« ON VA MOURIR LES ARMES À LA MAIN »
Gardien du Sénégal, le vétéran Khadim Ndiaye nous présente ici son parcours cabossé, entre essais en Europe et bagarres de rue - Le portier des « Lions » est également revenu sur le Mondial 2018 qui verra la participation du Sénégal - ENTRETIEN
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Gardien du Sénégal, le vétéran Khadim Ndiaye nous présente ici son parcours cabossé, entre essais en Europe et bagarres de rue. Le portier des « Lions » est également revenu sur le mondial 2018 qui verra la participation du Sénégal.
De remplaçant, vous avez gagné votre place de titulaire. Qu’est-ce qui a changé durant cette période ?
J’ai joué à cause des blessures, mais je n’ai remplacé personne. J’ai saisi ma chance et donné mon addition pour la qualification. Bien sûr, je n’ai pas envie de me contenter de cela. J’ai la chance d’être dans les 23 et je travaille dur pour mériter la confiance du coach en direction de la Coupe du monde. Je ne sais pas ce qui va se passer, je ne suis même pas sûr d’être titulaire. En club, on peut me forcer à jouer même blessé, mais en équipe nationale, il y a tellement de concurrence. Le sélectionneur peut piocher dans un vivier immense... Il faut rester prudent.
Comment vivez-vous la rivalité à Conakry, avec ses trois clubs, le Horoya, le Hafia et l’As Kalloum ?
Quand je suis venu ici, j’ai adhéré avec le peuple, et je commence vraiment à apprécier cette concurrence. Entre l’Horoya et le Hafia, la rivalité est saine. On joue le match, c’est tendu sur le terrain, mais il n’y a pas de problème une fois la rencontre terminée. En revanche, si on joue contre l’AS Kalloum, il n’y a même pas de salutations, pas de collaboration, rien du tout. (Rires.) Ce sont des jaloux. Nous sommes les meilleurs. Mais depuis que je suis arrivé, en 2014, le niveau du championnat augmente. Il y a quelques années, on pouvait enchaîner les 4-0, mais désormais c’est plus difficile. Les matchs, on ne les gagne pas comme ça, attention. Cette saison, c’était des 1-0, des 2-1, des matchs au couteau. Des joueurs étrangers arrivent dans les autres équipes pour nous concurrencer et ça tire tout le monde vers le haut.
Tu sembles très attaché à tes couleurs de ce club ?
En fait, c’était dans le sens figuré. (Rires.) Plus sérieusement, je suis très attaché au Horoya et je m’en contente. Ce sont eux qui m’ont relancé à un point mort de ma carrière. Ils m’ont donné le temps de jeu et la confiance qui m’ont permis d’être compétitif.
Tu n’as jamais essayé d’aller en Europe ?
Si, en 2012, j’ai failli signer à Kalmar, en Suède. Je n’aime pas trop me le rappeler. Je suis venu, mais rien n’a marché. Le titulaire, c’était Etrit Berisha qui est à l'Atalanta aujourd'hui. J’ai fait de bons matchs là-bas avec la réserve, on a discuté salaire et contrat, ils m’ont demandé de revenir sous quinze jours. Il fallait que j’aille à Abidjan prendre un visa long séjour pour la Suède. Ils voulaient me prendre, mais ça a traîné à cause d’un dirigeant du football sénégalais qui était trop gourmand, il voulait plus que les 45 000 dollars que le club proposait. Finalement, ils avaient le choix de me prendre ou de garder un Brésilien de 19 ans qui était trop fort, et finalement je suis resté à quai.
Cela reste une grosse déception ?
Non, ce n’était pas ma chance, je ne devais pas signer là-bas.
Du coup, tu seras un des rares joueurs de la coupe du monde à évoluer en Afrique sub-saharienne...
