DIAWARA, LA OÙ TOUT A COMMENCÉ !
Elle a trainé la triste réputation d’avoir été le lieu de départ du conflit entre le Sénégal et la Mauritanie de 1989. Mais, Diawara tente aujourd’hui tant bien que mal de se départir de son lourd passé.
Elle a trainé la triste réputation d’avoir été le lieu de départ du conflit entre le Sénégal et la Mauritanie de 1989. Mais, Diawara tente aujourd’hui tant bien que mal de se départir de son lourd passé.
Des soldats en nombre se déploient sur les berges du fleuve séparant le Sénégal de la Mauritanie. Mais plus de peur que de mal ! Diawara est en fête. Loin des vieux démons de 1989, ce village sis à 18 km de Bakel se prépare à accueillir, en ce 22 octobre 2019, les forces de défense et de sécurité mauritaniennes dans le cadre des patrouilles bipartites organisées avec leurs homologues sénégalaises le long des frontières. Ces opérations ont pour but de lutter contre la criminalité transfrontalière et le terrorisme, de neutraliser les voleurs de bétail et autres malfaiteurs. Mais aussi et surtout de sensibiliser les populations sur le trafic des armes légères et sur la nécessité de respecter les lois et règlements en vigueur dans chaque pays.
Et pour des soucis d’inclusion, des discussions sont ouvertes avec les autorités administratives, locales, coutumières, religieuses et les populations. Mais les panels n’auront finalement pas lieu à Diawara après un faux bond des militaires mauritaniens à la fin de cette patrouille conjointe, la 11ème organisée entre 2018- 2019. Mais ce petit imprévu ne va pas gâcher la fête. Dès le lendemain, Diawara vit au rythme du match de football tant attendu entre les militaires et une équipe locale. Tous les chemins mènent ainsi au stade municipal de la localité. Un jeune capitaine récemment nommé commandant de la Place d’armes de Bakel est derrière toute cette organisation. Il s’active pour marquer de son empreinte la réconciliation-renaissance de la cohabitation pacifique des peuples de part et d’autre de la rive du fleuve Sénégal. Très diplomate, le capitaine Moustapha Sambe essaye de garder de très bonnes relations avec ses principaux interlocuteurs de l’armée mauritanienne. Il reconnait cependant que les différends entre agriculteurs et éleveurs constituent l’une des principales problématiques à gérer par les deux pays.
Et pour pallier cette situation, dit-il, une des solutions, en plus de la sensibilisation et de la concertation des parties, c’est la délimitation exacte des couloirs de passage du bétail vers le fleuve et les zones de pâturage. D’ailleurs, les évènements de 1989 entre la Mauritanie et le Sénégal ont pris départ à Diawara suite à une banale histoire entre bergers et agriculteurs. Une trentaine d’années après, ce mauvais souvenir reste gravé dans la mémoire collective. «Je me rappelle les coups de feu. Les avions survolaient au-dessus de nos têtes. Les saccages de boutiques de Maures, je m’en souviendrai toujours. Et quand il y a eu l’apaisement, on allait jouer dans les tranchées creusées par l’armée sénégalaise. On y entrait pour jouer», se souvient Abdoul Khadre Bomou qui était très jeune à l’époque. Il avait six ans quand les évènements se sont produits. Aujourd’hui, il enseigne l’Histoire et la Géographie au lycée mixte de Diawara. Les évènements l’ont marqué à tel point qu’il a réservé son mémoire de spécialité à la FASTEF à cette question. Son mémoire est intitulé : «Diawara, foyer originel du conflit sénégalo-mauritanien : reconstitution des faits à travers la mémoire collective».
Dans ce document, Abdoul Khadre Bomou qui a interrogé de nombreux témoins de l’époque revient sur les origines immédiates du conflit en rappelant les événements successifs qui ont eu lieu entre les cultivateurs soninkés de Diawara (Sénégal) et les éleveurs Peuls de la Mauritanie sur l’île Dunde Xore. Il indique qu’une simple altercation entre cultivateurs et éleveurs a rapidement dégénéré en un conflit sanglant avec plusieurs morts. «Ne supportant plus les troupeaux de Peuls mauritaniens en divagation dans le Dunde Xore (Ndlr : Grande-Île en Soninke), une bande de terre très fertile sur le cours du fleuve Sénégal, les cultivateurs de Diawaranko les capturent avant de les abattre. Une action qui n’a pas dissuadé les bergers de l’autre côté de la rive de récidiver en introduisant une nouvelle fois leur bétail dans les champs des Diawaranko.
Considérant ceci comme une provocation de plus, les Diawaranko, sans se douter de rien, se ruent encore une fois vers le Dundé Xore pour récupérer les moutons. C’est ainsi qu’ils furent pris en embuscade par les Peuls armés de fusils et des militaires mauritaniens. Les premiers coups de feu créent une panique générale et font un mort sur le coup. Une autre personne blessée par balle a été prise en otage avec 12 autres personnes, avant de succomber à ses blessures».
