LES CONFIDENCES DE ME AÏSSATA TALL SALL
Sud détente avec la député–maire de Podor
L’art de convaincre ! Aïssata Tall Sall l’a assimilé très tôt. Pour devenir avocate; profession considérée jadis, comme «maudite» dans une ethnie conservatrice comme celle des Halpoular, de surcroit pour une femme du Fouta, il fallait faire preuve de persuasion. Dès lors qu’elle avait réussi à convaincre son père, un Thierno (marabout en poular), rien ne pouvait arrêter la «Lionne». La trajectoire de sa brillante carrière ne devrait alors étonner personne. Son «Oser l’Avenir» non plus. Mme Sall est «atypique». Mais pas «rebelle», une étiquette qui lui colle pourtant à la peau. De Ministre de la Communication sous le régime d’Abdou Diouf, la brillante avocate, devenue Député, ne manque pas une seule opportunité pour montrer son engagement et son dynamisme. Dans l’interview exclusive qu’elle a accordée à Sud Quotidien, elle revient sur les lignes de sa vie : sa nature, ses valeurs morales et familiales, une femme Halpoular forte qui a refusé un destin voué au statut de mère au foyer; grâce à un père qui a très tôt compris l’importance de l’école. Elle affiche son ambition politique, sa détermination et son «sacerdoce» inébranlable de se mettre au service de son pays. De ses relations avec Ousmane Tanor Dieng et Abdou Diouf, à sa «brouille» au sein du Parti socialiste, en passant par l’incarcération de Khalifa Ababacar Sall, qui n’a pas été que l’ami et le confident d’aujourd’hui, la maire de Podor dit tout. Aux lecteurs de Sud Quotidien et de sudonline.sn de déguster les confidences de la «Ségolène Royale» sénégalaise. Un nouveau numéro de Sud Détente, chaud par moment, mais plein d’anecdotes et de révélations. Alors détendez-vous chers lecteurs.
Aissata Tall Sall accepterait-elle le qualificatif de rebelle ?
Tout le monde pense que je suis une rebelle. Mais en réalité, c’est peut-être parce que je suis atypique par mon parcours, mais peut-être pas par mon tempérament, par mon caractère. Mais, je peux dire que je suis une femme sénégalaise ordinaire avec des ressentiments de femme, avec ses «faiblesses de femme». Donc, je suis une sénégalaise simple, d’origine modeste. Maintenant, avec de principes en bandoulière. Et, c’est cela qui me fait dépeindre comme une rebelle. Comme, je le dis toujours, j’aime les choses simples. Et très souvent en politique, on peut dire des choses mais on les assume très difficilement. Et quand on est dans cette posture-là, on a tendance à être beaucoup plus dans le refus que dans l’acceptation. Dans le premier, quand on est dans le refus, de la résignation, de la simplicité, du mensonge, eh bien les gens vous considèrent comme un rebelle ou en tout cas comme un personnage atypique dans un royaume de politique ou de politiciens où la phrase n’est pas tout à fait dite dans son entièreté, où il vaut mieux cacher les choses que de les révéler, où il vaut mieux être dans le compromis voire dans la compromission que dans la vérité. Comme toute personne, j’ai mes marges d’erreurs dans cette vérité mais je fais en sorte de ne pas être en porte-à-faux avec moi-même. Et pour moi, les choses simples sont les choses vraies que l’on peut dire et assumer. Voilà pourquoi, on me dépeint comme une rebelle. Mais, je n’en suis pas une.
Dans l’ethnie Hal Poular, il y a un profond conservatisme. Il y a des professions qui étaient considérées comme « maudites» comme l’avocat, la douanier, le magistrat, etc.
Avez-vous rencontré des difficultés en choisissant le métier d’Avocat ?
