LA MISÈRE DES FEMMES DÉLAISSÉES
Immersion à Louga, où certaines femmes abandonnées par leur époux, souffrent le martyre pour joindre les deux bouts et subvenir aux besoins de leur progéniture
L’information avait fait le tour du monde, avec la magie des Nouvelles technologies de l’information et de la communication (Ntic). Une jeune dame, F.S, a été prise à Louga, la main dans le sac, pour avoir dissimulé dans ses parties intimes un calepin bourré d’argent qu’elle venait de chiper à une autorité. Portant sur son dos un bébé de moins de deux ans, la voleuse, après avoir réussi son coup, tentait de quitter les locaux du centre culturel régional où se tenait une grande cérémonie. Malheureusement, le commandant de la brigade mixte de Louga, qui prenait part à cette rencontre, du haut du présidium, n’a rien raté de la scène. Il s’est éjecté de son fauteuil et d’un pas alerte, est passé par une porte dérobée, avant de se retrouver face à face avec la voleuse. La jeune dame, pour se tirer d’affaire, a utilisé ses cordes vocales, ameutant ainsi toute la salle : «Oh pitié ! Je ne suis pas une voleuse. Je suis abandonnée par mon mari, mes enfants sont restés deux jours sans manger», criait-elle. Une bonne partie des membres de l’assistance, qui n’avaient pas accordé du crédit à ce moyen de défense, ont fini par s’attendrir.
En effet, un agent du service régional de l’action sociale a corroboré les propos de la dame. La dame vit seule avec ses quatre enfants dans un habitat spontané (Fakk Deuk) sis au populeux quartier de Médina Garage. F.S (32 ans) et sa progéniture vivent dans une case sans porte, avec une natte posée à même le sol, des ustensiles de cuisine superposés, une valise d’un autre âge et un bidon d’huile vide servant de banc. Assise à même la natte, son dernier-né tète goulument un sein flasque, elle raconte sa grande misère, qu’elle impute à son mari : «Ma vie n’a jamais été un long fleuve tranquille. Je me suis mariée à 20 ans avec un homme qui habitait la région de Tambacounda et il s’était converti à l’Islam après notre mariage. Nous avons eu 5 enfants. Mais malheureusement, il est décédé. Je ne lui connaissais aucune attache. Durant tout la période qu’a duré notre mariage, il n’a jamais rendu visite à ses parents. Donc, je ne connais pas sa famille. A son décès, j’avais d’énormes difficultés à nourrir nos enfants. Finalement, je les ai confiés à des proches.» Seule, laissée à son sort, F.S ne baisse pas les bras et décide, quelques années plus tard, de convoler en secondes noces avec un vigile. Deux enfants naîtront de cette union. Mais comme si le sort s’acharnait contre elle, quelques années plus tard, son mari, accusé de vol, perd son boulot. Elle observe un court silence, ferme les yeux et lâche : «C’était le début de mon calvaire. Avant de rentrer chez lui à Dakar, mon mari m’a répudié. En réalité, il avait déjà une femme et des enfants, et avait opté pour la monogamie. Donc, il ne pouvait pas s’encombrer d’une autre épouse.»
Le sol s’est dérobé sous les pieds de F. S. Mais surtout, les questions se bousculaient dans sa tête. Comment a-t-elle pu être assez naïve pour se laisser berner par les belles paroles d’un homme ? Et surtout, comment n’a-t-elle pas flairé le coup, surtout que face à ses multiples relances pour faire la connaissance de sa famille, son mari n’a jamais voulu s’épancher sur la question. «Je me suis sentie flouée. Ce jour-là, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Je n’ai jamais imaginé que mon mari allait me trahir de la sorte et abandonner ses enfants. Il est parti le lendemain. Depuis, il a coupé les ponts avec nous. Même pas un coup de fil pour prendre des nouvelles de ses enfants, qui me réclament souvent leur père. Face à leur insistance, j’ai fini par leur avouer la vérité. Et j’ai décidé de reprendre ma vie en main.» F.S s’essaie à plusieurs petits boulots. Sans succès. «Parfois, ce sont mes voisins qui nous donnaient à manger. Parce que mes petits boulots ne me permettaient pas de nourrir mes enfants. Et mes parents, qui m’assistaient de temps à autre, étaient décédés. En désespoir de cause, j’ai versé dans la prostitution. J’ai exercé ce métier pendant une année. Je faisais la navette entre Louga et Mbacké. Maintenant, j’ai tout arrêté, parce que mes enfants commencent à grandir. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle j’ai décidé de vivre ici au quartier de Médina Garage. Pour l’heure, je vivote avec le peu d’argent que je gagne de gauche à droite. Mon mari s’est fondu dans la nature depuis bientôt 3 ans. Il n’a plus donné de nouvelles et ne s’occupe plus de ses enfants, qui le considèrent comme mort.»
