VIDEOPOUR SALUER JEAN-KARIM FALL
Le célèbre journaliste a été accompagné dans sa dernière demeure par ses parents, amis et collègues
La scène avait pour décor la somptueuse résidence de l’ambas- sadeur de France au Sénégal. Le maître des lieux donnait une réception en l’honneur de journa- listes de France 24 venus à Dakar pour les besoins d’un séminaire.
Invité parmi d’autres confrères sénégalais à nous joindre à cette petite fête, j’avais l’immense plaisir de retrouver mon ami David Thomson qui travaillait à l’époque pour France 24. J’avais connu David quand il était stagiaire au journal Le Quotidien de Madiambal Diagne.
Ce garçon fou- gueux, un peu casse-cou, avait été grièvement blessé lors d’une mani- festation à Tunis par une décharge de chevrotine qui lui avait laissé 40 plombs dans la jambe. Par la suite, il est devenu l’un des plus grands spécialistes français du jihad, avec deux livres à succès.
David, si l’on peut le dire, avait découvert Rfi par mon entremise, lors de son séjour à Dakar et, par un curieux hasard du destin, allait devenir un reporter chevronné de la «radio mondiale».
C’est donc avec une grande fierté que Thomson tint à me présenter à son «boss» Jean-Karim Fall, une des «légendes» de Rfi pour qui, il le savait, je nourrissais une grande admiration.
Un peu intimidé de serrer la main à un journaliste aussi réputé, je lui rappelais un de ses reportages qui m’avait particu- lièrement secoué : l’exécution d’un soldat libérien devant un peloton, à Monrovia, pendant la guerre civile. Un reportage tellement vivant que j’avais eu l’impression d’assister à cette scène d’horreur, avec en fond sonore le chef du peloton hurlant «Fire ! Fire !»
A l’évocation de ce souvenir, Jean- Karim Fall se figea, très étonné que le gamin que j’étais à l’époque puisse se rappeler ce reportage. A voix basse, il nous confia à David et moi que cette exécution le hantait encore :
«Juste avant que les coups de feu ne partent, ce pauvre gars m’a réservé son dernier regard, dont je me souviendrai toute ma vie, comme s’il m’implo- rait de le sauver... Mon Nagra (appareil utilisé pour l’enregistre- ment) m’est tombé des mains quand il s’est effondré.» Et il ajou- tait que tous les reporters qui avaient couvert cette guerre civile, l’une des pires boucheries que l’Afrique de l’Ouest ait connue, en étaient revenus traumatisés.
Comme dans une sorte de thé- rapie collective, Jean-Karim Fall nous révéla encore que les «anciens» du Liberia se retro- uvaient parfois entre eux, autour d’un verre, pour conjurer leurs vieux démons. Ce témoignage bouleversant d’un aîné aux états de service aussi impressionnants marquèrent profondément le petit reporter que j’étais et me firent comprendre un peu plus les dan- gers d’un métier assez singulier.
Plus tard, lorsque Babacar Fall, mon collègue de la Rfm, le camé- raman Djiby Laye Diop de la Tfm et moi-même frôlâmes la mort à Djicoroni (Bamako), dans une fusillade entre «Bérets rouges» et «Bérets verts», qui fit deux morts sur le champ, je pris une fois de plus conscience des risques pris par des vétérans comme Jean- Karim Fall au Liberia et dans d’autres poudrières. Cette récep- tion à la résidence de l’ambassa- deur de
France fut pour moi l’u- nique occasion de rencontrer «JKF». Mes condoléances les plus émues à sa famille, à ses pro- ches et tous ceux qui ont eu à côtoyer ce très grand journaliste.
Barka BA
Journaliste