Oui, bien sûr ! Beaucoup même. Vous l’avez rappelé d’abord de par la société dans laquelle je suis née, une société de conservatisme. Déjà, petite fille, à Podor, j’ai vu nos mamans aller faire des condoléances la nuit accompagnées par de petits garçons, car il était de mauvais augures de sortir le jour. Parce que la pudeur, la distanciation entre autres étaient des valeurs qu’on cultivait chez la femme. La femme n’aborde pas n’importe qui surtout pas en public. Chose que je fais tout le temps en tant qu’avocate et politique. Du coup, c’était très difficile de se libérer de tout çà mais on peut dire que c’est à travers l’école qu’on le peut. J’ai eu la chance d’avoir un papa qui a fait instruire à la fois ses fils et ses filles à l’école. Dans une famille maraboutique où il nous fallait réciter le Coran le matin et une fois que la cloche de l’école qui n’était pas loin de la maison aura sonné, c’est là que mon grand-père, Thierno (marabout, Ndlr) nous laissait partir à l’école. De retour, on faisait comme tous les petits talibés, réunis autour du feu et on apprenait le Coran de la même manière avant de rentrer à la maison où il y avait l’électricité pour apprendre les cours. On a vécu ça et on a eu Dieu merci, cette double culture : les valeurs morales, religieuses et sociales et celle du monde occidental. Par la suite, c’est lorsque je suis devenue socialiste que j’ai compris l’utilité de l’école. On a engagé le parcours du combattant en suivant les différentes étapes : primaire, lycée etc. A chaque fois, mon grand-père rappelait à mon père que nous ne sommes que des filles destinées à nous marier, à fonder un foyer et qu’on prenait un risque en allant trop loin dans l’aventure scolaire. Et mon père disait tant qu’elles n’échouent pas et qu’elles s’accrochent, il faut les laisser continuer. Et c’est ce chemin qu’on a parcouru jusqu’à ce jour. D’ailleurs, il y a un Monsieur, c’était un journaliste français qui m’avait interpellé en ce sens : «Mais Maître, où voulez-vous vous arrêter ?» A l’époque j’étais Ministre de la communication. J’ai répondu : «mais vous avez mal posé la question. Allez d’où je viens et vous comprendrez pourquoi je ne veux pas m’arrêter en si bon chemin.» Donc, la vie est un saut d’obstacles. Et c’est là que mon père m’a dit après que je lui ai fait part de mon envie d’être avocate, que c’est ici l’obstacle car, il vient en contradiction avec nos valeurs morales, spirituelles et sociales. Mais je lui ai fait comprendre que dans ces métiers-là, il était bien possible d’exercer son art et d’être respectueux de toutes ces valeurs morales. Même si c’est difficile, je m’emploierai à être ce type d’avocat. Et je dois dire que c’est la première plaidoirie que j’ai gagnée. Finalement, je dis que si mon père a accepté, tout le monde devrait être soumis à cette décision. Pour moi, ma profession est un sacerdoce.
Vous êtes très souvent entouré des membres de votre famille. Parlez-nous un peu de votre famille ?
Mon père est né d’une famille maraboutique. Il avait la chance d’aller à l’école, pas aussi loin que nous quand même. Mais, il a fait de bonnes études. Quand il vous parle français vous avez l’impression qu’il est sorti de la Sorbonne. Pourtant, quand il se lève le matin, la première chose qu’il fait c’est de lire son Coran, après il écoute la revue de presse sur RFI pour savoir ce qui se passe dans le monde. Ce qui était étonnant c’est qu’il était monogame dans un univers de polygamie. C’est quelque chose d’exceptionnel pour un homme de son âge qui vit dans cette société, de cette culture-là (Halpoular, Ndlr). Ensuite, il a eu la chance d’avoir une famille nombreuse. Et en son sein plus de filles que de garçons (9 filles et 2 garçons). Ce qui crée une solidarité entre les femmes. On fait tout ensemble en tant que copines, rivales etc. Même si vous grandissez et prenez un autre chemin, n’empêche l’ancrage familial prime sur tout. Partout où je vais que ce soit au Japon, en Italie, en Himalaya, je porte ma famille avec moi. Une fois arrivée, la première chose que je fais c’est appeler une de mes sœurs pour dire que je suis bien arrivée et de prévenir les autres.
A l’évocation de votre nom, tout le monde est attentif. Vous êtes en quelque sorte l’incarnation de la beauté et de la femme forte. Comment faites-vous pour séduire le public ?
C’est vrai qu’en politique comme au barreau d’ailleurs, il arrive que les avocats basculent le plus facilement en politique car, il n’y a pas de persuasion et de conviction sans séduction dans ces deux mondes pour répondre à votre question. Dans le monde de l’avocat, on a toujours en face de soi deux personnages, j’allais même dire deux personnalités très fortes : c’est le juge qui rend la décision, c’est le procureur qui vous porte les contradictions et il faut arriver à convaincre les deux. Et très souvent, c’est un exercice très compliqué car le procureur dans la plupart des cas est votre contradicteur. Et le tribunal est à équidistance des deux parties car c’est lui qui rend la décision. Dans ce sens, il faut dès lors qu’il y ait de la séduction dans le verbe, dans le port, dans le gestuel. Et cela, on l’apprend aux avocats dans un cours extrêmement important appelé «l’Art Oratoire». Pour celui-ci, on a souvent tendance à croire que c’est un cours qui consiste seulement à bien parler mais il demande au préalable de bien se comporter. Car avant que le verbe de l’avocat ne sorte de sa bouche, c’est d’abord une présence, c’est d’abord d’embrasser tout l’espace de telle sorte que vous attiriez l’attention sur vous et pour capter l’esprit de votre auditoire. Après cela, on passe à une autre forme de séduction par le verbe, la manière de dire les choses sans agresser le tribunal, sans agresser le contradicteur de façon fleurie, belle. Ce qui fait que lorsque les avocats arrivent à consommer cet art-là, ils tombent dans la politique car celle-ci fait appel à ces sens-là. Pour répondre de façon précise à votre question, ce n’est jamais facile, jamais acquis. C’est pourquoi, je pense qu’à chaque meeting, rencontre ou discussion avec un militant, il faut le faire bien.
