SONGUÉ DIOUF, EXPLICATION DE SEXE
Songué Diouf ne se reniera pas, persuadé d’être dans son bon droit - Le prof de philo a dit ce que Cheikh Yérim Seck a fait, il y a de cela quelques années
Ces derniers temps, pour ne rien changer, ça s’étripe dans l’opinion, via les réseaux sociaux. A l’origine de cet énième buzz, la sortie controversée à propos du viol, venant d’un enseignant en philosophie, Songué Diouf, chroniqueur à ses heures perdues de l’émission Jakarloo, sur la TFM.
La réplique ne se fait pas attendre : une plainte est déposée par un collectif de près de quarante personnes sous la houlette de deux psys et une juriste. Une pétition circule, pour regrouper le maximum de signatures dans la bataille juridique annoncée mais aussi celle d’opinion qui fait rage. La chaîne de diffusion, le présentateur, le chroniqueur devront répondre le 27 mars 2018 de ce que les plaignants considèrent, entre autres, comme une « apologie du viol ». Ce procès aura au moins des vertus pédagogiques… Explication de sexe.
Le présentateur de l’émission, première victime collatérale, affirme avoir rendu sa démission avant d’annoncer quelques jours plus tard qu’il n’en est rien. Le chroniqueur, pour sa part, se débat dans des argumentations censées préciser sa pensée. Il rappelle, au besoin, ses plus lyriques envolées sur le condescendant respect dû aux femmes. Si demain la justice condamne ses propos, il pourra toujours adopter la posture galiléenne : contraint de renier publiquement ses affirmations sur les rotations de la terre autour du soleil, le célèbre astronome s’exécutera en public. L’histoire en retient surtout qu’il aurait maugréé entre ses dents : « et pourtant, elle tourne »…
Songué Diouf ne se reniera pas, persuadé d’être dans son bon droit. Le prof de philo a dit ce que Cheikh Yérim Seck a fait, il y a de cela quelques années. Retour vers le futur.
Lorsque le célébrissime ex-journaliste de Jeune Afrique, rentré au bercail après de beaux voyages dans la haute société françafricaine, est accusé de viol, l’opinion est révulsée. Qu’est-ce qu’une jeune femme bien sous tous les rapports pouvait bien faire dans une chambre d’auberge avec un homme marié ? Quoi, sa virginité ? Comment ça, elle n’était pas consentante ? A d’autres ! Même lorsque le verdict tombe, l’autorité de la chose jugée est défiée. Aux yeux du délinquant sexuel, tout cela n’est qu’un complot. D’ailleurs, dès sa sortie de prison, le chroniqueur libidineux se déverse dans un texte qui rend grâce à Dieu et ses soutiens, tous issus de …l’honorable société. Mieux, ou pire, c’est selon, il remplit le Grand Théâtre de puissants, de poseurs et de satisfaits pour accoucher d’un mouvement citoyen. Son anonyme victime ? Ecrasée par la notoriété du bourreau. Notre monde est sans pitié pour les proies. Il préfère célébrer les prédateurs.
« Le véritable pouvoir, c’est d’avoir à ne jamais s’excuser » assène Al Pacino incarnant le rôle du cynique John Milton, dans « L’Associé du Diable ». Le viol, puisqu’il en est question, est le droit de cuissage sans la précaution de courtoisie, encore moins le devoir de séduction. Avec ses variantes qui vont du harcèlement au troussage de domestique (dédicace à Dominique Strauss-Kahn). Un attribut de pouvoir, une sorte de signe intime de notabilité qui autorise les raccourcis réservés aux privilégiés, vieux comme l’humanité. Les meilleurs morceaux sont l’apanage du chef de la horde. Selon que vous êtes puissant, riche ou même rien que célèbre, notre époque vous épargne les longues files d’attente qu’étirent les gens de peu. Comme elle vous concède la plage privée, l’immunité parlementaire, le passeport diplomatique, le sauf-conduit qui fait accéder votre bolide à la coupée de l’avion. Ou la flèche qui ouvre votre cortège pour vous éviter les désagréments de la circulation…
C’est ce chapelet de privilèges, qui s’égrène au quotidien comme un attribut de droit divin, que Songué Diouf revendique en accablant la victime de viol par l’excuse de la provocation. La faille de toutes ces proies qui se font profaner ne réside ni dans la longueur de la jupe, ni dans la profondeur du décolleté. Ça ne viole jamais que plus faible que soit. Que la faiblesse soit physique ou morale, le viol est l’expression absolue d’un ascendant, d’une position dominante indiscutable. Par exemple, plus trivialement, dans les prisons, lorsque le caïd aux appétits débordants ne bande que sur celui qui est à ses yeux son esclave sexuel. C’est le même principe qui règne dans le secret des daaras et diocèses, des internats, du monde surréaliste de la pédophilie et des familles incestueuses, des zones de conflit ou de non-droit.
Lorsqu’une pré-pubère est « donnée en mariage » à un notable pour ennoblir la lignée, le forçage d’hyménée n’est pas autre chose qu’un viol, autant de l’âme que du corps, parce qu’à cet âge-là, on ne saurait être ni consentant, ni responsable…
Excuser le viol, c’est aussi admettre le bien-fondé de se faire tabasser et dépouiller dans un quartier mal famé parce que le vrai tort serait d’être trop bien habillé pour déambuler dans les bouges. Le seul crime de la proie est d’être à la merci du prédateur. Chez nous, en wolof, le bon sens populaire vous le dit bien : « Néw dôlè môy tôgne ».
Le viol, ce passe-droit de cuissage extrême, est un luxe censé calmer les fureurs du bas-ventre, certes. Il flatte surtout l’égo. Celui du chasseur à la gibecière pleine qui n’en finit jamais d’exercer son droit de vie et de mort sur la faune. Cette vanité que confère le pouvoir de faire et défaire des destins lorsqu’on trône au sommet de la hiérarchie, d’enjamber les règles communes, de contourner la morale impunément. Celle qui distingue les gens du destin des simples mortels. Enlever à l’homme ce droit de mériter mieux que l’ordinaire, c’est émasculer la saga des conquérants de la terre.
Songué Diouf est tragiquement humain. Il eût été un loup, il demanderait à l’agneau ce qui le rend si hardi de troubler son breuvage.