YATMA DIOP ROUVRE LA PAGE D’AMARA 1968
De toutes les Coupes d’Afrique des nations (CAN), la sixième édition qui s’est déroulée en Ethiopie en 1968 va rester dans la mémoire collective du football sénégalais.
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Après l’édition 1965, cette deuxième participation en constitue, pour de nombreux spécialistes, comme une Can de référence du point de vue du jeu développé par l’équipe sénégalaise. A l’orée de cette 15ème CAN à laquelle le Sénégal va prendre part en Egypte, Yatma Diop a profité du débat organisé par l’ANPS sur les échecs du Sénégal à la Can, pour ouvrir le livre du souvenir. Avec ses anecdotes, ce jour clé de l’équipe du Sénégal des années 60 nous replonge dans l’ambiance de la Can «Asmara 68» durant laquelle les Lions du Sénégal n’ont jamais été plus proche d’un sacre continental.
Si le Sénégal est passé à côté d’un premier sacre dés sa première Can à Tunis en 1965, c’est à cause des «subtilités de l’algèbre» s’était écrié l’ancien journaliste Alassane Ndiaye «Alou». Mais c’est parce que aussi la «Géopolitique s’en était mêlé», selon Yatma Diop qui a ramené au goût du jour les deux premières Can auxquelles le Sénégal a pris part. L’ancien attaquant sénégalais a profité de la veille de la Can pour remonter le cours de l’histoire sur «l’arbitraire» subi par les équipes sénégalaises et retrace avec force détails et d’anecdotes le parcours des Lions à «Asmara 68» considérée par certains spécialistes comme une «Can référence» pour le Sénégal.
TUNIS 1965 : QUAND LA GEOPOLITIQUE S’EN MELE
«Le règlement du football à l’époque, on divisait le nombre de buts marqués par celui de buts encaissés. C’est cela le goal-average. Comme Demba Thioye, l’a dit dans la poule du Sénégal. Le Sénégal a gagné contre l’Ethiopie par 5 à 1 et la Tunisie a battu les Ethiopiens par 4 à 0. Le Sénégal et la Tunisie ont fait match nul. Donc le Sénégal et la Tunisie sont à égalité. La Caf a dit 5 divisé par 1 égal à 5. Le Sénégal a + 5. La Caf a dit 4 divisé par 4 c’est l’infini. Si c’était aujourd’hui, on aurait parlé de goal-différence qui est une soustraction», confie-t-il. En récusant la décision de la Caf, les Sénégalais ont refusé de jouer le match de classement. Comme Demba Thioye l’a souligné, il a fallu que l’Etat du Sénégal, par l’intermédiaire du Président Senghor, intervienne. Parce qu’il fallait faire en sorte que la Tunisie, pays organisateur soit finaliste et non le Sénégal. Certains, parmi les joueurs dont Demba Thioye, ont fait preuve de caractère en disant qu’ils ne vont pas jouer. Les joueurs qui étaient de cette campagne de 1965 ont confirmé ce que Demba Thioye a dit. La Géopolitique s’en est mêlée et le Sénégal n’est pas passé».
LE SENEGAL ENGAGE SA DEUXIEME CAN EN CONQUERANT
En ce qui concerne la Can 1968 qui a suivi, le groupe B logé à Asmara avec comme adversaires les deux Congo (Kinshasha et Brazzaville) mais aussi le Ghana, tenant du titre. La bande à Moustapha Dieng, Issa Mbaye, Louis Camara et Louis Gomis et autre Oumar Guèye Samb et Demba Thioye, passe de peu la victoire à l’ouverture face aux Black Stars du Ghana après avoir mené deux fois au score. «La singularité de ce premier match était que le Ghana était champion d’Afrique en titre. En venant à Asmara, le dernier match amical que les Ghanéens avaient disputé, c’était contre le Réal de Madrid. Ils ont battu cette équipe sur la marque de 5 à 2. Ce qui fait d’eux les supers favoris face à une équipe sénégalaise qui a joué la demi- finale de 1965. L’autre particularité est que si vous avez vu la formation de 1965, vous verrez que ce n’est plus la même équipe. Dans les buts, il y avait Amady Thiam de la Jeanne d’Arc. Toumani Diallo était à ses côtés. Ce dernier était titulaire mais s’est blessé à l’entraînement sur une balle anodine reçue de Louis Camara. Les dirigeants ont tout fait. Il y avait le médecin Pape Touré, René Ndoye et le sculpteur Ousmane Sow qui était le kiné. Le Ghana était véritablement l’équipe phare de l’Afrique. Lamine Diack, directeur technique national. Il y avait Mawade Wade avec Jo Diop comme adjoint. Lamine Diack est venu pour nous dire qu’il passé au Ghana et qu’il était tombé sur une conférence de presse où les gens disaient que le Sénégal est un détail.
