LES PESANTEURS SOCIOCULTURELLES EN CAUSE
Accès des femmes au foncier

Dakar, 5 déc (APS) - Des pesanteurs socioculturelles, ajoutées à la non-application de la loi sur le foncier, continuent de contrarier l’accès des femmes à la terre et le contrôle des ressources qui va avec, estime des experts et acteurs du secteur.
Les spécialistes jugent pourtant l’ordonnancement juridique du Sénégal très favorable aux femmes, qui peinent malgré tout à avoir le contrôle des terres sur lesquelles elles travaillent, au risque de freiner leur autonomisation.
Si l’on en croit certaines organisations de la société civile, structures de promotion des femmes ou organisations féminines et même des autorités religieuses et locales, les pesanteurs socioculturelles sont à l’origine du faible accès des femmes à la terre.
"Au Sénégal, la loi et la Constitution promeuvent l’accès égal des hommes et des femmes à la terre. Mais au niveau socioculturel, il est difficile pour elles, dans certains ethnies et cultures, de contrôler cette ressource naturelle", explique le directeur exécutif de l’Institut panafricain pour la Citoyenneté, les consommateurs et le développement (CICODEV-Africa), Amadou Kanouté.
"Le dernier changement qu’il y a eu sur la Constitution dit clairement que les ressources naturelles appartiennent aux peuples et seront exploitées pour l’intérêt du peuple", dit-il, ajoutant que c’est sur le plan socioculturel qu’il y a des problèmes.
Au niveau sociologique, a-t-il poursuivi, il est parfois extrêmement difficile pour les femmes de mener ce combat qui peut être perçu comme ayant un caractère révolutionnaire et de nature à remettre en cause le dogme socioculturel sur lequel notre société est bâtie.
"Les institutions étatiques ont beaucoup de difficultés, vue la nature de leur engagement politique, à demander à ce qu’on renverse l’ordonnancement culturel qu’il y a dans nos pays", estime le directeur exécutif de CICODEV.
De l’avis de la coordonnatrice régionale de la "boutique de droit" de l’Association des femmes juristes du Sénégal (AJS) à Ziguinchor, Ndèye Astou Goudiaby, dans certaines localités, les femmes n’ont pas le droit de posséder la terre et recourent souvent à l’emprunt.
"C’est le contraire de ce que dit la loi. L’homme et la femme ont égal accès et de possession à la terre. Il y a des procédures à suivre que les femmes ignorent. Elles ne savent pas que pour acquérir les terres qui sont du domaine national, il faut saisir la commune pour une affectation et en bénéficier", a-t-elle expliqué.
A l’en croire, cela constitue un blocage à leur autonomisation. "Il faudrait qu’elles savent qu’elles ont les mêmes droits que les hommes pour accéder à la terre. L’égalité pour ce qui est du droit foncier doit être effectif et pour cela, nous devons sensibiliser et informer les femmes sur leur droit", a-t-elle indiqué.
Pour la coordonnatrice de Groupe d’initiatives pour le progrès social (GIPS-WAR), Julie Cissé, une structure engagée sur ces questions, "les hommes ont une incompréhension" de la problématique de l’accès des femmes à la terre.
"Ils pensent que leurs intérêts sont menacés quand une femme demande à disposer de terres pour elle et ses enfants", a-t-elle expliqué, citant l’exemple de Mbéwane (Thiès) où selon elle depuis plus de 20 ans, des champs sont octroyés à des femmes sans papier.
"Les charges incombent souvent à l’homme dans la famille, c’est à lui de trouver les champs et les rizières pour cultiver. C’est cette forme d’organisation ancestrale qui enferme ces femmes dans cette posture d’assistées (…)", a souligné Daouda Dramé du Collectif des imams de Ziguinchor.
Selon l’imam Dramé, "l’islam n’interdit en rien à la femme d’hériter de tous les biens de son père ou de son mari et ne l’empêche pas d’avoir sa propre terre".
"L’initiative privée, la propriété privée sont reconnues par l’Islam, à l’homme et à la femme", a-t-il ajouté.