DE L'IMPOSSIBILITÉ DE CHANGER LE MONDE SANS PRENDRE LE POUVOIR
Un livre agréable à la vue et au toucher. Un beau pamphlet facile à lire et captivant ! On sent bien qu’il s’agit là d’une touche nouvelle, une tentative audacieuse que seule la rage d’une jeunesse consciente et engagée peut permettre
Un livre mignon, agréable à la vue et au toucher. Un beau pamphlet facile à lire et captivant ! On sent bien, sans se renseigner sur la biographie des auteurs, qu’il s’agit là d’une touche nouvelle, une tentative audacieuse que seule la rage d’une jeunesse consciente et engagée peut permettre.
Ce petit livre d’une intense teneur a la substance d’une nouvelle quête qui rappelle le «petit prince» de Saint-Exupéry. C’est un appel à la ré-politisation de nos sociétés de laquelle, la jeunesse doit être l’actrice qui fera l’histoire. Une réinvention de la politique qui doit faire le départ d’une action politicienne dévoyée dont l’objectif n’est plus de rechercher le progrès économique et social juste et équitable et de rêver à un monde meilleur pour tous, mais plutôt de nourrir une logique prédatrice, au service du capitalisme sauvage, d’intérêts purement égotistes et d’ambitions très étriquées.
Les auteurs nous invitent à oser l’engagement, au-delà de la capacité d’indignation pour être les acteurs de transformation capables de décrypter nos défis et de se hisser à la hauteur des enjeux actuels de notre monde. Ils sont «onze petits nègres» de bon augure. Ils partagent avec nous leur mission découverte dans l’opacité du leurre de la fumée électorale.
Hamidou Anne montre une perspicacité dans l’analyse suffisamment pointue pour fixer les misères de l’action politique post–indépendance dont les protagonistes ont purement renoncé aux grand idéaux de libération pour se résoudre à des calculs au quotidien, mus par des avantages précaires et des stratégies d’accaparement du bien commun. Pour autant il refuse que cet état de fait puisse justifier le renoncement d’une certaine élite à s’engager en politique. Une désertion «coupable» qui laisserait un boulevard à la cupidité et autres pratiques d’accaparement du bien public au service d’intérêts particuliers et contre les intérêts du collectif.
Pour l’auteur, les stratégies de contournement que semblent adopter les jeunes à travers le blogging et l’entreprenariat ne les mettent guère à l’abri, tant que la puissance publique n’est pas réorientée vers la poursuite d’une vision ambitieuse, de «nouvelles utopies vectrices de véritables transformation». Il pense que c’est par l’engagement politique que nous pourrons arriver à rendre possible l’impossible, mais M. Anne ira certainement plus loin dans la réflexion car ma grande question demeure comment délier ce nœud gordien entre le désintérêt des jeunes pour la chose politique et les capacités du système en cause à se reproduire en maintenant des conditions favorables à ceux qui le maintiennent?
Entre un système public dissuasif capturé par les « démons aux multiples visages et textures » et le faible engagement de l’élite ; entre la faillite entretenue et la réponse préconisée, par quel bout de fil faudra-t-il prendre le nœud ?
Ndèye Aminata Dia semble s’y connaitre en matière de fil, la chute de son texte envisage une heureuse perspective à l’œuvre des tisserands de l’action politique alternative. Un retour vers la présentation des auteurs confirme qu’elle est entrepreneure, fondatrice d’une marque de vêtement. Mais elle est aussi spécialiste des finances et de la science politique. Certainement le socle de sa brillante autocritique de la génération « connectée » et « entreprenante », emportée par les mirages des grands soirs du néolibéralisme adoubés par la presse internationale « bling-bling ».
Erreur, vous dit-elle, ignorer la puissance de l’action politique au nom du « let’s do business » est une naïve perception de ce qui fait tourner le monde. Elle nous avertit sur les risques de la procrastination politique qui favorise l’effritement de l’idéologie politique de transformation. Elle préconise de redonner foi à la politique car, bien menée, elle est une œuvre pour l’humanité. Au lieu de s’en détourner, il faut rester debout et faire face aux pratiques dominantes, car elles ne sont guère éternelles, pas plus que les grandes civilisations qui ont dominé le monde et aujourd’hui ensevelies aux calandres grecques.