Récemment, j’ai pensé à ça, oui. On est peu de joueurs à avoir cette chance. Il y a le gardien du Nigeria aussi, je crois. C’est une chose extraordinaire, mais ce sera un gros challenge. C’est un défi de représenter le football africain. Les gens vont voir que les joueurs qui jouent en Guinée ou au Nigeria savent ce qu’ils font. Robert Kidiaba n’a jamais connu l’Europe non plus. Il a récemment déclaré que tu avais des qualités exceptionnelles. Cela me fait très plaisir. C’est quelqu’un que j’ai toujours estimé. Lui, il a passé toute sa carrière au TP Mazembe, avec le président Moïse Katumbi. Il aurait pu évoluer dans les plus grands championnats, il a fait le choix de rester en Afrique. J’ai eu la chance de jouer contre lui, quand j’étais jeune, lors des éliminatoires de la CAN 2012. On avait gagné 4-2. Avant de devenir professionnel, tu as commencé ta carrière dans les navétanes, un tournoi amateur. Oui, j’ai intégré le Saint-Louis Football Center en 2001 et suis resté jusqu’en 2006-2007. On a gagné le titre en cadet, le public avait sa chanson pour moi. Au Sénégal, les navétanes sont beaucoup plus considérées que le championnat, que très peu de monde regarde. La ferveur qui entoure les matchs n’a rien à voir.
Comment expliques-tu cette popularité ?
Dans le championnat, tu joues plus région contre région, alors que les navétanes, c’est quartier contre quartier, voisins contre voisins. Il y a d’énormes rivalités, ça dégénère parfois. C’est la folie. Des fois, au sein d’une même famille, un frère va supporter l’équipe A, l’autre l’équipe B. Le jour du match, tu sais que ça va être tendu, que le public va être chaud.
À l’époque, tu n’étais pas gardien, mais attaquant...
Tu peux demander à quiconque de mon âge, j’étais plus technique, plus costaud, meilleur que tout le monde. Seulement, après, je suis devenu gardien de but. J’ai dépanné dans les cages lors d’un match et ils ont fait ma licence en tant que gardien. Du premier tour à la finale, je n’ai pas encaissé le moindre but. Du coup, je me suis dit : « Ah c’est possible » et j’ai commencé à m’entraîner sérieusement à ce poste. J’ai reçu le maillot de Fabien Barthez, mon idole, d’un pote qui était allé en vacances à Marseille.
Aujourd’hui, ton passé de joueur de champ te permet d’être assez sûr balle au pied...
Mes coéquipiers ne s’inquiètent jamais pour me faire la passe. Quand j’ai fait le crochet à Eto’o à la CAN 2012, j’ai montré qu’on pouvait être tranquille. Feinte de dégagement et crochet. (Rires.) C’était vraiment beau. J’ai été critiqué dans les médias pour ce geste, les gens disaient que je n’avais pas la maturité, mais pour moi, ne pas perdre le ballon, c’est une qualité importante pour un gardien moderne. Tu as vu le jeu au pied de Neuer ? Jamais un dégagement. Mais à l’époque, ce n’était pas encore entré dans les mœurs, fallait dégager en touche.
Quels sont tes qualités et tes défauts en tant que gardien ?
Ma principale qualité, c’est que j’aime travailler. Si je travaille bien, je sais que je peux arriver en tout. On ne peut pas être parfait à 100%. Mon ancien entraîneur, Amara Traoré, jugeait que j’avais des problèmes au niveau de la concentration pendant les matchs. Il m’a beaucoup fait travailler sur ce point. Il a connu le haut niveau, il m’a préparé sur beaucoup d’aspects mentaux. À l’époque, je lui ai demandé comment faire pour mieux se concentrer. «Ne te laisse pas distraire» , qu’il m’a dit. «Quand tu joues un match de football le samedi, laisse les femmes, laisse les potes, concentre-toi sur le ballon, et après, quand c’est fini, tu fais ta vie.» J’ai essayé, et ce n’était pas facile. (Rires.) Mais j’ai réussi. J’ai eu des résultats positifs par rapport à ça. C’est important, car le poste de gardien de but est très exposé. Quand tu fais un bon match, ta famille est fière, ton président te respecte, ton pays te respecte. Mais quand tu n’es pas bon, tu es insulté.
