LES TUNISIENNES, GRANDES ABSENTES DE LA PRÉSIDENTIELLE
Omniprésentes dans les manifestations qui ont fait tomber Ben Ali en 2011, électorat courtisé lors des précédentes élections, les femmes sont largement absentes de la campagne tunisienne de 2019, qui privilégie les thèmes sécuritaires ou économiques.
Omniprésentes dans les manifestations qui ont fait tomber Ben Ali en 2011, électorat courtisé lors des précédentes élections, les femmes sont largement absentes de la campagne tunisienne de 2019, qui privilégie les thèmes sécuritaires ou économiques.
"Les hommes promettent beaucoup aux femmes. Mais lorsque 'M. Moustache' arrive au pouvoir, il ne se passe plus rien." Feryel Charfeddine a le sourire las. La place des femmes en Tunisie ? À quelques jours du premier tour de la présidentielle du 15 septembre, beaucoup font part de leur désenchantement.
Militantes passionnées, simples femmes de terrain ou anciennes élues, elles n'attendent "pas grand-chose" du scrutin. À l'image de Feryel Charfeddine, dirigeante d'une association de lutte contre les violences.
"Je ne suis pas pessimiste, je suis réaliste", affirme cette jeune femme, alarmée par ce qu'elle dit constater tous les jours sur le terrain : augmentation des violences, recul des droits, conservatisme de la société. "Les femmes ne s'intéressent plus à la politique. Inconsciemment, elles savent que c'est le même système patriarcal qui perdure."
"On est dans l'alibi"
En bonne place dans les manifestations qui ont fait tomber le dictateur Zine el-Abidine Ben Ali en 2011, électorat courtisé lors des précédentes élections dans la Tunisie post-révolutionnaire, les femmes sont largement absentes de la campagne de 2019, qui privilégie les thèmes sécuritaires ou économiques.
Sur 26 candidats, on compte seulement deux candidates : une avocate anti-islamiste, Abir Moussi, et une ancienne ministre, Salma Elloumi. "On est dans l'alibi", soupire l'avocate Bochra Belhaj Hmida, élue au Parlement depuis 2014, qui se retire de la politique.
"J'ai vécu une expérience très très riche, mais je quitte la politique sans regrets", confie à l'AFP cette figure du combat féministe en Tunisie.
Sans s'étendre sur la violence en politique, celle qui fut au cœur d'une campagne d'insultes et de dénigrement en raison de son combat pour l'égalité successorale femme-homme, sujet hautement inflammable dans le pays, raconte : "Les hommes attendent des femmes en politique qu'elles soient le moins dérangeantes possible, qu'elles ne débattent pas et surtout qu'elles ne décident pas. J'ai perdu beaucoup d'amitiés masculines."
Elle évoque aussi le manque de solidarité féminine, "comme s'il n'y avait qu'une place à décrocher et qu'il fallait écarter les autres".
"Nous sommes mieux loties, mais entre avoir de bonnes lois et les faire appliquer..."
Ce climat parfois éprouvant dissuade l'engagement. "Les femmes ne se sentent pas soutenues et il n'y a pas de volonté des partis politiques de changer ça", affirme Zyna Mejri, une jeune militante.
Pourtant, la Tunisie est considérée, depuis son indépendance, comme une pionnière des droits des femmes dans le monde arabe et musulman, avec l'adoption en 1956 du code du statut personnel, qui a notamment aboli polygamie et répudiation.
Ces dernières années, le défunt président Beji Caïd Essebsi, qui se vantait d'avoir été porté au pouvoir par les électrices, a fait voter plusieurs textes importants, comme une loi contre les violences faites aux femmes ou l'abrogation d'une circulaire leur interdisant d'épouser un non-musulman.
"C'est vrai que nous sommes mieux loties, mais entre avoir de bonnes lois et les faire appliquer...", nuance Zyna Mejri, pour qui le combat passe par un "changement des mentalités" en Tunisie.
"Schizophrénie", dit pour sa part Feryel Charfeddine, pointant le décalage entre l'image du pays progressiste et le conservatisme de la société.
Bochra Belhaj Hmida s'est souvent heurtée à l'agressivité de jeunes hommes qui ne comprenaient pas son combat pour l'égalité. Mais elle reste convaincue de la nécessité de débattre, y compris dans la violence, et admet avoir elle-même nuancé son point de vue.
"Quand j'ai réussi à établir le dialogue avec certains de ces jeunes, ça m'a aussi ouvert les yeux. J'ai pris conscience de leur frustration, du regard qu'ils pensent que les 'bourgeois' portent sur eux."
La question de savoir si la société tunisienne est "prête" à davantage d'égalité fait rugir Yosra Frawes, présidente de l'Association tunisienne des femmes démocrates.
"La question ne se pose même pas. L'égalité est un principe universel", rétorque-t-elle. Même si elle constate "un recul énorme" des droits des femmes sur le terrain.
Elle cite, pêle-mêle, les difficultés croissantes en matière de droits sexuels et reproductifs, la dégradation de l'accès aux soins, notamment dans les zones rurales, et l'appauvrissement des femmes.
Selon une récente étude de l'ATFD, plus de 80 % de la main d'œuvre agricole en Tunisie est composée de femmes et l'association a dénoncé la précarité de cette main d'œuvre "corvéable à merci".