ALIOU CISSÉ JOUE SA CAN
Même s’il refuse l’étiquette de favori collée à sa formation, le coach des Lions de la téranga est certain que son équipe est d’attaque pour une compétition qui s'annonce très difficile
Le Caire (Egypte) : Avant-hier jeudi, juste après la séance d’entraînement des « Lions » du football au stade du 30 juin du Caire, leur coach Aliou Cissé nous a reçus, en exclusivité, à l’hôtel particulier occupé par son équipe dans l’enceinte même du « Village sportif de l’Armée de l’Air » égyptienne. A 72 heures de l’entrée en lice de son équipe, dimanche face à la Tanzanie, il s’est prononcé sur la Can « Egypte 2019 » qui a débuté hier au Caire. Selon lui, son équipe est d’attaque pour la compétition, même s’il refuse l’étiquette de favori collée à sa formation dans cette Can qu’il annonce très difficile.
On est à quelques heures de votre entrée en lice dans la Can « Egypte 2019. Votre équipe est-elle prête ?
Oui ! On a bien travaillé, mais en vérité pour savoir si l’on est prêt, il nous faudra ce premier match face à la Tanzanie. Vu l’importance du premier match, on doit bien rentrer dans cette compétition. Donc j’ai envie de dire que ce premier match peut déterminer la suite de la compétition.
Donc, on a vraiment à cœur de bien aborder cette Can en faisant un bon résultat contre la Tanzanie. Cela fait plus de deux semaines que nous travaillons. Aujourd’hui, à part quelques pépins musculaires de notre gardien Alfred, dans l’ensemble les garçons ont bien répondu aux charges de travail.
Vous sortez d’un match de préparation que vous avez gagné contre le Nigeria, est-ce que cela peut influer positivement sur le groupe ?
Gagner, c’est toujours positif, donc vaut mieux gagner que perdre, surtout contre une équipe comme le Nigeria qui fait partie, aujourd’hui, des cinq meilleures du continent et qui, en plus, était à la Coupe du monde. Et il s’en était d’ailleurs fallu de peu qu’elle ne passe au second tour.
Donc, effectivement, gagner contre le Nigeria, c’est quelque chose d’important. Mais ça reste quand même un match d’entraînement. Néanmoins, je félicite les joueurs pour avoir vraiment répondu et respecté les consignes qu’on leur a données. Maintenant, l’heure est à la concentration ; il nous faut nous pencher sur ce match de dimanche qui est pour moi le match le plus important.
Un match qui va se jouer sans Sadio Mané. Qu’est-ce que ça va changer concrètement ?
Sadio est un joueur primordial, c’est un joueur très important dans cette équipe. Et quand vous avez un garçon comme lui qui fait partie de vos leaders techniques, ne pas l’avoir n’est pas une bonne chose. Je préfère sincèrement jouer avec Sadio Mané que de jouer sans lui. Mais on a choisi 23 joueurs aussi et, aujourd’hui, notre slogan, c’est un pour tous, tous pour un. Il y a des garçons, aujourd’hui, qui se sont bien préparés, qui devront pallier l’absence de Sadio Mané, même si ce n’est pas toujours évident de remplacer un tel joueur.
Mais les garçons qui sont là sont déterminés à gagner le match. Notre collectif fera la différence. Je crois que ce collectif sera fort, car on a assez d’individualités pour gagner le match. Je pense finalement que c’est un mal pour un bien, parce que ça peut permettre aussi à Sadio de bien récupérer de la saison époustouflante qu’il a réalisée avec son club de Liverpool, et qu’on puisse le récupérer aussi contre l’Algérie.
Vous allez faire cette Can sans Cheikh Ndoye blessé. Cela ne va-t-il pas perturber un peu vos plans ?
C’est aussi une grosse perte sauf que l’impact de Cheikh et l’importance de Sadio sont différents. Cheikh faisait partie des leaders sociaux de ce groupe. C’est un garçon très important dans la vie du groupe et ça, il ne faut pas le négliger. C’est un garçon qui a vraiment le profil du joueur africain, du bon joueur de Can. Ne pas l’avoir avec nous, c’est donc une perte, mais j’espère qu’il reviendra dans de meilleures conditions.