Entre Tanor Dieng et Abdou Diouf, lequel des deux vous a contacté le premier pour faire partie du PS ?
Quand j’ai intégré le GER (Groupe d’Etudes et de Réflexions), coordonné à l’époque par mon oncle, le Professeur Abdoulaye Elimane Kane du parti socialiste, c’est Ousmane Tanor Dieng qui m’a copté. Il m’a envoyé un courrier que je garde toujours dans mes archives où il me dit qu’il veut copter une quarantaine de membres pour faire le nouveau GER. Et je les sélectionne pour leurs compétences, des intellectuels qui réfléchissent sur le sort du pays, sur celui du parti parce qu’il avait compris qu’on allait vers une rupture fondamentale. La preuve c’est que trois (3) ans après, on a perdu l’élection présidentielle en 2000. Et c’est comme ça que j’ai commencé à m’intéresser à la politique parce qu’on ne peut pas réfléchir pour les politiques sans savoir comment ils vivent, sans savoir leur mode de fonctionnement. De fait, le GER était un mouvement affilié au PS et c’est ainsi que j’ai commencé à fréquenter la maison du parti, à connaître les gens de ce parti. Je crois que la politique m’a toujours intéressé. Je me souviens un jour d’une discussion avec Pierre Mauroy, l’ancien premier Ministre français où nous avons tellement parlé de (Jean) Jaurès, du socialisme et autres et il m’a dit que «vous faites de la politique ?». Je lui ai dit «Non» et il me répond «quel gâchis ! Vous aurez dû le faire.» Donc, en 1997, Ousmane Tanor me met dans le GER.
Pouvez-vous nous raconté votre parcours à la suite de cela ?
En 1998, je suis entrée dans le gouvernement. A côté de Tanor, c’est Lamine Loum qui m’a reçue et Abdou Diouf qui m’a nommée. Voilà la vérité ! A partir de là, je commence des activités gouvernementales et je découvre avec Abdou Diouf qu’on ne peut être Ministre sans faire de la politique. Pas une politique de réflexion comme le GER mais la politique à la base. Et un jour, Abdou Diouf me donne les résultats des élections législatives de 1998 dans le département de Podor. Là, le PS avait gagné avec 48%. C’est un scrutin départemental majoritaire. Et, il me dit que je veux que tu analyses les résultats et que tu me donnes ton point de vue. Je rentre à la maison et puis je vois que le PS passe à 48% et puis le mardi suivant, je reviens, il me demande « et alors ? » et j’ai dit que si c’était les élections présidentielles, vous auriez été en ballotage, vous auriez peut-être même perdu. C’est pourquoi, il me confie qu’il faut qu’on redresse la barre. Puisque moi, en tant que Ministre de la communication, j’avais le privilège tous les mardis d’avoir une heure de discussion avec le Président Diouf. Je venais pour mon communiqué du Conseil des Ministres dont il scandait les mérites.
Dans le souci de redresser cette barre, ne pensez-vous pas que le fait d’utiliser le poulaar était un moyen efficace ?
Justement ! Le Président Diouf m’a dit que je t’ai entendu poulaar un excellent Poulaar sans y mettre un seul mot français. C’est un des éléments fondamentaux en politique. C’est d’être collé à la base, parler la langue du terroir, d’avoir une culture de cet endroit. Il me dit que c’est un atout considérable qu’il faut exploiter d’abord. Et déjà, le renouveau de Djibo Ka avait fait une percée incroyable, car les halpoulaar sont un peu communautaristes. Il prenait ce dernier comme une victime de Diouf et tout le monde s’est rué sur Djibo Ka et cela a affaibli le PS. Et il m’a dit alors, il faut redresser. Et j’ai été voir feu mon oncle Kalidou Beyla Kénémé pour lui parler. Et c’est là que j’ai monté Alioune Sow de Fouta, Synergie des Forces Nouvelles. Après l’avoir mis sur pied, il fallait maintenant être sur le terrain. Et là, j’ai commencé des tournées et autres. C’est un exercice périlleux mais passionnant et qui dévoile l’homme à nu dans ses qualités et ses défauts, dans ses forces et ses faiblesses. Croyez-moi, cela m’a plu et j’ai continué jusqu’en 2000. Bien sûr à Podor, Abdou Diouf a gagné haut la main, je ne dirai pas que c’est grâce à moi mais en tout cas il y a eu l’effort collégial et collectif mais il avait perdu sur le reste du Sénégal. On a été destitué par le peuple sénégalais. Et là, c’est mon tempérament qui prend le relais puisque je n’accepte pas la défaite.
