L’ECOLE OU LES FILLES S’EMPARENT DU CORAN
A LA DÉCOUVERTE DU DAARA AICHA
Emmitouflée dans un «meulfa», la cinquantaine, teint noir, taille moyenne, pas une once de maquillage sur le visage, un petit sac marron accroché dans le creux du coude, la propriétaire de l’établissement Daara Aicha, glisse comme une anguille au milieu du brouhaha des apprenants qui viennent de prendre la pause de 13 h. Aussi effacée qu’elle s’efforce de paraître, la pionnière, qui a été la première à relever le défi d’un Daara de filles, porte pourtant sur ses épaules la responsabilité de 1.500 élèves. une innovation au Sénégal. «Daara Aicha», composé à ses débuts d’une trentaine de potaches qui tenaient à peine dans une maison aux Parcelles Assainies, compte parmi ses élèves, le 3ème prix du concours de Mémorisation du Saint coran Malaisie 2014. Installée depuis 2005 dans le très populaire quartier de Grand-yoff, l’école fait son petit bonhomme de chemin sans tambour ni trompette et étend ses tentacules à Keur Massar, Mbao, aux Parcelles Assainies, en attendant la sous-région. «L’As» y a fait un tour.
La Sourate II, verset 261 du Saint Coran qui dit : «Ceux qui dépensent leurs biens dans les sentiers d’Allah ressemblent à un grain d’où naissent sept épis à cent grains l’épi, car Allah multiplie la récompense à qui il veut, et la grâce d’Allah est immense et Il est Omniscient», pourrait être la phrase de référence de l’établissement «Daara Aicha», niché au cœur de Grand-Yoff, derrière le marché «Bignona».
A voir l’imposant bâtiment peint en blanc-vert menthe et foncé, assorti aux couleurs des tenues et aux fleurs du jardin à l’entrée, on a du mal à s’imaginer qu’en 2005, il n’y avait pas de mur de clôture, ni de carreaux. La première salle de classe n’avait pas de porte, juste un rideau. Les appuis en argent, matériels scolaires,
ciment, carreaux, etc, peuvent venir de n’importe où ; en général de bienfaiteurs anonymes. On débarque avec des camions remplis de fer et de ciment et on repart sur la pointe des pieds… «La main d’Allah» sans doute.
EN 20 ANS, 1000 ELEVES ONT MEMORISE LE SAINT CORAN
L’aventure a débuté en octobre 1996. Mme Adja Binta Thiaw, sensible à l’éducation islamique des jeunes filles, a commencé à dispenser des cours chez elle, à l’unité 22 des Parcelles Assainies, avec 30 élèves. Au fur et à mesure, même sa chambre à coucher est occupée. Elle loue la maison en face de chez elle, puis, en 2005, déménage à Grand-Yoff. Les sortants de cette année seront la 19ème promotion et porteront à 1000 le nombre d’élèves ayant mémorisé le Coran. A la première promotion en 2000, elles étaient 7. Les parents des rares garçons (une soixantaine) ont dû faire des pieds des mains pour faire admettre leurs enfants, par souci de pragmatisme parce que leurs filles étaient déjà à l’école. Les garçons sont tous des externes.
A droite du bâtiment principal, deux boxes : les salles de classe au rez-de-chaussée, au premier et au deuxième, une grande salle en bas, où des femmes adultes reçoivent tous les mardis, leurs cours, gratuitement. L’aile gauche abrite les logements des enseignants. Des cars sont garés dans la cour. A l’intérieur, deux femmes,
dont l’une porte un enfant sur le dos, sont installées derrière le comptoir : c’est l’accueil et la caisse. Presque en face, il y a l’infirmerie, à droite, la salle informatique et la direction. A l’arrière-cour, sont installées la mosquée et la cuisine. Aujourd’hui, on prépare du vermicelle. Pour chaque repas, il faut un voeu entier. Quelques dames s’affairent autour d’assiettes d’oignons et d’autres ingrédients qui entrent dans le met du jour.
442 ELEVES AUX JARDINS D’ENFANTS
Surveillante générale et porteparole de l’école, Mme Rokaya Guèye liste les structures de l’école. Dans les chiffres, sont inclus les annexes des Unités 9 et 15 des Parcelles Assainies. Le jardin d’enfants compte 442 élèves, la «Mémorisation du Coran» (régime interne et externe) 900 environ, le Franco Arabe, du Primaire au
Secondaire, 300 élèves. Les femmes adultes, approximativement 200 (16h-18 h tous les mardis), sont issues de toutes les couches sociales et exercent tous les corps de métier : femmes au foyer, pharmaciennes, médecins, commerçantes… Des «daaras vacances» sous forme de colonies de vacances sont organisés pour 1 mois et demi à 2 mois. Beaucoup d’élèves, qui étaient dans d’autres établissements, se sont inscrits par ce biais. Parfois, les cours de vacances sont aussi une forme de test pour des parents hésitants au début. Celle qui mémorise le Coran est intronisée «Sokhna» et porte la tenue vert-menthe, les autres mettent le foncé. La directrice, toujours dans le souci d’innover, voulait des enseignantes pour les filles, mais n’ayant pas trouvé un nombre suffisant, elle s’est lancée, depuis 2006, dans la formation d’enseignantes.
