SOULEYMANE, L'HOMME ET LE FOOTBALLEUR
Portrait de l'international sénégalais et joueur de Montpellier
Certes, Souleymane Camara ne fait qu’1,70m. Mais voilà : depuis le 5 août dernier, ce grand timide est le meilleur buteur de l’histoire de Montpellier en Ligue 1. Le résultat d’un voyage débuté à Dakar, de fondations posées à Monaco et de quelques galères, forcément. Portrait d’une légende.
Il faut dissocier deux types de coups : ceux que l’on reçoit et ceux dont on se relève. Souleymane Camara n’a jamais enfilé de gants, mais sait de quoi il parle. La vie d’un footballeur, au-delà de la simple performance, tient avant tout à sa capacité de résistance. Comment résister aux critiques ? Comment encaisser l’exil, la concurrence ? Comment se construire des barrières ou plutôt des repères qui permettent de tenir ? Lorsqu’il évoque le milieu dans lequel il baigne sans brassards depuis un peu plus de quinze ans, Camara n’hésite pas à parler de « jalousie » , voire « d’hypocrisie » , mais refuse avant tout de mettre de côté les quelques sacoches qu’il a reçues, notamment la plus douloureuse, lors de l’hiver 2005.
L’attaquant sénégalais est alors à Nice et vient de quitter définitivement l’AS Monaco, son club formateur. « Ça faisait un an et demi que je n’avais pas trop joué, je manquais de rythme. Je me contentais souvent de cinq, dix, quinze minutes en fin de match et j’avais besoin de temps pour me reconstruire physiquement, pose-t-il. Lorsque Frédéric Antonetti m’a appelé pour me dire qu’il souhaitait me recruter, je lui ai dit. Il m’avait alors répondu qu’il me donnerait le temps nécessaire. Malheureusement, on m’a directement mis dans le bain et physiquement, ça a été très dur. » Soit, une première gifle dès sa première titularisation à Lille (0-4) et plusieurs semaines de galère qui le conduisent en décembre dans le bureau du tandem Antonetti-Ricort. « Je comprenais l’insistance du coach, les supporters demandaient des résultats, l’équipe n’était pas au mieux à cette époque... Ils m’ont dit que je devais faire ressortir quelque chose, je pense qu’ils parlaient de ma timidité, et ils ont eu cette phrase : "Pour nous, tu n’as même pas le niveau d’un joueur de National." » Souleymane Camara encaisse, retient ses larmes, prend sa voiture et rentre chez lui. Si la période coïncide avec la naissance de son premier enfant, il ne peut s’empêcher de craquer malgré le soutien de Balmont, Baky Koné ou Sammy Traoré. Il souffle : « C’est un moment qui m’a fait grandir. Je me dis que ça fait partie du métier. Peut-être que sans ça, je ne serais jamais devenu ce que je suis aujourd’hui. »
Loulou et boubou
À partir de quel barreau sur l’échelle d’un club est-on en droit de juger le caractère historique d’un joueur ? Tout en haut, il y a l’affect. Le lien avec les supporters et l’institution. Juste en dessous, les records. Coup de bol, Souley détient les deux. En marquant le 5 août dernier à l’heure de jeu contre Caen, le remplaçant est devenu à 35 piges le meilleur buteur de l’histoire de Montpellier en championnat avec 48 buts. Un total qui, ramené à ses dix ans de présence au club, représente donc 4,8 buts en moyenne par saison. Suffisant pour détrôner l’immense attaquant qu’était Laurent Blanc, bon. Le total est risible face aux statistiques annuelles de Cavani, certes, mais lui s’en fiche pas mal : « Comme j’ai toujours dit, le record... Bien sûr, je suis un attaquant, j’aime marquer, mais je ne fais pas de ça une obsession. » Sur le moment, l’obsession était surtout de rendre hommage à celui à qui il doit presque tout. Un centre au second poteau de Kévin Bérigaud, une tête smashée à l’opposée, et puis deux pouces dirigés vers le flocage "Loulou" dans son dos avant de lever les index au ciel. « Avec le président, c’était une relation simple, comme un père et un fils, explique-t-il, la voix tremblante. C’est ce que les autres du vestiaire disaient aussi, ils me chambraient à propos de ça, surtout Vito (Hilton) et Laurent (Pionnier). C’est venu comme ça. Il m’aimait beaucoup, c’était réciproque. » Une relation entamée à l’aune du mois de juillet 2007, lorsque Rolland Courbis parvient enfin à faire tomber Camara dans ses bras, quelques années après avoir essayé de l’embarquer à Ajaccio. Après Monaco et Nice, le Sénégalais poursuit donc à cet instant son échappée en tête d’un Tour de France qu’il restreint essentiellement au Sud.