Ah bon !
Oui ! Parce que quand je perds devant le tribunal, je vais à l’appel ; quand je perds à l’appel je vais en cassation. Du coup, je pense toujours à rester debout avec mes camarades pour faire face à cette situation.
Comment avez-vous vécu la nuit du 19-20 Mars du PS ?
C’était très difficile ! Mais on a ressenti cette émotion après qu’Abdoulaye Wade a commencé à nous violenter, qu’on s’est rendu compte de l’énormité de la difficulté. Mais pendant cette période, j’ai quitté Podor après le vote. J’arrive et c’est mon mari qui m’annonce les résultats et il me dit que : «c’est la pagaille et je ne sais pas comment vous allez faire pour remonter la pente». Sur le coup, je me suis rendue à l’Assemblée nationale sans me changer et je demande à voir Tanor. En plus, j’avais trouvé dans le salon d’attente quelques personnalités dont Abdoulaye Mactar Diop et Babacar Carlos Mbaye. Je me souviens avoir demandé à l’ambassadeur Carlos Mbengue si je pourrai voir Ousmane Tanor Dieng, le Ministre d’Etat et celui-ci m’a reçu. Et j’ai demandé à Tanor : «qu’est-ce qui nous arrive ?». Il m’a répondu tranquillement «Mais, Aïssata, c’est la démocratie.»
Que s’est-il passé après ? Comment l’avez-vous vécu personnellement ?
Après, Tellement d’histoires ! C’est pourquoi, quand quelqu’un s’est levé pour dire que Tanor (Dieng) voulait fomenter un coup d’Etat pour qu’Abdou Diouf ne donne pas le pouvoir à Wade, moi j’ai protesté et soutenu que c’est archifaux ! Par la suite, j’ai cherché à rencontrer le Président Diouf qui regardait la télévision, je ne me rappelle plus si c’était un film ou un documentaire. Je lui dis donc que je reviens de Podor mais il paraît que les résultats ne sont pas bons du tout. Il me le confirme et m’a un peu remonté le moral. De retour chez moi, je dis à mon mari « Ecoute, j’ai parlé à «mes deux patrons » et je pense qu’eux mêmes ont fini de ravaler leur tasse et de comprendre que c’est la fin». Après, il me demande, qu’est-ce que tu vas faire ? Je lui dis que demain matin je vais au Directoire, il me dit pour y faire quoi, les élections sont terminées. Comme si dans ma tête je devais me raccrocher à quelque chose. (Rires) Mais là vous avez un scoop hein ! Parce que je n’ai jamais raconté ça à quelqu’un. Je n’ai pas pu le digérer. Une fois au Directoire, je trouve Khalifa Sall avec l’équipe de (Jacques) Séguéla dont le PDG de Wari, Kabirou Mboodj. Ils étaient encore en train de compiler les résultats, et je trouvai cela tellement ridicule vu que nous avons perdu. Khalifa Sall me dit «Non, il faut faire le travail jusqu’au bout. » Et j’ai accepté mais c’est précisément à cet instant qu’on entendait dans toute la ville de Dakar des klaxons venant de partout, et on se penche à travers les vitres pour voir des taxis et entendre des clameurs comme «Sopi ! Gorgui !». On s’est dit, mais comment ça. Vu que la cour d’appel n’a pas encore prononcé les résultats encore moins le conseil constitutionnel, quelle est cette histoire ? En fait, c’était Diouf qui avait téléphoné Wade pour lui adresser ses félicitations car il avait eu une victoire écrasante.
Quelles leçons avez-vous tiré de cette époque sombre ?
On avait fait le constat de la défaite à entre les 19 et 20 mars 2000 mais par la suite on a digéré la défaite car c’était un verdict définitif. Maintenant comment faire ? C’est de travailler dans le parti, c’est se mobiliser et faire comprendre aux sénégalais qu’en politique, la défaite n’est pas une tare, ce n’est pas un défaut. Cela fait partie du jeu et ce qui n’est pas une plaie incurable puisqu’on en guérit, on n’en meurt jamais. Après avoir assimilé cela, j’ai été encore retrouvée Ousmane Tanor Dieng pour lui dire que je n’ai aucune responsabilité dans le parti mais je veux venir travailler avec vous et avec mes camarades. C’est à ce moment que j’ai commencé à prendre pied dans le parti pendant qu’on était dans l’opposition. Souvenez-vous j’avais mon mouvement, l’alliance pour le Fouta.