LE «DUNDE XORE» ET LES PECHEURS SONINKE
Le Dunde Xore est séparé de la rive sénégalaise par une bande d’eau étroite, mais très profonde et qui ne s’assèche jamais. Alors que de la rive mauritanienne, elle est plus éloignée, mais les eaux sont très basses durant la saison sèche. Ce qui rend la traversée très facile. Toujours dans le document rédigé par Monsieur Bomou, on peut lire : «Au mois d’avril, sur l’Île les cultures sont déjà mûres, les récoltes sont presque finies, mais les paysans n’ont pas encore complètement abandonné les champs. Du côté de la Mauritanie, au mois d’avril le pâturage est épuisé, le bétail n’a plus rien à brouter. Alors qu’au niveau du fleuve, les eaux sont basses et la traversée devient facile pour les Peuls de la Mauritanie et leur bétail. C’est la conjugaison de tous ces facteurs qui font qu’à la même période, les Peuls de la Mauritanie qui craignaient pour la vie de leur bétail se retrouvent sur l’Île dans les champs des Soninkés du Sénégal qui voulaient tout exploiter sans rien laisser». Aujourd’hui, cette bande de terre est inoccupée. Depuis le conflit, les cultivateurs Diawaranko ne peuvent plus y aller pour cultiver. Un tour sur l’ile laisse entrevoir un sol écartelé, des herbes touffues et des branches des arbres entrelacées. Il est difficile de se frayer un chemin avec les épines de certaines feuilles. Derrière cette apparence de foret abandonné, des chaussures, des canettes entre autres objets font penser que le lieu est toujours fréquenté. «Il arrive que des gens viennent chercher du bois mort dans ce No man’s land», confie notre guide, un pêcheur Soninké, qui ajoute que ce sont les bergers peuls mauritaniens qui viennent toujours pendant la saison sèche. Fin connaisseur des sociétés vivant de part et d’autre du fleuve Sénégal, Djiby Damba, un des sages de la communauté des pêcheurs, affirme que les peuples sont les mêmes des deux côtés du fleuve. «Nos habitudes n’ont jamais changé envers les peuples d’un côté comme de l’autre entre le Sénégal et la Mauritanie que ce soit avant, pendant et après le conflit».
Cette communauté soninké constituée de pêcheurs a vécu sur place le face-à-face entre les deux armées sénégalaise et mauritanienne qui se sont longtemps regardées en chiens de faïence durant le conflit sans jamais se frotter carrément. Malgré ce climat tendu, leur activité n’a jamais changé. «Il y avait ici partout des militaires, des chars, des tranchées creusées le long du fleuve. Mais on n’a jamais bougé d’ici. Et depuis 1989, des policiers montent la garde en permanence ici pour surveiller les embarquements et les débarquements», dit-il. Aujourd’hui, ces pêcheurs assurent plus que jamais la traversée des deux côtés de la rive. «Nous avons toujours des parents en Mauritanie. »
RESPONSABILITE DES AUTORITES ADMINISTRATIVES
Pourtant, ces évènements malheureux pouvaient être évités, à en croire l’enseignant et fils de la localité Souleymane Bomou, si les autorités sénégalaises avaient réagi à temps. «Nous ne pouvons pas comprendre qu’il y ait des tensions pendant quatre jours entre cultivateurs sénégalais et éleveurs d’un autre pays sans que les autorités ne se saisissent de l’affaire. Nous nous demandons comment tous ces événements ont pu se passer au nez et à la barbe du sous-préfet de l’époque, un certain Ameth Ndiaye, sans qu’il ne prenne les devants ? Nous nous demandons, comment le préfet qui est à dix-huit kilomètres de Diawara n’a pas eu écho de ces événements ? Et s’il en a eu écho, pourquoi il n’a pas dépêché des éléments afin qu’ils sécurisent les lieux et dissuadent la population à se rendre sur l’Île ?», s’est-il interrogé. Et d’indiquer ensuite que c’est seulement le 9 avril vers 11 heures après les tueries et les prises d’otages que les forces de l’ordre sénégalaises sont intervenues pour prendre en main les choses.
En définitive, il en déduit un laxisme manifeste des autorités sénégalaises de l’époque face à cette succession d’événements. Aujourd’hui, Diawara revit. La localité a pansé ses plaies même si les familles de réfugiés vivant tout autour en constituent les cicatrices. «Les gens oublient dès fois que ces événements se sont une fois produits sur les lieux», rassure Souleymane Bomou adjoint-maire de Diawara. Cette résurrection, les associations d’émigrés y ont contribué, plus particulièrement le Comité de rénovation de Diawara (Coredia) qui se positionne comme l’intermédiaire entre la commune et certains de ses partenaires.
Les émigrés contribuent fortement à l’essor de la zone. Pratiquement dans chaque demeure, il y a émigré. Et ces Soninkés de la diaspora ont réalisé de nombreuses infrastructures dans ce village, que ce soit la station de pompage, les établissements scolaires, le centre de santé, etc. Au grand bonheur de Diawara qui, même au crépuscule, est animé autant que Bakel ville.