«SEMBÈNE ÉTAIT UN CINÉASTE RIGOUREUX»
Master class avec Makhète Diallo, directeur de la Photographie et technicien de cinéma
A l’occasion des 10 ans de la disparition de Sembène Ousmane, l’Association sénégalai- se de critique cinéma- tographique (Ascc) a organisé samedi der- nier un master class avec le directeur de la Photographie et techni- cien de cinéma, Makhète Diallo. Appelé à se pencher sur la création cinématogra- phique du cinéaste, l’ancien collaborateur de Sembène a dressé le portrait d’un homme très rigoureux.
10 ans après sa disparition, l’œuvre cinématographique de Sembène suscite toujours admi- ration. Makhète Diallo, techni- cien et directeur de la photogra- phie, qui a presque travaillé dans tous les films de Sembène, révèle : «C’est la rigueur. Ousmane Sembène était un homme rigou- reux dans son travail, respec- tueux et exigeant avec ses outils de travail. Il avait horreur de se tromper», confie-t-il.
Le pion- nier du cinéma sénégalais et afri- cain qu’il appelait affectueuse- ment Gorgui, Borom farou mbaam nord akk nawett, borom carbett nord akk nawett, (Ndlr : l’homme aux sabots et boubous à deux pans, ouvert sur les côtés), portait à chaque fois qu’il venait en tournage cette tenue de travail. Sembène n’était pas très regardant dans sa façon de s’habiller. Il portait toute son attention et sa rigueur dans son matériel et son travail.
Seul le résultat du travail lui importait. Et son attitude vis-à-vis de son matériel de travail et à l’égard des membres de son équipe le démontrent, selon Makhète Diallo. «Le matériel de tourna- ge, les caméras et autres, on l’appelait bébête. A chaque fois qu’il nous en venait d’Europe, on trouvait des matelas orthopé- diques pour les y installer. C’était une façon pour Sembène d’éviter qu’il y ait le moindre problème avec ce matériel qui servait au tournage. Il chéris- sait autant son matériel.»
De l’exposé de Makhète Diallo, l’on apprend que l’auteur de Borom sarett était «hanté» par ce maté- riel. Il voulait à tout prix le gar- der intact. Avant le tournage, il vérifiait si ce matériel est propre, notamment l’objectif de sa caméra, s’assurait que les pelli- cules sont bien en place, les close up, les charging bag, s’il n’y a pas un brin de lumière, si le tré- pied est bien posé...
«Sembène se souciait de tous ces aspects techniques qui pouvaient avoir une incidence sur sa création», souligne M. Diallo. Ses précau- tions ne se limitaient pas seule- ment à son matériel. Il était éga- lement vigilent et exigent avec son équipe de tournage.
«J’ai vu un jour Semaine prendre le journal d’un techni- cien et le déchirer. Il lui a dit : ‘’Si tu as quelque chose à lire, prend le scénario que je t’ai remis.’’ Pour lui il était impensa- ble que ce dernier fasse autre chose en lieu de tournage», raconte Makhète Diallo.
Même le décor n’échappait pas à l’esprit rigoureux du cinéaste. «Il faisait très attention à la colori- métrie, c’est-à-dire à la teneur des couleurs des costumes que portaient ses acteurs et même des rideaux ou à la couleur des murs.
Dans Guelewar, quand il a voulu donner à ses acteurs un tempérament chaud, il a cher- ché des couleurs chaudes et quand il a voulu qu’ils aient un tempérament doux, il a cherché des couleurs douces. Il n’hésitait pas à aller faire les marchés de friperie lui-même», indique son ancien photographe de plateaux. Sembène montrait partout dans sa création cinématographique de la rigueur.
Cette rigueur qui commençait à l’écriture de son scénario se poursuivait jusqu’à la projection. Rien que pour écrire un scénario, l’auteur de Manda bi passait 2 ans ou plus. «Il pre- nait le temps et travaillait toute la nuit. Insomniaque, il n’hési- tait pas à faire travailler ses secrétaires de l’époque même de nuit. Lorsqu’il avait une projec- tion à faire, il envoyait une équi- pe en éclaireur pour vérifier le matériel et s’assurer que tout est impeccable», narre avec émo- tion Makhète Diallo.
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