La suite était pénible quand même ?
Quand je vois comment les gens abandonnent le parti, comment la transhumance s’est instaurée, c’est vraiment une débauche générale et organisée. De là, je me dis que ce n’est pas possible ! Comment ces gens-là qui étaient le plus puissant dans le parti, qu’on aurait même mieux récompensé et ben, c’est eux qui sont allés vers Abdoulaye Wade pour le rallier. Ce qui va bien plus loin que la faillite morale du PS mais celle du Sénégal et de sa déstructuration.
En fin de compte, on peut dire qu’il y a une rupture entre Tanor et vous ?
(Rires) Vous considérez que c’est fini. Il n’y a pas de brouille entre Tanor et moi. Car, la question n’est pas personnelle, je le rappelle toujours et c’est sincère en moi. On se voit, on a les relations les plus cordiales au monde presque fraternelles. Mais, c’est vrai que sur le plan politique, il y a eu une césure entre nous, pas seulement entre lui et moi mais également entre la direction et un certain nombre de camarades sur l’orientation du parti, sur sa gestion. En ce qui me concerne, quand j’ai été candidate contre lui en 2014, les gens ont pris cela comme une sorte de défiance vis-à-vis de lui. Et je leur ai dit non. Moi, quand je pense que je dois faire les choses, j’agis comme une sorte de rebelle, là viennent les points qui font penser que je suis une rebelle, mais pour dire vrai, je les fais naturellement, sereinement.
A partir de quel moment pensez-vous que le ressort s’est cassé, politiquement parlant ?
Je pense que le ressort s’est cassé quand j’ai déclaré à RFI que dans notre parti, il n’y a pas de candidats naturels. Aussi loin que remonte ma mémoire, c’est là que la distanciation a commencé. Et lui a cru, sur la base de ce que certains camarades lui ont dit, peut-être mal intentionnés, « as-tu entendu ce qu’elle a dit à RFI » etc. Et lui-même me l’a dit et qu’on l’a même agressé avec beaucoup de questions de ce genre. Parce que vous savez en politique, on ne peut pas exclure les sentiments personnels et les ressentiments. Moi-même au sortir de l’émission, je lui ai parlé car quand j’entrais à l’émission, il m’a téléphoné comme par hasard en me disant : «Avant que tu ne reviennes à Dakar, fais tout pour rencontrer nos camarades de Paris qui avaient quelques petits soucis afin d’arranger cela diplomatiquement. Moi, je ne veux pas qu’il y ait de fâcherie ou de bouderie entre camarades, donc tu vas les recevoir». J’ai dû reporter mon voyage d’un jour pour cette cause. Je lui réponds, je te rappellerai en sortant de RFI. Pendant l’émission, vous savez comment les journalistes sont habiles pour faire trébucher leur invité et je ne considère pas avoir trébuché parce que le journaliste m’avait dit de la façon la plus naturelle : «Bien sûr votre candidat à l’élection présidentielle de 2012 sera Ousmane Tanor Dieng» et je lui ai dit que : «non, on n’a pas de candidature naturelle». Tous les candidats sont choisis au bout d’un processus qu’on appelle les primaires. Et c’est là que le PS choisira son candidat. Ce qui est non seulement conforme à la vérité, aux textes. Il n’y avait rien de mal. Après mon retour à Dakar, je l’ai appelé et on a discuté pendant longtemps et on a banalisé l’affaire. Sauf que derrière, ça a été pris pour une déclaration de guerre. Khalifa (Sall) part à Paris, on lui pose la question et il me donne raison.
Donc, il n’y a pas de tandem Khalifa-Aïssata ?
Non ! Je vais même encore vous faire une confidence, parce que je crois que vous avez un bon marabout (avec humour). Le premier avec qui je me suis accrochée quand je suis arrivée au PS, c’était bien Khalifa Sall. On s’est accroché grave ! On a mis le feu au bureau politique ce jour-là, Tanor (Dieng) a arbitré et on a demandé à Cheikh Abdou Khadre Cissokho d’être notre juge. C’était sur des questions politiques banales, des renouvellements. On n’avait pas la même façon de voir et de penser les choses. Nous sommes sortis de là et depuis lors pour nous apprécier mutuellement. Nous nous sommes estimés, il n’y a plus rien eu entre nous. Et parfois même, nous sommes devenus des confidents.
Lors de votre conquête pour la mairie de Podor, vous pensiez que le parti socialiste ne vous a pas suffisamment soutenu face à l’APR.