Vous vous êtes préparés en Espagne puis en Egypte. Mais est-ce que vous sentez l’attachement, l’intérêt, les attentes du peuple sénégalais pour cette compétition ?
Cela fait plaisir de sentir les attentes de notre peuple envers cette équipe, mais j’ai envie de dire que ça ne date pas de cette Can ; cela dure depuis des années. Il y a beaucoup d’équipes qui se sont succédé et le peuple sénégalais a toujours été derrière elles.
Depuis quatre ans que je suis à la tête de cette équipe nationale, il y a eu beaucoup de débats autour d’elle, sur sa façon de jouer. Et les supporters ont toujours été derrière cette équipe nationale. Aujourd’hui, pour moi, il n’y a rien de nouveau, nous avons toujours eu à cœur de faire de notre mieux pour leur rendre la fierté. Donc nous sommes déterminés, motivés à continuer à rendre notre peuple fier. Nous avons l’espoir de jouer à notre meilleur niveau.
N’y a-t-il pas une pression particulière liée à cette forte attente ?
J’ai dit à mes joueurs que quand je jouais dans une équipe nationale, c’était une sorte de baromètre de la société ; ça impacte dans le bon-vivre des Sénégalais quand l’équipe gagne. Quand l’équipe est battue, ils sont déçus et cela se comprend. Mais il faut mettre cela de côté et se dire que la meilleure façon d’entamer cette compétition, c’est de ne pas subir cette pression extérieure qui peut venir de partout.
Mais je crois qu’aujourd’hui, nous sommes assez armés pour faire face à cette pression. Ce que je vais demander à mes joueurs, c’est de se concentrer uniquement sur le terrain. La meilleure façon de rendre heureux notre peuple, c’est qu’ils puissent jouer à leur meilleur niveau et ne pas être tétanisés par cette pression.
Vous allez vers votre deuxième Can consécutive en tant que coach. Qu’estce qui a changé cette année par rapport à 2017 au Gabon ?
Je ne vois pas de grand changement sauf qu’effectivement beaucoup de matches avec l’équipe nationale du Sénégal se sont rajoutés à notre parcours. Mais, on a toujours travaillé de la même façon et on continue toujours à travailler de la même manière. C’est vrai qu’il y a eu entre-temps une Coupe du monde, et c’est de l’expérience en plus. Il y a aussi les éliminatoires de la Coupe du monde qui ont été très difficiles, mais on est quand même passé.
Tout comme celles de la Can où on a pratiquement réussi à faire du sans-faute. Tout cela est un capital-expérience qui se rajoute à notre parcours. J’ai toujours gardé la sérénité aussi bien en 2017 que cette année.
Vous avez aussi joué deux Can en tant que joueur et vous allez vers votre deuxième en tant qu’entraîneur. Qu’est-ce qui change par rapport à l’approche d’une compétition selon qu’on soit sur le terrain ou sur le banc ?
Quand vous êtes joueur, vous êtes centrés sur vous-mêmes. Vous finissez les entraînements et la seule chose qui vous intéresse, c’est votre performance personnelle. Entraîneur, c’est différent. Maintenant, mes nuits deviennent de plus en plus courtes, il faut ajuster l’équipe, trouver les complémentarités dans l’équipe. Le travail d’en traîneur, c’est un autre monde, une autre vie qui commence. Ce qui a changé aussi, c’est que mes dreadlocks sont devenus plus longs. Je suis dans ce milieu professionnel depuis plus de 25 ans.
J’ai vécu toute ma vie dans le football. Aujourd’hui, j’ai 23 joueurs à gérer avec des mentalités différentes, des éducations différentes et même des religions différentes. Et, il faut gérer tout ça dans un laps de temps.
Ils étaient 25, moins deux maintenant. Comment avez-vous eu à gérer ce problème au moment de libérer les deux joueurs ?
