EN POLITIQUE, LES FEMMES AFRICAINES DEMEURENT AUSSI CRIANTES QUE COURTISÉES
La présence de femmes en politique est ancienne, mais a été occultée par un récit national forgé par une élite masculine en quête de légitimité et qui associe la politique à la virilité
La présidence de la République fédérale d’Ethiopie est, pour la première fois, occupée par une femme. Le 25 octobre, Sahle-Work Zewde a été nommée par le Parlement pour occuper cette fonction qui, comme beaucoup le rappellent, est avant tout honorifique puisque les pouvoirs exécutifs sont détenus par le premier ministre. Cette nomination intervient alors que le gouvernement éthiopien amorce de nombreuses réformes, en politique intérieure comme en politique internationale, et semble avoir mis un point d’honneur à la parité des genres. Deux femmes ont été nommées aux postes stratégiques de ministre de la défense et de ministre de la paix (ancien service pour le renseignement).
Au Rwanda, le gouvernement de Paul Kagamé a, lui aussi, placé la parité au cœur de ses réformes politiques et se targue aujourd’hui d’être un des pays avec le plus grand nombre de femmes au Parlement. Mais cette parité reste sujette à controverses. En 2010, le Sénégal a voté une loi sur la parité des genres à l’Assemblée nationale : elle reste toutefois encore largement inappliquée. Au Kenya, en 2017, la Cour suprême avait mandaté le Parlement pour instituer la parité aux deux tiers – comme le prévoyait la nouvelle Constitution votée en 2010 – dans un délai de 60 jours. Le délai passé, le Parlement se refuse toujours à appliquer la loi.
Manque de perspective historique
L’engouement ou la frilosité quant à l’ouverture politique au sexe féminin montre que les femmes, qu’elles soient élues ou électrices, demeurent aussi craintes que courtisées. Cette ambivalence n’est que trop vite oubliée par l’enthousiasme médiatique que la nomination (ou l’élection) d’une femme à un haut poste de pouvoir suscite et qui fait croire qu’il y a là un phénomène nouveau. Or la présence de femmes en politique est ancienne, mais a été occultée par un récit national forgé par une élite masculine en quête de légitimité et qui associe la politique à la virilité. Faut-il donc croire qu’une femme à un haut poste de pouvoir annonce véritablement un nouveau type de politique et de société ?
Un premier constat pointe le manque de perspective historique sur le sujet. Le pouvoir étant traditionnellement associé à des attributs masculins, les recherches sur les femmes africaines au pouvoir font encore cruellement défaut. Si l’influence des femmes en politique n’est pas nouvelle, elle concerne souvent les femmes proches des cercles de pouvoir ou issues de dynasties familiales : certaines auront, par exemple, fait campagne pour leurs maris, galvanisant pour leurs causes un électorat féminin ; d’autres auront hérité du royaume politique de leurs parents. Leurs récits, autant que leur influence, restent encore dans l’ombre.
Une légitimité forgée à l’international
Il faut remarquer à ce titre que les femmes qui ont accédé à la fonction suprême n’appartiennent pas à des dynasties familiales mais ont forgé leur légitimité par l’international. Ce n’est sans doute par une coïncidence si Sahle-Work Zewde comme Ellen Johnson Sirleaf – première femme présidente du Liberia – ont fait leurs armes dans les institutions internationales et/ou la diplomatie. Elles se distinguent des vétérans de la politique locale, qui ont des profils bien plus controversés et ne dépassent souvent pas les postes de ministres – on citera pour exemple la Kenyanne Charity Ngilu, candidate malheureuse à la présidence en 1997.
L’enthousiasme pour les femmes africaines en politique se comprend mieux à l’heure où les questions d’égalité et de respect entre les genres dominent l’actualité mondiale. Certains y voient la création de modèles pour la jeunesse, d’autres le premier coup porté à la domination « patriarcale ». La prudence est sans doute de mise. Rien ne dit, pour l’instant, que les femmes en politique sont aussi visibles qu’écoutées. Rien ne dit non plus que la cooptation politique n’épargne pas les femmes ou qu’elle ne saurait êtrel’œuvre de femmes, comme le laissait entendre Emmanuel Dongola dans son roman Photo de groupe au bord du fleuve (éd. Actes Sud, 2010) : « Tout d’un coup te remonte à la mémoire la proposition que la ministre de la femme et des handicapés t’a faite, celle d’être sa conseillère. (…) Que feras-tu alors ? Ne serait-ce pas drôle de passer du jour au lendemain du statut de casseuse de pierres à celui de membre d’un cabinet ministériel ? »…
Anaïs Angelo est historienne, chercheuse postdoctorale au département d’études africaines de l’Université de Vienne (Autriche)