Je ne pense pas que le PS soit dans la puissance de mobiliser l’affaire contre moi, honnêtement ils ne l’ont pas fait. Mais quand l’APR est venue contre moi, c’était une situation difficile. Non, pas parce que j’étais en compétition contre l’APR, car beaucoup de socialistes étaient en compétition avec eux et avaient gagné comme moi. Mais moi quand j’ai gagné, on a voulu me prendre l’arme aux doigts. Et c’est là, que j’ai dit que le parti (PS) devrait dire non, on ne peut pas accepter ça ! Ils disent qu’ils l’ont fait mais moi, je ne l’ai pas sentie. En revanche, il y a eu des camarades socialistes, qui m’ont téléphoné et qui sont venus me voir pour me soutenir même à mon cabinet. Ils m’ont dit : «si tu veux, on va te prendre un avocat même si on sait que tu en es une.» Cela m’a fait plaisir. Ça, c’est un soutien moral et je pense que n’importe qui dans la situation où je me trouvais, pouvait attendre ce minimum de la part de son parti. Mais, Tanor (Dieng) n’a pas levé le plus petit doigt !
Par la suite vous avez créé le mouvement «Oser L’avenir ». La rupture d’avec le PS est désormais quand on sait que le parti a même déclenché une procédure pour votre exclusion ?
Mais la rupture ne sera jamais définitive ! Elle peut être actée si le parti met sa décision à exécution de nous exclure. Et ça, c’est tout un processus car l’exclusion n’est que le parachèvement d’une procédure. Et cette dernière, il faut la déclencher ! (Murmures) je ne pense pas que dans un parti comme le PS qu’on puisse se lever un matin pour considérer que des camarades se sont eux-mêmes auto-exclus et en tirer la conséquence qu’ils n’appartiennent plus au parti. Adhérer à un parti politique est un acte formel et solennel. Comme je l’ai rappelé tout à l’heure, avec le mouvement de soutien que j’avais avec mon alliance pour le Fouta, je n’étais pas formellement inscrite dans les instances du PS. C’est une formalité substantielle en allant chercher sa carte, militer dans un comité, dans une section, dans une coordination, dans une union régionale et aller ensuite au comité central ou au Bureau politique et tout le reste. Pour sortir de tout ce circuit-là, il faudrait au minimum un acte aussi solennel et formel. Donc, l’exclusion ne peut se résumer en auto-exclusion. Cela n’existe nulle part, je l’ai dit et je le répète, le mot n’est pas fort, c’est du charabia. Ce n’est pas autre chose. Parce que l’auto-exclusion ne pourra avoir un sens que lorsque nous aurons démissionné. Ce que nous n’avons pas fait.
A partir de quel moment pouvons-nous dire que l’exclusion est effective ?
Vous savez l’exclusion en elle-même requiert une procédure contradictoire. Même lorsque Staline faisait ses purges, il écoutait au moins ses adversaires. Même quand il a fallu juger les nazis, on a convoqué le tribunal de Nuremberg. Pourtant le monde savait ce que les nazis avaient fait : gazer des gens, engager une guerre injuste et mis le monde sens dessus, sens dessous. Et qui est-ce qui jugeaient les nazis ? Les vainqueurs ! Mais, ils ont eu droit à un tribunal. Alors pourquoi le Parti Socialiste, un parti créé depuis 1948, qui a ses statuts, son règlement intérieur, sa pratique politique et son histoire qui se confond même avec l’histoire de ce pays, ferait lui des purges sans écouter ses militants et ses responsables. On ne l’acceptera pas, il n’est pas question d’un Ousmane Tanor ou de quelqu’un d’autre, il s’agit plutôt de respecter ses propres règles. Or, le devoir de Tanor (Dieng) et de la Direction Générale du parti, c’est de veiller au respect scrupuleux de nos règles. S’ils n’y veillent pas, nous, nous le ferons. Donc, ils ont beau parler d’exclusion, ils n’ont qu’à déclencher la procédure, nous entendre pour savoir si ce que nous avons fait mérite l’exclusion ou si ce qu’on a fait correspond même à une faute pour mériter une sanction quelle qu’elle puisse être.
Est-ce que la rupture est consommée à l’heure qu’il est ?