«Mon mari m’a abandonnée parce qu’il m’en veut d’avoir donné naissance à une enfant handicapée»
Contrairement à F.S, qui s’est muée en voleuse (de circonstance) pour dit-elle subvenir aux besoins de ses enfants, Kh. S, qui a vécu pourtant le même sort, est restée digne dans l’épreuve. Tenancière d’une gargote à quelques jets de pierres du centre culturel régional «Mademba Diop», cette mère de sept (7) bouts de bois de Dieu, âgée d’une quarantaine d’années, vit au quartier Médina Salam. Rencontrée au Tribunal de grande instance de Louga, Kh. S ne digère toujours pas la décision du juge qui l’a déclarée coupable du délit d’abandon du domicile conjugal et condamnée à payer une forte somme d’argent à son… mari. La voix nouée par la colère, elle siffle : «C’est injuste. Je ne comprends pas cette décision de justice. Dans cette affaire, je suis la victime et c’est moi qu’on punit. C’est quelle justice ça ?» Pour comprendre l’histoire de Kh. S, il faut remonter à 24 ans. Mariée à l’âge de 16 ans à un cousin, sa vie bascule quand elle donne naissance à sa fille aînée, née handicapée. Son mari convole alors en secondes noces. «C’est un émigré qui vit en Espagne, mais nous ses femmes, sommes restées au pays. Mon calvaire a commencé suite à cette naissance et ce deuxième mariage. Pour les beaux yeux de ma coépouse, mon épouse nous a tourné le dos, à mes enfants et moi. Il ne s’acquitte plus de ses obligations, ne fait rien pour moi et ne se gêne pas pour me frapper devant mes enfants pour des broutilles. Je supportais tout pour mes enfants et grâce à mon commerce, je parvenais à gérer le quotidien.»
Sa soumission a atteint le point de non-retour l’année dernière. A la suite d’une bagarre avec sa coépouse, son mari la traîne à la barre et ne se gêne pour prendre fait et cause pour sa 2e épouse. C’était l’affront de trop. Ne se sentant plus en sécurité aux côtés d’un homme qui n’a pas hésité à la traîner en justice, Kh. S quitte le domicile conjugal et emménage dans une maison prêtée par son grand-frère à Médina Salam. C’était sans compter avec son mari, qui la traîne à nouveau à la barre, pour abandon du domicile conjugal. Kh. S est déclarée coupable et condamnée à payer une amende à son mari. Elle râle : «Je ne me sentais plus en sécurité chez lui. J’ai quitté le domicile conjugal, certes, mais nous étions toujours mariés. C’est à l’issue de l’audience au tribunal que le divorce a été prononcé, mais il se devait de me verser une pension pour ses enfants. Même si je n’ai pas enclenché une action en justice pour cela, c’est son devoir car il est leur père. Il s’est détourné de ses enfants et ne s’intéresse plus à eux. Moi, je me suis résolue à le laisser faire selon sa conscience. Il m’a traînée en justice, mais moi, jamais je ne traînerai le père de mes enfants à la barre. Aujourd’hui, je m’occupe seule de mes enfants. Ma fille aînée est handicapée et c’est moi qui prends en charge tous ses frais médicaux. Son état de santé nécessite une évacuation en Europe. Son père en a les moyens, mais il a croisé les bras. Le jour de la tabaski, ce sont mes voisins qui m’ont donné à manger. J’ai passé toute cette journée à pleurer, car je sais que les autres enfants de mon mari avaient le cœur en fête, au moment où les miens portaient des haillons. Mais je ne vais jamais porter plainte contre mari, je le laisse avec sa conscience. Parce que j’ai eu la confirmation d’un de ses parents, qui m’a confessé que si mon mari m’a fait subir toutes ces misères et abandonnée, c’est parce j’ai mis au monde une fille handicapée», serine-t-elle.