Faites la politique, car c’est un généreux geste d’amour, renchérit Youssou Owens NDIAYE. Une plume subtile qui invite au discernement entre la noblesse de l’action politique et les pratiques politiques déviantes. La politique, dans son essence, est un don de soi, un acte spirituel qui se matérialise par l’engagement désintéressé dans le seul but de « Servir » sa communauté et de faire face aux problèmes de son époque, notamment les inégalités. Youssou croit encore à la vertu de la politique, quand elle est menée par des acteurs exemplaires et il ne manque pas d’en énumérer certains modèles qui ont marqué notre histoire.
Tout en confirmant les analyses de ces co-auteurs sur la faillite de l’action politique et le découragement des jeunes à son égard, Il prône donc le remplacement des médiocres par les meilleurs ; ce qui ne pourra passer que par le renoncement à l’inaction des honnêtes gens et leur mobilisation collective pour vaincre l’injustice sociale et s’attaquer aux utopies profondes. M. Ndiaye justifie avec pertinence la nécessité d’une nouvelle élite politique, mais manque de faire des propositions incisives conséquentes au tableau sombre de son bilan.
Un tableau assombri par l’évaluation de la condition féminine faite ici par Tabara Korka Ndiaye qui fustige le traitement machiste réservé à la moitié de nous-mêmes, généralement reléguées à des postures subalternes pour la simple faute d’être femme ! Femmes des villes, femmes des champs, elles sont toutes victimes de la mentalité rétrograde et de l’injustice économique qui les maintiennent dans la précarité. Sans se priver de lister un certain nombre d’acquis dans la lutte pour l’autonomisation des femmes, Tabara appelle à l’insurrection politique par l’engagement, surtout des jeunes qui doivent prolonger le combat pour une société plus juste dans laquelle, hommes et femmes se tiennent les mains pour revisiter leur rapport au religieux et au bien commun. En critiquant le patriarcat dominant, Tabara n’est malheureusement pas allée plus loin dans l’analyse diachronique pour réhabiliter un fait culturel historique et redonner ses lettres de noblesses au rôle jadis tenu par les femmes dans nos sociétés, originellement matriarcales.
Ce n’est certainement pas un hasard que le texte suivant de Racine Assane Demba soit dédié à Cheikh Anta Diop, le chantre du bicaméralisme auquel il consacre tout un chapitre dans « fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire ». Une façon de rendre justice à notre histoire, mais surtout de célébrer un intellectuel et homme politique, un des précurseurs de la transformation culturelle et économique nécessaire au continent pour assumer sa présence dans le monde contemporain. Comme Gramsci, Racine aussi hait l’indifférence, car convaincu aussi qu’elle est pire que l’action des malfaisants.
A travers une forte densité dans les références, il consacre son texte aux sapeurs-pompiers de la justice, c'est-à-dire ceux qui s’engagent dans une action politique collective pour la justice. De façon percutante, ce texte agite des questions lancinantes comme le revenu minimum universel et fixe les défis de la justice sociale comme l’éducation, la santé, la protection sociale des plus vulnérables. Son auteur insiste sur la nécessité de s’engager en politique car, rester indifférent c’est être complice d’un chapelet de misères de la justice, notamment l’oppression des faibles et l’impunité des forts. Il faut donc s’engager en politique et jouer collectif.
Il est donc grand temps, selon Fanta Diallo, car il se fait tard ! Fredonnant les vers de Jacques Dutronc, la sociologue indexe le politicien-opportuniste qui désenchante les jeunes. Partant du constat de paradoxe générationnel qui fait qu’une vieille garde de politiciens s’accroche aux perchoirs alors qu’une masse de jeunes se retrouve exclue et dépitée par leur action, Fanta décline l’approche inclusive qui dot mobiliser les jeunes à partir de la base locale. Mise à part la référence que je trouve un peu incongrue à un message d’un ancien président qui, vingt ans durant, a contribué à faire de la politique qu’elle dénonce ce qu’elle est, ce texte est un puissant appel à l’engagement des jeunes par les valeurs et la conviction.
La conviction, il en faut beaucoup pour faire face à ces grands défis hérités de la déchéance mondiale, le combat universel pour l’écologie qui, selon Fary Ndao, est un problème politique auquel il faut apporter une solution politique. Il faut donc changer de système à un moment ou les décisions politiques vont dans le sens d’accélérer l’exploitation des ressources naturelles pour plus de croissance. Une nécessité de «décoloniser l’imaginaire» s’impose sur le plan du débat d’idées en remettant à l’endroit la préséance idéologique du discours pour le primat de l’écologie (logos) sur l’organisation inique de l’économie (nomos).