D’abord avec ou sans exclusion, la rupture peut intervenir. Mais aujourd’hui, même si elle n’est pas consommée, il y a un mal très profond. Parce que quand même, le parti socialiste de 2014 à nos jours, a connu toutes sortes de convulsions de par ses propres militants et responsables. Qui aurait pu imaginer que pour une simple réunion de Bureau Politique qu’on puisse être amené à intenter un procès en assassinat contre des responsables et des militants ! C’est cela qui a valu la prison à Bamba Fall et à tous les autres. Mais une fois que ce rubicond-là est franchi, il sera difficile de colmater les brèches. Qui aurait pu penser que Khalifa Sall aurait été jeté en prison sans qu’on ne sente de façon formelle de la part de la Direction du parti, une solidarité peut-être en appelant des avocats, des spécialistes et des techniciens de la matière juridique. A part la réponse selon laquelle «nous sommes pour la reddition des comptes». Bien sûr tout le monde l’est ! Mais qu’est-ce qui a mené Khalifa Sall en prison ? Khalifa Sall est le secrétaire national de la vie politique. Que le PS mandate un avocat ! De 2000 à 2012, nous avons plaidé pour tous les opposants. Nous, avocats socialistes lorsqu’ils ont eus des problèmes, parfois même, c’est Tanor (Dieng) qui nous dit d’aller plaider pour le PIT parce que c’est contre Abdoulaye Wade, d’aller plaider pour le gars d’AFP.
Et bien évidemment pour les socialistes, il n’y a pas eu un seul avocat socialiste pour Khalifa Sall. Ce n’est pas normal. Voilà pourquoi, je dis qu’il y a un mal profond dans le PS et forcément il y aura des conséquences.
D’aucuns pensent que Khalifa Sall est juste victime d’un cabale dans le seul but de l’empêcher de briguer la magistrature suprême en 2019. Est ce votre sentiment ?
Moi, j’ai été l’avocate de Khalifa Sall bien avant cette affaire. Pendant très longtemps sur ses dossiers à la mairie, sur d’autres dossiers peut-être même plus personnels. Mais sur cette affaire là, j’ai été bloquée par la loi. Car, l’Etat n’accepte plus qu’un député-avocat plaide contre lui. Donc, je m’étais constituée dans les premiers jours pour Khalifa (Sall) et puis l’agent judiciaire de l’Etat s’est plaint au bâtonnier pour qu’on me sorte du dossier en tant qu’avocate. Donc, sur le plan juridique, j’aurai dû mal à me prononcer sur ce dossier bien que je le connaisse bien. Mon associé d’ailleurs occupe la place que j’ai laissée vacante et travaille avec le collectif des avocats de Khalifa Sall. Pour autant, je pense qu’un maire de Dakar, ce n’est pas rien. Surtout, quand il s’agit d’un maire qui a aussi des prétentions. Et si le régime prend son affaire comme cela, tout le monde pourrait penser que c’est de l’acharnement et qu’il s’agit raisonnablement de liquider un candidat à l’élection présidentielle. Pourquoi Khalifa n’a-t-il pas bénéficié d’une liberté provisoire ? Cette seule question aurait pu régler le problème. Qu’on le laisse libre de ses actes, libre de gérer sa mairie. C’est le fait de le mettre en prison qui est devenu le point insupportable dans l’affaire Khalifa Sall. Et voyez comment la levée de son immunité parlementaire est traitée à l’Assemblée nationale. Celle-ci n’a rien à voir avec l’exécutif. Quand même Moustapha Niasse n’est pas candidat à l’élection présidentielle. Alors pour qui fait-il cela ? Jusqu’à nous refuser de façon illégale et incompréhensible la parole à l’Assemblée nationale. Quand j’ai demandé à parler sur la base d’un acte qui m’y autorisée, Moustapha Niasse n’a pas voulu me donner la parole. Et pourtant, c’est nous qui l’avons élu à la place qu’il est et non Macky Sall. Le peuple l’a élu comme député et nous, comme Président à l’Assemblée. C’est un minimum de respect qu’il doit à ses collègues. Si un député ne peut pas parler à l’hémicycle, il ne peut le faire nulle part. Voilà pourquoi, les gens sensés, raisonnables, pensent que dans toute cette histoire, il y a de la politique. On arrive plus à démêler où commence le judiciaire et où s’arrête la politique.
Expliquez-nous le problème de la caisse d’avance ?
Moi je pense que tous les maires sont confrontés à cela. Dans ma mairie à Podor, j’ai une rubrique qui s’appelle « Dépenses diverses ». Et cette dernière permet parfois au maire d’engager des dépenses qui ne sont pas consignées dans le budget. Parce que le budget est un instrument très contraignant et qu’il faut utiliser tel qu’il figure dans la nomenclature. Or, on ne peut pas tout prévoir encore moins tout savoir d’avance, il peut arriver que des dépenses vous rattrapent. A partir de ce moment, vous faites recours à cette rubrique « Dépenses diverses » mais qui reste sous le contrôle et presque sous la supervision du percepteur. Celui-ci vous dit ça vous pouvez l’utiliser ou l’engager. Alors vous imaginez Khalifa Sall aller prendre chaque mois 30 millions et le mettre dans sa poche et aller faire le «galayabé» avec ça ! (un rire général).