Au départ, il y a pourtant le Sénégal, Dakar et le quartier Médina. Une enfance passée entre un père commerçant et une mère femme au foyer, avant de grandir en compagnie de sa tante. Souleymane Camara raconte une jeunesse où « il fallait se battre pour s’en sortir » dans un quartier où il fréquente un établissement scolaire coranique privé et les terrains du coin. Comme tous les gosses, il aime le foot, adore Jules Bocandé, découvre Romário, tombe amoureux de Manchester United et est rapidement inscrit à l’école Aldo Gentina par son frère. Aldo Gentina est le meilleur centre de formation du Sénégal, un endroit tout droit sorti de la passion d’un pâtissier italien dingue de football où sont notamment passés Tony Sylva et Salif Diao, mais également soutenu financièrement par l’AS Monaco. Voilà comment, à la fin des années 1990, Souleymane Camara descend d’un avion pour débarquer en Principauté après des essais concluants. Il est mineur, rencontre des problèmes de visa et débarque en retard, trois mois après Jaroslav Plašil et Djibril Sidibé, premier du nom, qui deviendra le premier coloc’ de Camara. Autre bonbon de la formation monégasque, Grégory Lacombe rembobine la première entrée dans le vestiaire du buteur : « Ce jour-là, on attendait les arrivées de deux joueurs, Djibril et Souley, donc. Et on l’a vu arriver en tenue traditionnelle dans le vestiaire, avec son boubou... » D’entrée, si Camara patine en français et parle avant tout le wolof, il s’agrafe à Plašil, lui aussi en difficulté avec la langue française, avec qui il regarde « les matchs de Ligue des champions chez le concierge. Sans trop se parler, on était toujours tous les deux, et les gens ne comprenaient pas trop pourquoi. »
« Je sortais d’un quartier populaire. Dakar, c’est un peu comme Paris par certains côtés, il y a du monde, ça bouge... Et se retrouver à Monaco, c’est un peu un choc » , replace pourtant celui qui n’est alors qu’un ado, mais surtout un jeune adulte qui s’emmerde. Le week-end, Souleymane Camara s’enferme, s’isole : « On jouait le samedi à 15h, donc on finissait vers 17h et après, si je n’allais pas voir les grands frères (Diao, Sylva, N’Diaye, ndlr), je restais dans ma chambre jusqu’au lundi matin. » Avec un programme simple qui consiste avant tout à oublier un quotidien complexe. Résultat, dès le premier mois, Souleymane Camara fait sauter le compteur avec une facture téléphonique de 5000 francs, soit quelque 750 euros. « Je ne connaissais pas trop le système de cartes d’appels » , se marre-t-il aujourd’hui. L’année suivante, il ira passer ses appels chez son pote Plašil dont le forfait est réglé par l’AS Monaco. Grégory Lacombe, lui, continue de prendre soin de Camara avec leur coéquipier, David Caruso, tout en s’amusant à raconter aux journalistes qu’il était son premier prof de français. « Que des conneries » , rigole le Sénégalais. « Avec un simple regard, on se comprenait. Souley, c’est quelqu’un qui ne parle pas beaucoup, mais qui écoute énormément. Il analyse tout ce qu’il se passe autour de lui, mais n’a pas forcément besoin d’extérioriser, résume Lacombe. C’est un mec extraordinaire. »
« Il n’arrêtait pas de me crier dessus, de m’insulter »
