POUR 150 FRANCS...
Fin de parcours - Pas d’exam cher Fallou - Comment peut-on laisser de telles situations arriver et ne pas s’attendre au pire? - Qui n’a pas fait son job ? - Qui a intimé l’ordre de tirer ? - Qui a crié feu ?

Tu as été fauché. Par balle. The end ! Mardi 15 mai 2018. Université Gaston Berger. Saint-Louis.
Fin de parcours. Pas d’exam cher Fallou. Désolé de te voir partir comme ça. Sur la scène du Savoir. Que dis-je, de la bêtise humaine. Que veux-tu que je te dise.
C’est comme ça ! Chez ce qui était chez toi hier, à 7 heures. Comme chez moi et les autres, dans ce Sénégal.
Comme d’habitude. On jette des pierres. Caillasse. Et l’un d’entre nous meurt. A fréquence régulière. De Zeng à Macky. Rien de nouveau. Si, les générations.
Le respect de la parole donnée ? Le respect de l’ordre ? De la vie ? Quelle importance. Pourvue seulement que s’exprime le rapport de force. Dans toute sa naïveté. Brutalement. Et autant en emportera la mort !
150 francs ! Le prix d’une vie. Bordel, arrivé en Fac pour le savoir et l’immortaliser. Quelle absurdité !
Suis un dur, un vrai de vrai, mais je ne ma battrai pas pour si peu. Je ne prendrai pas de pierres pas pour faire face en tout cas à des spécialistes de la castagne. Ils sont payés pour. Moi pas. Mourir comme ça ! Non !
La mort, je la connais assez, pour l’avoir donnée au par coup ou par rafale. Sans sourciller. Au besoin. Quand cela s’impose. Au bout d’un ordre. Broken… Comme une Adn. Pour vivre. Survivre. Face à l’ennemie. Une vie de soldat.
Tirer sur toi Fallou ? Non ! Ni sur les miens d’ailleurs. Pas fait pour.
A moins que je n’aille écouter cette profondeur vide d’intelligence, cette stupidité envahissante, cette peur et manque de maîtrise qui savent prendre possession de mon être, quand j’ai fini de constater, stupéfait, ma faillite.
J’ai beau analyser que je ne comprends toujours pas comment on en arrive à créer cette situation aussi ubuesque qu’explosive au cours de laquelle des élèves de 12-15 ans défient des forces de l’ordre non formées pour faire face à des gamins. Des étudiants armés de pierre font face à des auxiliaires de la gendarmerie ou éléments du Groupement mobile formés pour tirer et courir. Face à des spécialistes de la guerre !
Oui, qu’on m’explique comment peut-on laisser de telles situations arriver et ne pas s’attendre au pire?
Comment peut-on s’attendre à ce qu’on ne finisse pas la journée avec un oeil perdu. Des fractures d’os abîmés à jamais. Des estropiés. Des Certificats d’handicap à vie. ! Des diplômes de vie de gosse sacrifiée. A à peine 15 ans et quelques poussières de plus. Qu’on me dise !
Quelle belle connerie armée de balle réelle. Quelle absurdité que ces pierres estudiantines. Pourquoi finalement. Quel en est le but ? Provoquer l’ordre d’un côté ? Son rétablissement de l’autre ? Mort d’homme à l’arrivée ! Je ne comprends pas.
Comme ce fusil armé de balle réelle pour faire face au … pire. Qu’est-ce que le pire avant 10H00 ?
Justement, à propos de ce fusil, était-il armé comme tous les autres de balles tueuses. Si non, qui a vérifié quoi ?
Qui n’a pas fait son job ? Qui a intimé l’ordre de tirer. Qui a crié feu ! D’où vient l’ordre ? De quel commandement ?
Je veux savoir.
Où est-ce un auxiliaire, formé pour courir et tirer après quelques mois à Bango comme on en trouve désormais des centaines dans le corps de la gendarmerie, qui a disjoncté ? Tirant sur Fallou, par réflexe, pour l’amener sans le vouloir dans un voyage sans retour. Où est-ce …
Une absurdité de plus ?
Comme d’habitude. De Senghor à Macky Sall. Toujours cette sauvagerie inouïe se nourrissant de pierres estudiantines naïves parfois instrumentalisées face à une force explosive.
Comment ne pas prévoir le pire. La mort. Mon Dieu. Pourquoi ? Comment ?
Pour que de Saint-Louis à Dakar, se déclinent les résultats d’une autopsie déclarée par voix autorisée au terme d’un voyage mortuaire à destination de la capitale. A la morgue. Hôpital Aristide Le Dantec. Pour qu’à la fin de la besogne légiste, la gestion cavalière de la dépouille prenne le dessus sécuritaire sur une souffrance familiale, commune, avec cette vie, une de plus, de prise.
Pour que le retour aux sources se fasse en catimini. En station allongée. Définitive. Pour une autre vie. Le paradis prie-t-on. Sans un mot. Même pas pour la famille. Diourbel finalement. Djar yému.
Elle est belle cette République. Elle est explosive cette jeunesse. Ces étudiants de pierre.
Il est beau ce pays où plus rien ne se pardonne. Où l’on s’invite à la casse. Au nom de la réclame, du défi, de l’ordre.
Je ne sais pas quoi te dire Fallou. Toi parti si jeune. Laissant épouse et ton enfant attendre ton retour. Les yeux dans le vide. Désespérés. La bouche questionneuse. Que vais-je pouvoir dire à ton enfant. Que tu es parti pour 150 francs !
Je ne peux pas. Non ! J’arrête ces pierres, ces tirs. Je m’assois, diligente une enquête, une vraie et je te jure que je ferai en sorte pour que plus jamais un étudiant ne meurt par balle parce qu’il a pris une pierre entre ses mains.
Pardonne moi Fallou, j’ai failli et j’en suis meurtri. Doublement. 150 francs …