MATERNITÉ ET VIE PROFESSIONNELLE, LE DOULOUREUX DILEMME
Elles reprennent le boulot avec un cœur lourd, deux mois après la naissance de leur enfant. Elles, ce sont les mères salariées au Sénégal. Parfois obligées de choisir entre l'emploi et le bébé, plusieurs préfèrent abandonner travail et rêve d’indépendance
C’est avec un cœur lourd qu’elles reprennent le boulot, deux mois après la naissance de leur enfant. Elles, ce sont les mères salariées au Sénégal. Obligées parfois de choisir entre leur emploi et leur bébé, elles sont nombreuses à préférer abandonner travail et rêve d’indépendance. A défaut d’une rallonge de leurs congés, elles réclament des crèches dans les lieux de travail.
Fatoumata Baldé et Khadija Thiam ont certes des trajectoires différentes, mais elles sont liées par un destin similaire. Parce qu’elles sont femmes, elles ont perdu leur emploi dans presque les mêmes circonstances. Obligées de choisir entre le travail et leur nourrisson, elles ont eu le dilemme de leur vie. Si beaucoup de femmes parviennent à allier les deux, elles n’ont pu le faire et ont été contraintes de se mettre en veille pour ne pas dire un terme à leur carrière.
Aujourd’hui, quand elles y pensent, ces braves dames en veulent au Code du travail sénégalais qui, estiment-elles, ne prend pas en compte suffisamment les conditions de vie des nouvelles mamans.
Ressortissante de Kolda, Fatoumata travaillait comme superviseur dans un incubateur de startup. Elle vit seule dans le quartier traditionnel de Yoff, loin de sa belle-famille qui crèche dans la banlieue, précisément à Tivaouane Peulh. Toute seule avec un nourrisson de moins de 3 mois dans les bras, la jeune dame était appelée à rejoindre le boulot, huit semaines seulement après la naissance de son bébé, conformément aux dispositions du Code du travail. C’était mission quasi-impossible. Elle décide alors de jeter l’éponge et de se consacrer à son foyer et à son nourrisson, après deux ans de service.
Elle témoigne, d’un air empreint de regret : ‘’Mon expérience de maman me pousse à demander aux autorités de mieux réglementer le Code du travail, en ce qui concerne les congés de maternité. Il est impossible, pour quelqu’un qui a porté un enfant pendant neuf mois, avec tous les risques, toute la fatigue de la grossesse et les complications, de reprendre le travail deux mois après l’accouchement. Personnellement, j’ai failli y passer. J’étais fatiguée physiquement et mentalement atteinte. Je pense aujourd’hui qu’il faut un projet de loi en ce sens pour aider les femmes.’’
Aujourd’hui, des mois ont passé, le petit bout de bois de Dieu grandit, mais Fatoumata Baldé, elle, peine encore à oublier. Elle plaide pour une révision des dispositions législatives prenant en charge la condition des femmes en âge de procréer. Lesquelles, soutient-elle, souffrent en silence, après la joie de la maternité. ‘’Quand on commence à faire des enfants, on devient perplexe, parce que les congés sont insuffisants. Je suis venue de la Casamance et je n’ai pas une personne de confiance à qui confier un nourrisson de 2 mois. Et si je reprends, je ne pourrai pas être productive au bureau, parce que je n’aurai pas l’esprit tranquille’’, laisse-t-elle entendre dans un débit posé.
‘’J’étais obligée d’emmener mon fils en cachette au bureau’’
Pour sa part, Khadidja Thiam a essayé, par tous les moyens, de trouver une solution à ce casse-tête. Mais sans succès. Elle a finalement pris la décision douloureuse de tout jeter à l’eau, après la venue au monde de son deuxième enfant. Ex-caissière dans une banque de la place, elle raconte sa mésaventure, à la première expérience. ‘’J’ai pleuré le premier jour de la reprise, car mon bébé ne voulait pas dormir et n’arrêtait pas de larmoyer, mais j’avais un collègue compréhensif qui tolérait mes retards’’, indique-t-elle.
Seulement, au bout de quelque temps, ils ont été reversés dans un service de transfert d’argent. Une mutation qui a rendu les choses plus complexes, parce que, dit-elle, il fallait travailler des journées entières. ‘’A 4 mois, mon bébé souffrait d’une pathologie et devait subir une circoncision. Par conséquent, je devais m’occuper de lui. Et là, j’étais décidée à tout risquer pour prendre soin de lui. Je suis alors restée une semaine sans aller au travail. Il fallait que je me sacrifie, malgré les mises en garde de mes supérieurs. Ensuite, lorsque j’ai déménagé à la Médina, j’emmenais secrètement mon enfant au bureau, faute de bonne ou de nounou’’.
