SONKO, UN MISTER BUZZ ?
Depuis le lancement de son livre «Solutions », le leader de « Pastef, les patriotes » occupe les feux de la rampe. Ses moindres faits et gestes sont guettés et amplifiés - Les avis du journaliste ibrahima Bakhoum et de l’expert en politique dr atab Badji
Ousmane Sonko est l’un des politiciens qui a soulevé le plus de passions contradictoires au Sénégal. Pour ses partisans, dont le soutien inconditionnel ne s’est jamais démenti, il est l’homme providentiel, le sauveur d’un Sénégal à la « dérive », mais aussi celui qui redonnera leur dignité aux Sénégalais. Pour ses adversaires, l’homme est un « nain » politique, un populiste qui ne peut impressionner leur candidat, le président sortant Macky Sall. Cet ex-inspecteur des Impôts et Domaines à la voix suave et aux manières policées ne ressemble pourtant en rien, pour les premiers, à un chef de guerre. Mais pour les seconds, les apparences sont trompeuses.
Samedi dernier, à la place de l’Obélisque devenue place de la Nation, on a peut-être assisté à un moment historique. Dans ce lieu, où beaucoup de manifestations politiques sont organisées, Ousmane Sonko a réussi sa démonstration de force. Accusé par ses concurrents de n’être qu’une « bulle médiatique », Sonko a démontré que son jeune mouvement, Pastef-Les Patriotes, fondé en 2014, pouvait mobiliser massivement, sans les moyens des partis traditionnels.
Sa stratégie politique
Il en a fait sa marque de fabrique : la « vieille politique » des partis, c’est fini. Et pour capter les meilleures idées, Sonko veut rompre avec le clivage libéralisme-socialisme- communiste, qui a structuré notre histoire. D’où ses attaques répétitives contre un système qu’il juge « corrompu ». Cette stratégie «d’antisystème » semble plaire aux Sénégalais. « Il y a l’image de Ousmane Sonko qui parle actuellement pour avoir attaqué un pan de l’économie nationale notamment le pétrole et le gaz. Ensuite, il en a largement pris de la manière dont le frère du président est entré dans cette affaire », soutient le journaliste et communiquant Ibrahima Bakhoum. Qui souligne que quand un pouvoir commence à chuter en image, tout ce qui se rapporte à la personne qui dirige ce pays-là commence à se décréditer. En effet, pense le journaliste, on n’avait pas fini de dénoncer le fils de et le frère de arrive. « Sonko porte ce combat et est vu comme une sorte de guerrier. On le sanctionne pour avoir fait ce qu’il a fait », explique-t-il.
Peu importe qu’il soit légal ou illégal mais, soutient Ibrahima Bakhoum, les Sénégalais constatent uniquement une chose, il a été sanctionné tout simplement pour avoir osé dire quelque chose sur la gouvernance du pétrole, les exonérations fiscales entre autres. « Sonko devient ainsi une nouvelle victime du pouvoir », estime le journaliste. En lançant son mouvement et en publiant un livre-programme le weekend dernier, l’ancien inspecteur des Impôts et Domaines affiche son ambition : occuper les esprits et prendre la main sur la campagne présidentielle du candidat sortant Macky Sall mais aussi le remplacer à la tête du pays au soir du 24 février 2019. Pour le journaliste Ibrahima Bakhoum, ce gars innove dans un sens. Rien que son petit jeu en lançant son-programme est un moyen de communication très fort. Il vient ensuite, selon lui, à la Place de la Nation, rassemble les gens et leur fait part de ses ambitions. Ça, c’est un message très fort, soutient le vétéran du journalisme. Selon Ibrahima Bakhoum, tout cela suffit pour que les Sénégalais votent en faveur d’Ousmane Sonko. Du moins, ce dernier en est-il convaincu.
De son côté, Dr Atab Badji, expert en géostratégie et en politique, estime que ce qui s’est passé dimanche passé est une grande opération de communication et qui permet d’asseoir les bases d’un leader charismatique. Au-delà, M. Badji soutient que le leader de Pastef a innové en posant un problème de fond. Parce qu’en général, explique l’expert en politique, les candidats font des offres politiques qui sont plus apparentées à une dissertation sur la misère du peuple sénégalais, sur les carences sans pour autant aller au fond des politiques sectorielles. « Du point de vue communication, ce sont des moments forts, des points forts qui ont été étalés. Et ces atouts convoquent une caractéristique assez importante pour quelqu’un qui prétend atteindre la magistrature suprême : le charisme, qui est fondamental pour un leader », martèle notre interlocuteur.
