UN TRAIN PEUT EN CACHER UN AUTRE
EXCLUSIF SENEPLUS - Ni Senghor, ni Diouf n’ont pu offrir à ce pays une relève politique respectable - Macky sorti des flancs du wadisme à bout de souffle est un malheureux mélange de tout cela
L’attitude de neutralité affichée par les chefs religieux à l’approche de l’échéance présidentielle du 24 février 2019 donne une idée de la réelle désaffection du peuple sénégalais envers le pouvoir politique. Cela montre aussi l’extrême fragilité de la démocratie sénégalaise vantée ici ou là. La situation politique du Sénégal est en effet minée par une montée des périls qui contrecarrent les plans des partisans les plus optimistes du pouvoir actuel. C’est une sorte de peur soudaine qui s’est emparée de la coalition Benno Bokk Yakaar poussée malgré elle à décréter à l’avance une victoire au premier tour de l’élection présidentielle après presque sept années d’une gestion en roue libre. La génuflexion politique à l'endroit de la classe maraboutique n’étant plus automatiquement porteuse de suffrages, alors on se cabre en adoptant la stratégie du forcing : Macky Sall, donc, « gagnera sans combattre ». Pour certains, Dieu le voudrait ainsi. Les Sénégalais, qui ont beaucoup souffert de la gestion de ce pouvoir élu pour changer définitivement la façon de faire de la politique, ne sont pas contents. Ce qui se déroule sous nos yeux constitue une innovation en matière politique, car elle met en lumière une gestion autiste du pouvoir fondée en apparence sur l’État de droit qui piétine sans rechigner les libertés individuelles et les droits de l’homme. Une démocratie pour les autres et non pour les Sénégalais : le « Yakaarisme », où lorsque les effluves, d’un pétrole enfoui, titillent les narines intéressées d’opportunistes en tous genres. Des contrats nébuleux qui ne tiennent pas compte des intérêts du pays. Quid du Yakaarisme ?
Une sorte de suffisance qui, avec un cynisme chevillé au corps, s’esclaffe sur des sujets divers et variables avec une certaine haine des règles que l’on contourne, modifie et travestit afin d’arriver à ses fins. Toute loi devient élastique et tout partisan « bénévoleur » est grassement rétribué avec les rares deniers de l’État. Faire de la vraie politique au service des populations n’est pas dans leurs projets. Ils ont une particularité, car pour eux on peut s’approprier le bien public en toute impunité. Il suffit de le vouloir et d’avoir recours à la force du droit qu’ils peuvent tordre à leur convenance. Comme si le Sénégal était né en mars 2017. Allons ! L’histoire c’est pour les doux rêveurs et la continuité de l’État un délire intellectuel. Cette attitude contraire à une démarche de construction nationale est une insulte à notre imaginaire sénégalais, à notre histoire et surtout à notre passé politique récent. Dans un contexte mondial qui aiguise les appétits tout en alimentant les nationalismes les plus abjects, une telle désinvolture au sommet de l’État est en définitive dangereuse. Évidemment, le peuple est spectateur, il est surtout tétanisé, trahi, emmailloté comme dirait l’autre. Mais il s’en souviendra. Confisquer le suffrage des Sénégalais constituera l’ultime erreur de ce régime.
Dans ce contexte, le slogan « le Sénégal émergent » sonne comme une provocation. Lorsque les idées sont détestées, raillées et rangées aux oubliettes le danger s’installe. Ainsi des universitaires de tous bords et autres experts en arrivent à tout accepter sans rechigner. La morale ne devrait pas s’incliner devant la politique. On veut modifier la constitution et voilà que les candidats se bousculent. Il faut mettre Khalifa Sall en prison et c’est la ruée vers les prétoires et la fin de l’État impartial. Et les Sénégalais stoïques comme chloroformés devant l’innommable sont pris au dépourvu. C’est un esprit « agresseur » qui sous-tend la culture politique de ce pouvoir. On est blanchi de tout soupçon d’enrichissement illicite parce que l’on a proclamé, aux aurores d’un quinquennat devenu septennat (sic), être les apôtres de la bonne gouvernance. Ce conglomérat Benno Bokk Yakaar aux multiples wagons interconnectés et déconnectés de la réalité a un crédo ancien : c’est la revanche sociale. Obnubilés qu’ils sont à se remplir les poches sur le dos d’un peuple parmi les plus pauvres au monde. Et c’est une culture politique bien sénégalaise que de se faire élire pour écraser le peuple au profit de l’étranger. Les politiques cauteleux issus d’un senghorisme puis d’un dioufisme libéré de la poésie, experts à ce jeu antinational ont été conviés très tôt à cette foire philistine. Ce sont les petites mains du système. Ni Senghor ni Diouf n’ont pu offrir à ce pays une relève politique respectable, le président Macky Sall sorti des flancs du wadisme à bout de souffle est un malheureux mélange de tout cela.
En somme, la construction de la réputation démocratique du Sénégal repose sur cette stratégie. Point de patriotisme dans l’exercice du pouvoir. Il faut que le pays rayonne démocratiquement à travers le monde afin que les « serviteurs » de l’État, élus et spécialisés dans la captation financière, puissent organiser sa mise en coupe réglée. Cela permet au pays de demeurer un îlot précieux où l’on peut contourner le droit international en toute quiétude. Cela est valable pour le business et bien d’autres choses inavouables. La patrimonialisation de l’État en cours prouve qu’il faudra beaucoup plus que des femmes et des hommes qui aiment ce pays pour aborder des ruptures conséquentes. Les gouvernants actuels veulent se venger et ils en ont oublié leur passé, leur histoire par-delà l’histoire politique mouvementée de ce pays. Une telle cécité politique dans l’exercice du pouvoir a pu faire florès grâce à la bienveillance intéressée de la communauté internationale. Il fallait juguler les foules en saupoudrant de l’espoir. Et puis le Sénégal a une réputation de vitrine à conserver. Cette démocratie de vitrine, disons-le, si elle a pu survivre jusqu’ici, a volé en éclats.
Dans un autre registre plus palpable, les clignotants économiques du Sénégal sont au rouge. Une catastrophe budgétaire qu’un « train » médiatique conduit par un conducteur frappé de somnambulisme, ne masquera pas bien longtemps. Les projets cosmétiques se multiplient sans aucun impact sur la vie des populations. Dans ce contexte il est plutôt rare qu’un ministre des finances à la veille d’une élection cruciale se livre à des confidences pour confirmer l’état de déliquescence des finances publiques. En général, l’on découvre des fissures et des trous dans les caisses de l’État lorsque des équipes se succèdent, c’est dire que l’après « yakaarisme » a déjà commencé. Il faut préparer ses arrières surtout lorsqu’une défaite semble poindre à l’horizon.
Il ne s’agit plus pour ce régime de remporter l’élection présidentielle, mais surtout de ne pas la perdre pour ne pas avoir à rendre des comptes, car il existe désormais une jurisprudence « Karim » et une autre que l’on nommera « Khalifa ».
En définitive, il faut du doigté et de l’intelligence pour diriger un pays comme le nôtre, il faut aussi de la générosité qui ne saurait exclure ce goût pour l’homme que l’on voudrait servir.
Être un véritable dirigeant c’est être en mesure de faire le bien contre ses propres partisans.
Le train de vie d’un État prébendier ne peut que mener vers une destination inconnue...
Almamy Mamadou Wane est auteur du livre « Le Sénégal entre deux naufrages ? le Joola et l’alternance » et du recueil de poèmes « Le secret des nuages, poésie sociale », Editions l’Harmattan, novembre 2018.