Ta mère avait l’habitude de mettre dans sa chambre un pot de pièces de 10 francs cFa dans le but de dédommager tes victimes.
Oui. Il y avait beaucoup de pièces. (Rires.) Je me battais tous les jours, je lui ai fait perdre beaucoup d’argent quand même. Je faisais partie d’une petite bande. La nuit, on fabriquait des armes, des flèches, et on se bagarrait. On se combattait. Je ne veux même pas me le rappeler, j’ai fait trop de conneries. Heureusement, le football m’a sauvé.
À la même époque, elle raconte aussi que tu as donné une sandale à un mendiant, ce qui tend à prouver que tu as toujours eu bon cœur quand même...
Les enfants, les mendiants, ils sont toujours avec moi, ils ont toujours été mes amis. Je les aime de tout mon cœur. Dans la vie, je pense qu’il n’y a que ça. En ce moment, en Guinée, je vis avec plus de six personnes. Je ne les connais même pas, je les ai rencontrées ici, en Guinée. Mais je les traite comme mes frères, de même père et de même mère. Je suis comme ça.
La solidarité, c’est une des qualités de la sélection nationale. vous semblez très soudés.
On est une belle bande de copains, assez hétéroclite, avec beaucoup de joueurs qui viennent de structures assez différentes. On a des stars qui jouent la Ligue des champions en Europe et d’autres qui jouent à des échelons plus modestes, mais on est une famille. Pendant les regroupements, on peut rester discuter jusqu’à une heure ou deux heures du matin. On fait tout ensemble. C’est notre force. On n’est pas 23 personnes, mais une seule et même personne à 23 têtes. On se bat ensemble, on crève ensemble. On sent un énorme engouement dans le pays à l’orée de votre deuxième Coupe du monde, seize ans après la génération Diouf. C’est une fête. Maintenant, il faut enchaîner. On a les armes nécessaires pour mettre l’Afrique à l’honneur. On a quelque chose que nos adversaires n’ont pas : la grinta africaine. (Rires.) Je peux vous l’assurer : on va mettre le paquet en Russie. On va mourir les armes à la main. Ça va saigner, hein.
Avec la Colombie, le Japon et la Pologne, votre groupe semble assez homogène...
Même si on avait le Brésil, l’Allemagne, l’Espagne, l’Argentine, ça ne changerait rien. Le tirage a parlé : «Vous les Sénégalais, qui vous êtes qualifiés pour ce Mondial, je vous sers dans votre plat ces trois équipes. Maintenant, c’est à vous de voir si vous voulez manger.» Va-t-on vivre ou mourir ? Difficile à dire : on ne sait pas si c’est poison ou bon aliment. (Rires.) On va goûter quand même. Sur le terrain, on sera onze contre onze, donc on verra bien.
Il y a un adversaire qui t’inquiète plus que les autres?
Dans notre poule, l’équipe qui m’inquiète le plus, c’est le Sénégal. On est capables du meilleur comme du pire.. Mais on est des Sénégalais, il n’y a rien qui nous fasse peur.
Et puis, vous avez quand même Sadio Mané...
C’est un petit génie. Il est jeune, mais c’est un vrai leader, de haute qualité et de grande classe. Tout le monde le respecte. Tu sais ce qu’il a fait récemment ? Kara Mbodj s’est blessé et Sadio a insisté pour prendre en charge ses frais médicaux. C’est un geste qui a fait pleurer Kara. C’est symptomatique de Sadio : il est gentil, il aime ses amis, il est humble. Il ne se prend pas pour une star, il se rabaisse toujours, il essaie de passer inaperçu. Pourtant, sur le terrain, tu ne vois que lui. C’est mérité, car à l’entraînement, il bosse et il répète sans relâche, il ne fait rien à l’improviste. Quand il est là, cela me rassure, car je sais qu’on ne sera jamais battus 1-0, puisqu'il va toujours marquer ou faire marquer. Il est de la trempe d’Eden Hazard ou de Lionel Messi, c’est lui qui fera la différence. À ma charge de ne pas prendre de buts et on ira loin tous ensemble.
so Foot