D’ANCIENNES ELEVES EN PHARMACIE, MEDECINE, GESTION, TRANSPORT LOGISTIQUE….
D’anciennes élèves (une trentaine) sont revenues pour dispenser des cours. «Daara Aicha» emploie 165 personnes dont 87% de femmes. Les élèves viennent des quatre coins du Sénégal ainsi que de la Gambie, de la Guinée Conakry, du Maroc. Pour que ses membres mémorisent tous le Coran, une famille marocaine a séjourné pendant 3 ans au Sénégal. Rencontrée à la Direction, une pharmacienne venue payer la scolarité de sa fille témoigne : «ce que j’apprécie le plus ici, c’est l’apprentissage du Coran et la discipline. Ma fille était là et elle est aujourd’hui en cinquième année de pharmacie». L’établissement, qui partage son expérience, reçoit souvent de la sous-région des porteurs de projets d’école, qui viennent s’inspirer de son exemple. Leurs hôtes bénéficient parfois d’appuis techniques et de fonds financiers.
Les sortantes, qui n’ont fait qu’Arabe, ont une maitrise en langue Arabe et en Charia. Certaines ont trouvé du travail dans des pays Arabes, d’autres ont ouvert leur «Daara» (une cinquantaine). Une vingtaine d’étudiantes est à l’Université dont deux en Pharmacie. Elles sont aussi en faculté des Sciences. Il y en a qui ont choisi les filières «Gestion», « Transport logistique», etc. Daara Aicha a pour but d’offrir aux enfants un cadre de vie et un environnement propices à un bon épanouissement.
L’école veut aussi étendre ses tentacules par des «Daaras» annexes à travers tout le pays. Cependant, plus d’espace serait la bienvenue parce que certaines salles de classe servent de dortoirs. Aux parents récalcitrants, qui hésitent à inscrire leurs enfants dans des «daaras », Mme Rokaya Guèye demande d’avoir à l’esprit que le monde ne s’est pas fait en un seul jour. «On peut partir avec des moyens modestes et à force d’abnégation et de rigueur, arriver au sommet», dit-elle.
«JE VOUS LA CONFIE, ELLE N’A JAMAIS PASSE LA NUIT AILLEURS QU’A LA MAISON».
Les internes sont soumises à un régime rigoureux : réveil à 4h30, douche, petit-déjeuner, classe, prière… Les cours débutent avec les externes à 8 h. Une pause est observée à 13h ; l’après-midi 15-18h. L’appui et la confiance des parents sont incontournables, même si les choses ne sont pas toujours évidentes. Le premier jour, les parents se font un sang d’encre et disent souvent, suppliants : «je vous la confie, elle n’a jamais passé la nuit ailleurs qu’à la maison». Lorsque l’école refuse de faire une quelconque dérogation sur le règlement intérieur qui n’admet qu’une visite par mois, les parents prennent la mouche. Mais à la fin de la formation,
quand ils entendent leurs enfants réciter le Coran, les larmes coulent et ils se confondent en excuses…
CYCLE DE FORMATION
Au préscolaire : pour les enfants de 3 ans à 5 ans (en régime d’externat mixte) A l’élémentaire : dès l’âge de 6 ans (régime de pensionnat et d’externat) dans ce cycle, elles suivent : quatre ans d’enseignement personnalisés pour mémoriser le Saint Coran, quatre ans pour préparer le certificat de fin d’études élémentaires (Cfee), programme officiel et certificat d’études arabes.
Au collège : quatre ans pour préparer le Bfem
Au lycée : Série S et L
Evolution de 1996 à 2017 :
1996 : 30 élèves
1996-1997 : 170 élèves
2005 : 824 élèves
2013 : 1019 élèves
2014 : 1052 élèves
2017 : 1500 élèves
Elèves pensionnaires : 607 dont 73 élèves en Franco-Arabe
RESULTATS OBTENUS
1000 élèves ont mémorisé le Saint Coran, durant les 20 années passées réparties en 19 promotions.
L’ancienne élève Sokhna Ndombour Sène a remporté le troisième prix du concours international de mémorisation du Saint-Coran Malaisie 2014 et le quatrième prix à Khartoum au Soudan en 2016.
L’école Franco-Arabe Fatima Zakhra a remporté l’édition 2014 du jeu «Geestu» Franco-Arabe organisé par l’Ief Parcelles Assainies, regroupant 16 élèves Franco-Arabes «Dara Aicha» a organisé 15 colonies de vacances avec une participation de plus de 2.000 élèves.
Résultats 2013-2014 Bfem :13 admises sur 17 candidates, soit 94 % avec deuxième, troisième, quatrième du jury
Résulats 2014-2015 Bfem : 13 admises sur les 15 candidates soit 88,6 % avec première, deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième et huitième du jury.
Résultats 2015-2016 Bfem : 17 admises sur 20 candidates soit, 85,6 % avec deuxième, troisième, Septième, huitième du jury. Cfee 2015 , 2016: 100%
BESOINS
Construction et équipement de dortoirs, construction et équipement de l’école Franco-Arabe spécialisée aux «hafizaat », prise en charge de quelques enseignantes, prise en charge (parrainage) des cas sociaux et des orphelins pour un montant de 465.000 par élève et par an, dotation en denrées alimentaires, en matelas et nattes.