles et de l’islam et des valeurs chrétiennes. C’està-dire, on cherche des gens d’une certaine qualité humaine, d’une certaine qualité au niveau des valeurs éthiques pour pouvoir construire un idéal de vie avec eux. Et ces gens sont forcément des travailleurs qui se suffisent de ce qu’ils ont. Ils peuvent être extrêmement riches, moyennement riches, ils peuvent de temps en temps aussi avoir des hauts et des bas. Parce que considérer que c’est un projet économique, cela veut dire que le jour où vous épousez quelqu’un de riche, quand il perd son argent, vous lui tourner le dos. Donc, elle est où la sincérité humaine ? Elle est où la relation ? Comme on le dit en wolof, le cœur n’est pas une pierre.
Est-ce à dire que nos jeunes d’aujourd’hui sont en train de fouler au pied nos traditions? Et où se situe la responsabilité… ?
La responsabilité c’est d'abord les parents. Parce que, quand vous avez un jeune qui n’a aucune connaissance de son environnement culturel, de ses valeurs religieuses et éthiques, il est normal qu’il soit un enfant du plaisir. Et vous savez, quand vous avez des enfants du plaisir qui naissent dans le plaisir dont les anniversaires sont fêtés dans le plaisir, dont les vacances sont fêtées dans le plaisir, ils n’ont pas de rapport construit avec l'inconstance de la vie. Et comme, ils n’ont pas de rapport construit avec cette inconstance de la vie, philosopher sur la vie, penser la vie, réfléchir sur l’humain n’est pas leur prérogative. Tout ce qui les intéresse, c’est quel est mon bonheur ? On rentre dans un égoïsme installé et c’est un grand danger. C’est la résultante de tout cela.
Donc, est-ce qu’il n’est pas nécessaire de faire un «ndeup» ?
Je pense que le projet de réorganisation du système scolaire doit obéir à ces trois principes. Il y a un principe d’ancrage culture, un principe d’éducation culturelle et un principe d’ouverture linguistique. On parle de «ndeup» national, mais évidemment on est dans le «ndeup» national depuis 2021. Et ce «ndeup» national-là, je pense qu’il faut que les gens en sortent plus sereins mais pas plus fous.
Est-ce que c'est dû à la modernité avec l’avènement des réseaux sociaux qui entraineraient tous ces écarts ?
Mais on a récupéré des éléments que nous ne maitrisons pas. Les éléments de réseaux sociaux qui étaient des éléments de construction de relations sont devenus des éléments de destruction des relations. Nous avons beaucoup de gens qui n’ont pas un niveau scolaire en arabe ou en français ou en anglais consistant. Et généralement, ces gens peuvent être manipulés par ces réseaux-là. Le dernier élément, c’est la responsabilité de nos familles. Dans nos familles, quand quelqu’un n’a rien, il n’est rien. Les médias aussi sont responsables de la vulgarisation des obscénités. Quand je regarde les débats politiques sur les plateaux, je me demande d’où viennent ces gens-là. On est juste dans du crêpage de chignons, dans l’insulte, l’invective, le parjure, etc. Et ces jeunes n’ont que ces références-là. Tant que dans nos médias on n’aura aucune tranche pour les jeunes, pour les enfants, on continuera à subir le contenu des autres.
Le mari ou l’homme est-il réduit à un «bailleur», alors que les femmes aussi travaillent ?
Mais, si le mari est réduit à un bailleur, il devient un frappeur. Dans nos sociétés, la femme a toujours travaillé
Qu'est-ce que cette société en déliquescence prépare l'individu ?
On le prépare à l’acquisition de l’argent, au succès, les belles voitures, la nomination, l’accès au pouvoir. Mais on ne le prépare pas à la sérénité des consciences.