Malgré tout, Khadija a tenu bon. Elle a réussi difficilement à allier ses deux rôles. Pour sa deuxième grossesse, elle a eu moins de culot. En plus de supporter ses nombreux soucis de santé, la jeune dame n’avait plus de force pour endurer les remontrances de son supérieur. Elle rapporte : ‘’J’étais prête à le trainer en justice, en cas de renvoi. J’ai accouché à 37 semaines de grossesse par césarienne et j’ai perdu trois semaines de mon congé, car je n’étais pas à terme. Finalement, j’ai démissionné à six jours de la fin de mes congés, à cause de tous ces antécédents. J’ai alors décidé de me lancer dans le commerce en plein temps et mettre en place ma boutique.’’
Ce calvaire, elles sont nombreuses, les femmes, à l’avoir enduré. Madame Thiam se remémore l’expérience de sa mère, enseignante, qui a été obligée de sevrer ses enfants au bout de deux mois, pour reprendre service dans les régions. ‘’Une fois, elle avait décidé d’emmener une de mes sœurs dans les régions où elle était en service. Mais le bébé était tombé malade à cause de la chaleur. Elle a été évacuée par hélico. On a toujours un problème de conscience dans ces cas-là, car un enfant a besoin d’amour maternel, alors qu’on veut être indépendante financièrement et s’épanouir dans un travail, mais ce n’est pas évident’’, regrette la caissière.
‘’Ma mère a sevré ses enfants au bout de deux mois’’
Si elles sont nombreuses à s’en sortir, beaucoup d’autres ont le stress de se retrouver dans la situation de Khadija et de Fatoumata. La plupart trouvent insuffisantes les six semaines prénatales et huit semaines postnatales prévues dans le Code du travail sénégalais. A défaut d’un rallongement de quelques mois supplémentaires, elles ont initié une pétition sur les réseaux sociaux, pour exiger le respect strict de ces 14 semaines.
Au fait, d’après ces plaignantes, beaucoup de femmes en état de grossesse ne bénéficient pas de l’intégralité de leurs congés, car si elles accouchent avant le terme prévu, elles perdent des semaines.
Pour Rokhaya Ba Diagne, initiatrice de la pétition, les femmes ont tellement l’habitude de vivre ces situations que la question est devenue banale. La jeune maman de 31 ans explique les raisons de sa démarche : ‘’Certaines femmes enfantent par césarienne avec toutes les complications que cela comporte. Elle passe par la suite des nuits blanches, à la naissance du bébé. Et si tout se passe bien, elles sont appelées à retourner au bureau à un mois et 25 jours. Peut-être que certaines peuvent être performantes et compétentes tous les matins, mais personnellement, je ne peux pas. Il se pose aussi le problème de la garde du nourrisson. Ce qui fait que nos journées sont partagées entre le bureau et la maison’’, argue la responsable de distribution dans une compagnie de la place.
Son bébé de 2 mois dans les bras, Mme Diagne le câline et le serre tendrement de temps à autre. La jeune maman au teint noir précise que son premier combat, à travers cette pétition, n’est pas l’augmentation des congés de maternité, mais plutôt le respect des trois mois et demi prévus par la loi. Néanmoins, elle pense qu’il serait important de voir économiquement ce qui est possible en matière d’augmentation. ‘’Le report, par contre, est déjà pris en compte. Donc, il doit être acté. Ce qui doit faire l’objet de discussion, c’est de voir économiquement combien de semaines postnatales on peut accorder à la femme. J’ai vu dans la nouvelle convention collective qu’ils permettent de prendre des congés sans solde. On est au Sénégal, ce n’est pas tout le monde qui peut se le permettre. Je pense que ce procédé n’est pas la solution, parce que toutes les femmes vont retourner travailler, elles ont besoin de leur paie’’, soutient-elle.
Les femmes divisées sur les solutions
Pour Khadija, la meilleure solution reste le rallongement des congés de maternité à, au minimum, six mois. Mais son point de vue n’est pas partagé par beaucoup de femmes professionnelles. Plusieurs d’entre elles se disent qu’avec un rallongement, les femmes risquent d’être lésées sur le marché du travail, d’autant plus qu’elles peinent déjà à s’insérer.