Cela dépasse l’entendement. Où sont les procédures prévues pour décaisser cette somme ? Si toutefois ces procédures sont respectées et sont conformes, on ne peut plus rien reprocher à Khalifa. Maintenant, la seule chose qu’il y a eue et je le répète, c’est qu’on a dit que les factures ne sont pas réelles, qu’il y a un GIE fictif. Je les appelle des erreurs de procédure. Mais a-t-il détourné ces 30 millions à son profit personnel ? Quand il dit l’avoir donné aux nécessiteux, aux marabouts etc.
Faites-vous un rapprochement entre cette caisse d’avance et les fonds spéciaux attribués au Chef de l’Etat ? Une comparaison est-elle possible ?
Vraiment je ne sais pas ! J’entends certains le dire. Mais moi je suis un juriste. Je ne compare sur le plan du droit que ce qui est vraiment comparable. Je sais que personne ne peut contrôler les fonds spéciaux du Chef de l’Etat. Nous, les maires, sommes quand même sont contrôlés. Mais pas quant à l’opportunité de la dépense, nous sommes juges de l’opportunité de ces dépenses mais nous sommes contrôlés quant à la procédure et à la régularité. Ce n’est pas le cas du Chef de l’Etat, donc je ne peux pas comparer cela.
Aïssata Tall Sall, candidate aux élections présidentielles de 2019…
In sha Allah ! C’est la seule réponse (rires).
En tant que femme qui travaille dans un milieu d’hommes, quelle analyse faites-vous de la relation hommes-femmes dans ce terrain ?
Moi, je considère que quand la femme entreprend quelque chose, elle le fait à la fois avec plus d’attention et de passion que l’homme. Car elle part toujours du principe que la société la regarde sous un œil très faible du fait de sa condition de femme. De plus, elle est plus perméable aux critiques. A titre d’exemple, elle est souvent marginalisée car on lui dit souvent «tu ne peux pas être juriste ou avocate etc.» Elle est tout le temps dans un souci de bien faire pour démontrer sa capacité et ses compétences. Donc, elle le fait mieux que l’homme, qui lui, pense dès a priori qu’il sait le faire. D’ailleurs, quand j’assiste à des conférences internationales en compagnie des hommes, très souvent à la pause-café, ils sont là à discuter, parler, fumer des cigarettes alors que les femmes en lieu et place prennent note. En un mot, les femmes y mettent beaucoup plus de sérieux. Cela fait partie des prédispositions naturelles qui font que l’homme comme étant le plus fort en pensant qu’il peut tout faire. Ce qui, selon lui, fait la faiblesse de la femme.
Portrait
Sous un visage dévoilant des rides dus à des années de travail au service du peuple, La « Linguère de Podor » à 60 ans, reste toujours la femme engagée et rompue à la tâche pour un Sénégal meilleur. Hélas ! Elle n’en perd pas son charme de même que sa superbe. Son front gracieux et plat dessinant des sillons selon l’expression de sa figure semi-ovale, débouche sur ses sourcils dégagés et sur ses yeux minces qui n’enlèvent en rien ses éclats de tigresse et des paupières éparses et effacées font qu’elle reflète par son air, la femme africaine splendide, à la stature unique parce qu’enviée par toutes les autres ladies. Eh oui ! «La Lionne du Fouta» est l’incarnation de la beauté à l’état pur que la culture peulh scande par le teint clair, teint de lys tel une fleur du rosier, le sourire sublime dû à la blancheur des dents, le regard lumineux transperçant les cœurs (on pourrait dire que Cupidon est passé par là), le goût pour la vertu et les valeurs ; en un mot la beauté légendaire de la femme peulh, surtout celle naturelle sans artifices. Mains précises justifiant sa délicatesse et sa grande taille dressant l’esquisse de sa préciosité et de sa rigueur sont jusque dans son expression: voix suave, verbe éloquent et percutant et maîtrise de la langue. A son cabinet d’avocat où elle s’ouvre à son public trônant sur sa chaise magistrale, avec sa tasse de café, elle se drape d’une magnifique toile de bazin marron-orange où reposent des fleurs brodées avec délicatesse d’un fil beige, elle est simplement radieuse. La beauté de sa toilette est complétée par un sac à mains de la même race et des talons haut qui démontrent l’élégance de son style. Mais sa particularité réside dans son choix politique, au regard des enjeux de l’heure, en tant que figure féminine dans un milieu, il faut le dire, très disputé par la gent masculine. Elle se jette dans l’antre des Lions. Du cran, elle en a cette « Dame de fer » ! Oui, elle peut ravir ce titre à plus d’une ! À l’instar des hommes politiques, elle lance « Osez l’avenir ». Osez-le avec elle, chers lecteurs, en vous mettant sur les traces de la femme, apôtre de l’intégrité et du respect des citoyens, à la quête du trésor : le pouvoir d’Etat.