Si l’homme est affecté, le footballeur, lui, apprend beaucoup. À ses côtés, il y a une « grosse grosse génération » , composée entre autres de Gaël Givet, Nicolas Plestan et Sébastien Carole. Devant : les belles gueules de l’ASM des années 2000, celles qui composent une équipe première que Souleymane Camara rejoindra en 2001. « Ikpeba, Henry, Trezeguet... Maintenant, je les voyais en vrai. Je me disais parfois "est-ce que c’est réel ?" Je n’avais pas peur, j’étais simplement impressionné. » Avec la réserve, Camara parvient à se démarquer et claque même une tête monstrueuse contre Grenoble dès son deuxième match de CFA. « Un coup de casque de 35 mètres » , se souvient Grégory Lacombe, centreur décisif sur le coup. C’est dans ce cadre que le joueur se construit avec les regards appuyés du directeur du centre de formation monégasque, Paul Piétri, de ses coachs (Banide, Barilaro), mais aussi de madame Philips, chargée de faire le lien entre le scolaire et le sportif. « Un joueur comme Souleymane, c’est un régal pour un formateur » , détaille Frédéric Barilaro. Un joueur si croustillant qu’il doit naturellement secouer la concurrence. Camara : « Je suis arrivé au milieu de grands joueurs en même temps que Jaroslav notamment. C’était dur au départ, forcément. Christian Panucci nous mettait une grosse pression par exemple quand on perdait le ballon. Il s’était même pris la tête avec Djibril (Sidibé, ndlr) à cause de ça. »
Dans un virage à 360°, le jeune buteur découvre Nonda, Simone, Costinha, Flavio Roma ou encore Philippe Léonard. Mais aussi la paire Gallardo-Bernardi. « À l’entraînement, on rigolait souvent, mais pendant les matchs ils n’arrêtaient pas de me crier dessus, de m’insulter... C’était pour me motiver, mais je n’avais pas l’habitude. Du coup, ça me mettait la pression et je courais deux ou trois fois plus, se souvient le Sénégalais. Lorsqu’on s’échauffait, Antonio Pintus, qui était notre préparateur physique, me demandait de me calmer. Il criait : "Calme Soul, calme, sinon en match tu vas être mort !" Mais j’étais obligé, sinon j’allais me faire engueuler ! » Souleymane baisse la tête, encaisse, tente d’enchaîner et participe finalement à 72 rencontres sur ses quatre années monégasques, seulement coupées par un prêt de quelques mois à Guingamp en 2004. Il découvre également la sélection sénégalaise au détour d’une Coupe du monde 2002 qu’il passe avec son meilleur pote dans le milieu, Omar Daf, et le banc, à l’exception de quelques foulées contre le Danemark. Au total sur le Rocher, l’affaire accouchera d’une dizaine de buts et une fin de romance complexe entre un Didier Deschamps qui se contente de l’envoyer ramasser les miettes en fin de match, et des dirigeants qui le bloquent malgré un intérêt nourri de Claude Puel, alors à Lille, pour le récupérer.
À quelque 1300 kilomètres plus au sud, un homme esseulé sur son île corse hurle également ses louanges pour l’attaquant. La voix rauque de Rolland Courbis décroche son téléphone d’un « Allo ? » de celui qui se sait désiré. À l’époque coach d’Ajaccio, il invite Camara à déjeuner au Café de Paris, sur la place du Casino de la Principauté. Le joueur raconte : « Il y avait lui, un de ses amis et moi. Il voulait absolument que je signe à Ajaccio, mais j’avais déjà donné ma parole à Puel à Nice, même si ça me touchait... » Alors au moment de quitter Nice deux ans plus tard après s’être fait secouer comme un prunier par le colérique Antonetti, Courbis rappelle : « Dès qu’il y a eu une possibilité de le récupérer à Montpellier j’ai sauté sur l’occasion, rembobine-t-il. C’est un garçon capable de mettre des buts, mais surtout capable de travailler et de faire beaucoup d’efforts qui profitent à ses coéquipiers. En plus, intellectuellement, je le trouve nettement au-dessus de la moyenne. » L’histoire retiendra donc la signature définitive de Souleymane Camara à Montpellier le 1er juillet 2008, une année après son arrivée en prêt. Un transfert discret, fracassant de silence, à l’image de l’homme.