Toutefois, pour Fatoumata, il ne s’agit que d’une question de volonté étatique, tout en reconnaissant que ça peut être un couteau à double tranchant. ‘’Les entreprises peuvent, durant ces mois, trouver un remplaçant à la femme ; il peut être un collaborateur en interne ou un stagiaire. A défaut d’avoir ses six mois, on peut envisager peut-être quatre’’, plaide-t-elle.
Dans tous les cas, souligne Khadidja Thiam, il s’agit là d’une véritable question à régler. Bien qu’elle ait signé la pétition, elle pense que ce n’est pas la solution. ‘’Il y a des journées comme celle du 8 mars qui devait servir à prendre en charge ces préoccupations. Malheureusement, à ces occasions, les femmes sont plus préoccupées par le folklore et les festivités, alors que les doléances ne sont jamais prises en compte. Je peux comprendre les six semaines avant, mais pour les huit semaines après, c’est minime et avec ça, on nous conseille l’allaitement exclusif jusqu’à six mois’’.
Elle s’empresse toutefois de déclarer : ‘’Il faut cependant savoir que les femmes auront moins de chance d’être recrutées. Elles sont déjà discriminées dans le milieu du travail, leurs conditions font qu’elles ne sont pas compétitives dans plusieurs postes.’’
Implantation de crèches dans les structures
A défaut de l’allongement des congés de maternité, certaines signataires de la pétition sont favorables à l’implantation des crèches dans leurs structures de travail. C’est le cas de Fatoumata Baldé. La ressortissante de la Casamance reste persuadée que l’Etat doit mener une politique pour aider les grandes entreprises où les femmes sont plus actives à avoir des crèches d’entreprise. ‘’Si j’ai un nourrisson et que je n’ai pas un congé de quatre mois, je peux être tranquille, si je dépose mon bébé à coté de mon lieu de travail et passer à la pause pour le voir. On sera beaucoup plus productives et motivées au bureau. Nous ne pouvons pas étudier durant des années, avoir des diplômes supérieurs et se retrouver dans des situations inconfortables’’.
Aujourd’hui, elle se retrouve à la maison parce qu’elle n’avait pas une autre alternative. ’’J’ai été obligée de démissionner, car je n’ai personne à qui confier mon enfant. Mon état de santé n’était pas des meilleurs. La seule solution était d’arrêter et je suis obligée de reprendre à zéro et de chercher un autre travail. Ce qui n’est pas intéressant avec toutes les charges et responsabilités’’, se désole-t-elle.
Elle trouve paradoxale que nos autorités militent pour l’emploi, alors qu’il existe des femmes exclues du système, malgré leur riche parcours. Un avis qu’elle partage avec Woury Faye. L’enseignante plaide plutôt pour le recrutement des nounous dans les grandes écoles. ‘’Ce sera des espaces pour les femmes travailleuses qui pourront de temps à autre passer voir leurs enfants et être poche d’eux. Dans ces cas, les femmes seront plus productives, car elles auront l’esprit tranquille et ce sera possible de pratiquer l’allaitement exclusif’, narre-t-elle.
Cependant, pour Rokhaya Ba Diagne, cette option présente plusieurs limites. L’initiatrice de la pétition fait remarquer à ce propos que la plupart des entreprises se trouvent en ville, alors que certaines salariées habitent dans la banlieue dakaroise. ‘’Ce serait plus simple pour l’entreprise d’augmenter les jours de congés que de mettre en place des crèches. Il faut d’abord voir comment se fera la répartition. Est-ce que l’entreprise va supporter une partie ou la totalité des charges ? Car la crèche coûte cher’’, s’interroge-t-elle. Le deuxième problème est, d’après Mme Diagne, relatif aux complications du transport en commun qui risquent d’être insupportables quotidiennement pour les nourrissons. A cela s’ajoutent, d’après son analyse, les perturbations liées aux risques d’abus durant les heures d’allaitement. ‘’Il pourrait y avoir cette avancée plus tard, mais pour le moment, je pense qu’il est préférable de laisser la femme une semaine ou deux de plus chez elle. C’est plus soutenable économiquement et également moins risqué’’.
En attendant, elle invite à une démarche collégiale, afin d’obtenir gain de cause dans ce combat.