«LE TERRIBLE DOUDOU DIONGUE», UNE ENIGME POUR LES GHANEENS
Le jour du match contre le Ghana, lors de la présentation, les Ghanéens ont vu parmi les joueurs sénégalais un joueur qui ressemble plus à une mascotte. Parce qu’il était trop petit. Ce joueur s’appelait Doudou Diongue qui évoluait aux Espoirs de Dakar. On s’est posé la question pourquoi le Sénégal a amené un si jeune joueur. Mais Doudou Diongue, c’est Doudou Diongue. Ceux qui ont grandi entre la Médina et Rebeuss le connaissent. Il était terrible. Son père était commissaire de police. Etant élève au lycée Delafosse, il lui arrivait de prendre la voiture de son père et de faire ce qu’il avait à faire. Il était très fort. Il avait pris la place de Matar Niang qui n’a pas fait le déplacement. On considérait Matar comme le meilleur d’entre nous par rapport à ses qualités et son talent de l’école primaire, au lycée et même dans le navétane. Nous avons tous ensuite basculé dans l’équipe des espoirs de Dakar. Matar Niang a été remplacé sur la liste des Lions d’Asmara par Doudou Diongue. Quand nous jouons contre le Ghana, c’était à la fin du mois de Ramadan. Nous, joueurs sénégalais, nous sommes tous allés à la mosquée pour prier avec les survêtements du Sénégal. Quand les Ethiopiens ont découvert que nous sommes des musulmans, ils sont devenus nos supporters. Quand nous sommes arrivés au stade, nous avons joué avec la complicité du peuple d’Asmara. Pour les Ghanéens Doudou Diongue était énigmatique. Il passait son temps à les insulter en leur disait : vous verrez aujourd’hui je vais régler votre compte... Les Ghanéens savaient qu’il les menaçait mais ne pouvait pas penser un instant qu’il allait marquer. C’est justement ce Doudou Diongue qui allait marquer le premier but sénégalais sur une action combinée qui s’est terminée par une frappe. Les Ghanéens n’ont pas eu la solution Doudou Diongue. Un défenseur l’a blessé. Il est sorti du terrain et pas dans les conditions souhaitées.
LES LIONS BOUSCULENT LE BLACK STAR DU GHANA
Les deux buts du Sénégal ont été marqués par Doudou Diongue et Yatma Diop. Le Ghana a égalisé avec Ibrahima Sunday depuis le flanc gauche et Oseï Koffi a vu que notre gardien de but qui faisait presque 2 mètres était assez avancé. Il l’a lobé. Le deuxième but du Sénégal était presque une répétition d’une action entre Louis Gomis et Yatma Diop. On se connaissait très bien parce qu’on joue dans le même club. Il savait que dans certaines conditions, depuis le flanc gauche, je demandais le ballon dans le dos de la défense centrale. Louis Gomis le savait, on avait des habitudes de jeu. Donc, dés que j’ai commencé à marcher, il a compris que je demandais le ballon. C’est comme cela que j’ai marqué le but du 2 à 1. Pour les dirigeants sur le banc de touche, le match était fini. C’est en ce moment que le défenseur Issa Mbaye a glissé sur un ballon, l’avant centre ghanéen saute sur lui et pend le ballon. Il a vu que le gardien du Sénégal était avancé. Il faut comprendre que dans notre système de jeu, le gardien de but accompagnait l’équipe dans les phases offensives quand on avançait et venait dans la ligne des 16 mètres. L’attaquant ghanéen a fait comme Pelé l’avait fait à Dakar, il a tenté la frappe de loin pour lober notre gardien Amady Thiam. C’était le but d’égalisation du Ghana. On était à une minute de la fin». Face aux Congo, leur deuxième adversaire dans cette poule B, l’équipe coachée par Mawade Wade et Jo Diop entre encore en conquérant et enchaîne face au Congo Brazza (2-1). Mais elle butait au troisième et décisive rencontre contre le Congo Kinshasha (2-1).
LA QUALIFICATION PLOMBEE PAR UNE… FAUTE DE MAIN DU PORTIER
«Pour le second match, le Sénégal faisait face au Congo Brazzaville. Avec la blessure de Doudou Diongue, c’est Yatma Diouck qui est rentré à sa place. Nous avons battu les Congolais sur la marque de 2 à 1. Yatma Diop marque le premier but et Yatma Diouck le second. Après cette victoire de 2 à 1, il nous manquait le match décisif contre le Congo Kinshasha (ex-Zaire et aujourd’hui, la Rdc). Le Congo avait triché sur la liste des joueurs. La Caf disait à l’époque qu’il ne fallait pas plus de deux joueurs venant d’Europe. Dans l’équipe du Sénégal, moi Yatma Diop, j’étais le seul à venir d’Europe. Chez les Congolais, il y avait cinq joueurs et on faisait comprendre qu’ils venaient du Congo. Les deux venaient de la Belgique et les autres se sont arrangés pour avoir des passeports. Ils sont arrivés avec cinq professionnels. Le score était de (1-1) jusque à la fin du match presque. Le Sénégal était presque qualifié. C’est en ce moment là qu’une chose bizarre s’est passée. Il y a un ballon sur Yérim Diagne. En contact, il tombe. Moustapha Dieng qui était notre arrière central et capitaine de notre équipe vient tacler le joueur congolais et le ballon est allé en corner. Pour nous le match était fini. Dans la précipitation on tire et notre gardien Amady Thiam arrête le ballon. Et pour le suspense, quand un gardien prend le ballon, les deux arrières vont sur les côtés et demandent le ballon pour la relance. C’est au moment où Thiam s’est levé que le ballon est tombé sur ses mains. L’attaquant qui était là bas, plus pour une tête, reprend le ballon dans les buts. L’arbitre dit : ballon au centre. On se bagarrait avec eux pour qu’ils sortent de notre zone. Avec Insa Diagne, on a combiné sur une dernière action. Mais la balle a été déviée dans les ultimes secondes de jeu par le portier congolais. L’arbitre siffle la fin du match. Le banc du Sénégal s’écroule car c’était l’élimination. J’ai beaucoup pleuré car les Sénégalais pouvaient gagner cette Coupe d’Afrique de 1968. Résultats des courses : un dernier but qui aura été fatal. Le Sénégal finira 3e du groupe (3 points) derrière le Congo Kinshasa futur vainqueur de l’épreuve (5 points) et le Ghana (4 points).