Cette tâche est davantage plus cruciale en Afrique dont les populations subissent plus que d’autres les conséquences des dégâts écologiques, sans en être les principaux responsables. Dans son observation des dynamiques en Afrique, Fary reconnait la politisation des jeunes qu’il invite cependant à un engagement plus incisif, en se transformant en acteurs politiques pour pouvoir s’«emparer démocratiquement des outils de décisions que la société met à leur disposition …» en vue d’opérer les changements nécessaires.
Fatima Zahra Sall nous ramène des grandes utopies à la réalité du champ politique. Elle nous replonge dans les limites objectives du système politique pris en otage par des « politiciens de métier » qui, au nom de stratagèmes comme la discipline de parti, obstruent toute liberté de pensée et d’action des jeunes à l’intérieur de ces appareils. Ce qui est assez démotivant pour les jeunes qui aspirent à un fonctionnement moderne et démocratique.
Evoquant les questions démographiques qui défient la structure de représentation au sein des partis politiques où les jeunes sont laissés-pour-compte ; ainsi que la faillite de l’engagement militant au profit de la quête de sinécures, elle trouve ici autant de défaillances que d’alibis pour que les jeunes aillent à l’assaut de cette forteresse politicienne que constituent les partis politiques. Une responsabilité urgente ! Tous responsables !
C’est l’entrée en matière de Mohamed Mbougar Sarr qui nous renvoie au degré zéro du pouvoir politique. L’auteur de « terre ceinte» est exigeant à la fois avec les dirigeants politiques qui, une fois au pouvoir, se transforment en tyrans, et avec les peuples d’Afrique qui les élisent avec un blanc-seing sans exiger la reddition des comptes. Dans ce texte, il invite le peuple à la barre dans le procès des dictateurs et va même jusqu’à prononcer la sentence qui condamne les peuples comme complices de l’irresponsabilité des politiques dans leurs expériences malheureuses.
Un dur dans le jugement qui va jusqu’à traiter de lâche ceux qui, par naïveté ou inconsciemment, se réfugient dans l’ «impasse morale » de l’apolitisme alors que, dit-il, nous avons tous les « mains sales » d’une manière ou d’une autre, même dans l’indifférence inconsciente ! Nous pouvons être d’accord avec l’auteur que pour assumer notre commune nécessité de vivre ensemble, chacun doit prendre sa responsabilité et jouer sa partition. Mais chacun peut aussi choisir la posture de son confort dans le politique quand la politique verse dans l’anomie ou la société de « ndoumbélane ».
Surtout, quelle que soit cette posture, nous sommes tous dans le politique ! Dans la quête vers plus d’humanité, on croise Abdoulaye Sène qui indique le chemin pouvant guider notre montée. L’Afrique meurtrie, pillée et blessée a besoin de soins. Elle ne peut trouver son soignant que parmi ses fils et ses médicaments dans sa propre pharmacopée. Sène préconise un leadership éclairé et des stratégies endogènes pour construire un discours optimiste au sortir d’un douloureux passé. Et pour y arriver, il faudra faire plus que s’indigner sur notre sort et noyer notre rage dans de l’agitation stérile, voire réactionnaire. Il faut se préparer à exercer le pouvoir.
Sous la lampe de Frantz Fanon, Il a ainsi découvert la mission de la jeunesse africaine qui est fondamentalement politique. Dans cette œuvre, l’humanisme est la meilleure boussole qui permet de se réconcilier avec tout le peuple et de considérer toutes les obédiences comme parties d’un tout qui doit s’accepter, se respecter et s’intégrer. En bouclant cette série de textes, Sène sauve en même temps le risque de tomber dans la péremption de l’ «activisme politique » que j’appréhende en filigrane le long de cette merveilleuse œuvre.
De la genèse à la dernière ligne de ce livre, on reconnait aux auteurs leur parti-pris pour l’engagement politique. Ils ne semblent pas convaincus de la possibilité de changer le monde sans prendre le pouvoir, comme le préconise ailleurs le sociologue John Holloway. Jeunes d’Afrique, politisez-vous ! Le sort en est jeté, il ne reste plus alors qu’à franchir le Rubicon !
Au début de toute chose, il y a la parole. A la fin les actions seront jugées ! Onze belles plumes pour écrire les onze belles lettres de requiem de la politique politicienne pour que vive un nouveau type d’engagement politique ! Pour la vraie cause, par la bonne voie, politisez-vous !
Elimane H. KANE (Dialagui)