Ibrahima Bakhoum, journaliste : « Les Sénégalais avaient hâte d’avoir un Messie »
Ibrahima Bakhoum, lui, pense que cela est la partie concrétisation ou opérationnelle. « N’oublions pas aussi que les Sénégalais avaient hâte d’avoir un Messie. Et celui qui se présente en tant que leader critique, non pas en termes d’insultes, mais de critiques politiques, les Sénégalais peuvent lui prêter attention. Sonko est en train de parler de programme, de vendre son programme, certainement il y aura certains qui vont l’acheter », pense le journaliste. Qui estime que le combat de Sonko devra être non seulement d’effacer Macky Sall en termes d’images mais également de réussir à effacer Karim et Abdoulaye Wade. Et M. Bakhoum de soutenir : « Mais, au moins, d’une manière ou d’une autre, à chaque fois qu’on parlera de politique dans ce pays-là ou de changement, forcément on pensera à Sonko. Sonko a aujourd’hui une bonne position sur ces candidats. » Mais, pour le Dr Atab Badji, le fait d’aller oser affronter le public sur la place publique a été un moment fort de communication. Maintenant, pense-t-il, la balle n’est pas seulement du côté du pouvoir, « elle est aussi du côté de l’opposition pour que le débat ne soit pas rabaissé ».
Sonko est critiqué et accusé depuis dimanche dernier par ces adversaires d’avoir plagié les écrits d’autres mais aussi de vouloir imiter Macron, Obama ou Alassane Dramane Ouattara avec son « Ado Solutions » à son retour en 2010 en Côte-D’ivoire pour prendre part aux élections présidentielles. A cela, notre doyen Ibrahima Bakhoum répond que nous ne sommes pas dans un monde fermé. En effet, selon lui, il y a forcément copie et ces copies ne sont pas des copies de rien. Le « Yes We Can » de Barack Obama est, selon lui, un message fort. Car, se justifie-t-il, derrière ce « Yes We Can », il y a le mot Solutions. En sus de cela, il faut, selon Ibrahima Bakhoum, rappeler que Barack était jeune quand il sollicitait les suffrages des Américains et faisait face à des candidats plus âgés comme Hillary Clinton. Macron, lui, explique-t-il, est un jeune, inconnu des débats politiques stériles et autres, mais qui a réussi à accéder au pouvoir. « Rappelons qu’en 1988, ce qui a fait sortir Wade, véritablement, c’était deux choses. Il va en campagne à Ziguinchor, dans une rencontre où il y avait beaucoup de monde, mais n’a même pas parlé. Il a simplement levé sa main et ça a été son temps d’antenne. Et c’est là où a commencé le « Sopi ». Aux Etats-Unis, tu as « Yes We Can » de Barack Obama, en France « La République en Marche » de Macron, au Sénégal tu as « Sopi ». Des discours qui s’appuient sur des mots très forts qui ne demandent pas beaucoup. La communication non verbale de Wade en 1988, plus maintenant le mot « Sopi », a eu à lui apporter quelque chose dans un contexte où Diouf n’était pourtant pas encore usé par le pouvoir. Mais, Wade a continué à ruser », explique le journaliste qui pense que « Sonko est dans un monde qu’il a appris à comprendre. Il a aujourd’hui changé de discours. Son image s’est repositionnée de manière très forte. On attend de voir » soutient-il en conclusion.
Dr Atab Badji, expert en politique : « Le phénomène Sonko constitue une menace hyper-sérieuse pour le pouvoir »
A force de vouloir neutraliser tous ses adversaires, le président Macky Sall a, selon Dr Badji, créé une bombe à retardement nommée Ousmane Sonko. En effet, explique notre expert, en politique, il faut ménager parfois l’adversaire et rester dans un champ d’avoir classique. « Je donne un exemple, le président Wade disait à l’époque qu’il n’avait pas l’opposition qu’il voulait parce que l’opposition était trop moleste. Donc, à force de neutraliser certains, l’opposition est entrée dans un jeu qui a abouti aux Assises nationales. Après cela, d’autres acteurs sont venus notamment les « Y en à Marristes » et d’autres acteurs de la société civile. Et ces forces réunies ont pu avoir raison du pouvoir. » Aujourd’hui, les gens semblent en train de vivre la même situation avec la neutralisation de certains de leaders de l’opposition. « Au finish, c’est quelqu’un qui vient avec des méthodes nouvelles. Et là où peut venir la menace, c’est d’essayer d’apporter des solutions avec passion. Je pense que le phénomène Sonko constitue une menace hypersérieuse pour le pouvoir », conclut le Dr Atab Badji.
En tout cas, le leader de Pastef-Les Patriotes séduit grâce à son approche différente, innovante mais aussi à ses attaques sans merci contre le pouvoir et le système en général.