Souley sunlight
Problème, au moment de son arrivée, Camara est dans « un trou » . Psychologique, entend Grégory Lacombe. Le rieur n’a plus la banane. « Il devait retrouver le sourire aussi, explique-t-il. À côté de ça, Rolland l’avait rapidement cerné. » Ce dernier, qui place toute sa confiance en quelqu’un qui en manque, loue aujourd’hui l’homme, mais surtout le professionnel : « C’est un gars qui est important parce que c’est quelqu’un qui donne lui-même le bon exemple ! (il insiste) C’est très rare de le voir se disputer ou s’accrocher avec quelqu’un. Toujours en avance, sérieux, même pour le massage et tout... C’est le genre de joueur qui donne envie à un entraîneur d’entraîner. » Il découvre la Mosson et la Butte Paillade, tout en étant rarement au premier plan, mais toujours là pour sauver les meubles. Voilà maintenant dix ans que l’histoire tient, qu’elle balance entre une remontée en Ligue 1 décrochée en 2009, les luttes pour le maintien, un titre historique en 2012, des amitiés – notamment avec Cyril Jeunechamp –, mais aussi pas mal de souvenirs. Des bons, des mauvais. « J’en parlais récemment avec Philippe Delaye et, pour moi, le moment le plus difficile de ma carrière restera la saison 2015-2016. Il y a tout eu : le maintien, les changements d’entraîneurs... » Et bien sûr, le 29 juin dernier.
Un entraînement comme un autre, un jour de reprise sous le soleil. Camara : « Je pars ensuite aux soins et au moment de partir faire la cryothérapie, je vois notre nutritionniste. Je le sens triste, je lui demande ce qu’il y a. J’étais avec Elyes Skhiri et Lukas Pokorny. Là, il me prend à part et m’annonce que c’est terminé. Je ne l’ai pas cru sur le moment... Normalement, j’aime bien rigoler, chambrer, mais là, j’ai reçu un seau d’eau glacée sur le visage. Je n’ai pas parlé jusqu’à chez moi. Rien, pas un mot. » Loulou Nicollin vient de s’éteindre, avec tout ce que cela représente pour un mec comme Souley. « Chaque saison, il faisait une fête foraine chez lui. Il y avait des cadeaux pour les enfants, c’était top. Loulou, il fallait l’approcher pour le connaître car, malgré tout ce qu’on peut dire, il était souvent là pour les autres. C’était sa priorité, reprend l’ancien international sénégalais. Avant de partir de ces journées-là, il me disait toujours : "Viens Souley, va dans le magasin (situé à côté du musée du président Nicollin, ndlr), prends un truc pour les gosses." » Le 5 août dernier, face à Caen, la Mosson rendait donc hommage à Nicollin. Avant la rencontre, Souleymane Camara retrouve Grégory Lacombe. « Je lui ai dit quelque chose à quoi il a dû penser quand il a marqué, glisse celui qui joue aujourd’hui à Marssac, en DHR. Pour moi, c’était évident : c’était à lui de marquer. Je l’ai regardé : "Souley, s’il y en a un qui doit marquer ce soir, c’est toi." Un jour comme ça, avec l’hommage à Loulou... On s’est retrouvés après le match, on s’est embrassés. Comme souvent, on s’est compris, quoi. » Simple comme une légende.