«Je suis restée onze ans sans voir mon époux»
M.F (39 ans) fait elle aussi partie de ces femmes abandonnées par leur mari. Loin de baisser les bras, elle est en train de lutter pour joindre les deux bouts. Chaque après-midi, elle sillonne les différentes artères du centre ville pour vendre du café Touba. Très pudique, elle est visiblement gênée d’évoquer la grande misère à laquelle elle fait face : «Certes, je suis restée onze ans sans voir mon mari, mais ce n’est pas la fin du monde. Il est parti en Europe alors que notre fils aîné avait 8 ans, me laissant seule avec nos deux enfants.» Seule et sans nouvelles, la jeune dame s’est résignée et a cessé de guetter le retour hypothétique de son «fantôme» de mari. Elle poursuit, la voix enrouée : «Je ne l’attends plus et d’ailleurs, à quoi bon ? J’ai cessé d’espérer. Depuis bientôt 11 ans qu’il est parti, il n’a jamais daigné nous appeler ou prendre de nos nouvelles. Un de ses parents m’a dit qu’il s’était marié avec une Européenne là-bas. Sans plus.»
Aujourd’hui, R.F a repris sa vie en main. Elle souffle, la voix basse : «Ce qui m’intéresse, c’est l’avenir de mes deux enfants. Je me bats afin qu’ils ne manquent de rien. Leur père a fait son choix en restant toutes ces années sans les voir ni les soutenir. J’ai arrêté de pleurer sur mon sort. C’est vraiment dur pour une femme d’être abandonnée par son mari, mais que puis-je y faire ? A mon âge, il me serait très difficile de trouver un autre mari qui m’acceptera avec ma progéniture.»
«Mon mari m’a abandonnée et est rentré en Guinée»
Une résignation à laquelle s’est conformée M. Tall. Lavandière domiciliée au village de Nguidilé à la lisière de la commune de Louga, M. Tall, la quarantaine, vit elle aussi dans sa chair, la misère causée par l’abandon de son mari, un ressortissant guinéen. Son époux, qui avait laissé dans son pays une femme et plusieurs enfants, y est retourné en 2016 après le décès de son père. Depuis cette date, il n’a plus donné signe de vie. Rien. Même pas un coup de fil à son épouse sénégalaise, ni à ses deux enfants, âgés respectivement de 6 et de 4 ans. «Après deux mois sans nouvelles de mon mari, j’ai réussi à le joindre et il m’a assuré qu’il reviendra au Sénégal incessamment. Je l’ai attendu encore plusieurs mois sans voir son ombre», confie-t-elle. De guerre lasse, M. Tall s’est fait une religion et c’est finalement par le biais d’un des compatriotes de son mari qu’elle a su la vérité. «Ce dernier, qui vivait non loin de chez nous, a eu le courage de me dire qu’il ne rentrera plus, car il gère désormais les biens que son défunt père avait légués à sa famille. Il a «oublié» qu’il a laissé ici deux enfants. Notre dernier échange téléphonique remonte au mois de ramadan. Je l’ai appelé pour l’informer que j’allais circoncire notre fils aîné. C’est là qu’il m’a annoncé la terrible nouvelle. Il était déjà marié en Guinée et sa femme n’était pas au courant de notre mariage. Donc, je n’avais qu’à faire une croix. J’étais anéantie, mais qu’est-ce que je pouvais y faire ? Je ne peux pas le retrouver en Guinée. Ma famille était foncièrement contre cette union. J’ai accepté mon sort et je m’en remets à Dieu. Pour gagner ma vie, j’exerce le métier de lavandière à Louga. Je ne vais pas tendre la main ou m’adonner à des pratiques réprouvées par ma religion. J’ai définitivement tourné la page», termine-t-elle. En désespoir de cause.