C’était très difficile. Parce que quand vous enlevez deux joueurs et que vous les regardez en face, cela vous fait de la peine de les laisser partir. C’est douloureux, mais choisir, c’est éliminer. Et nous sommes dans un milieu professionnel et concurrentiel, dans un monde professionnel. Mon travail aussi, c’est de faire face à ce genre de situation.
On va pour la première fois à une compétition avec 24 équipes. Qu’est-ce qui change par rapport à une compétition à 16 équipes ?
Forcément, il y a quelque chose qui change parce qu’aujourd’hui, il y aura les meilleurs troisièmes qui seront qualifiés au second tour. Et cela, dans l’approche de la compétition, change complètement la philosophie de certaines équipes. Plus que jamais, la compétition sera fermée. Il y aura des équipes qui vont jouer beaucoup plus fermé. Et pour les soi-disant favoris, il faut s’attendre à une compétition très difficile.
Vous allez rencontrer l’Algérie pour la troisième fois d’affilée en Can. Trouvezvous que vous êtes les deux favoris dans ce groupe ?
Si l’on regarde le potentiel du Sénégal et de l’Algérie, on est amené à dire que oui, ce sont les deux favoris de ce groupe. Mais nous sommes en football et tant que le match n’est pas terminé, rien n’est acquis. L’Algérie joue contre le Kenya et nous jouons contre la Tanzanie lors de la première journée. Il ne faut pas penser que ce sera une promenade de santé.
Nous nous préparons mentalement, physiquement toute la semaine pendant dix jours pour affronter l’équipe de la Tanzanie. En tout cas, nous y allons avec beaucoup d’humilité, de concentration et de sérénité. Mais il ne faut pas oublier que l’autre « grand », c’est l’Algérie et que ce sont deux pays qui se connaissent avec de grandes individualités de part et d’autre. Donc on va vers une belle confrontation entre deux grandes équipes.
Que savez-vous de cette équipe tanzanienne et comment comptez-vous aborder ce match ?
Si la Tanzanie s’est qualifiée, c’est que c’est une équipe sérieuse avec de bonnes individualités. C’est une équipe bagarreuse quand on la laisse jouer. C’est à nous d’imposer notre jeu et de savoir que ce premier est très important pour nous. Donc il ne faut pas sous-estimer la Tanzanie, car il n’y a plus de petites équipes en Afrique ; tout le monde se prépare dans les meilleures conditions.
La Tanzanie a pour entraîneur le Nigérian Amunike qui a de l’expérience en haute compétition pour avoir joué et remporté la Can 1994 en Tunisie, entre autres grandes compétitions. Il faut donc que nous soyons vigilants. Mais, comme je le dis, on est le Sénégal et beaucoup de gens attendent qu’on gagne ce match. En tout cas, nous sommes confiants.
Depuis le tirage au sort, les Sénégalais disent que leur équipe est favorite, mais vous dites le contraire. Etes-vous en train de cacher votre jeu ?
Ce sont surtout les spécialistes du football qui disent cela. Et pourtant, depuis quatre ans, on est là on nous disait qu’on n’avait pas progressé. C’est ça le paradoxe. C’est qu’on arrive à cette Can à un moment où tout le monde nous colle l’étiquette de favori. Aujourd’hui, je le dis et je le répète, il y a d’autres favoris comme l’Egypte, sept fois vainqueur du trophée, le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Cameroun champion d’Afrique en titre, la Tunisie et l’Algérie.
Comment peut-on, dans ces conditions, désigner le Sénégal comme favori devant tous ces pays-là ? Maintenant, si on se base sur le classement Fifa et le talent intrinsèque des joueurs, on peut dire que le Sénégal est favori, mais il faut relativiser. Il faut plutôt dire que nous sommes de vrais challengers ; et le discours que je tiens aujourd’hui, c’est celui de quelqu’un qui a besoin de quelque chose qu’il veut aller chercher. Mais nous sommes confiants et nous connaissons notre véritable force et nous savons que nous sommes capables de battre n’importe quel adversaire à cette Can.
Selon vous, le super-favori de cette compétition, n’est-ce pas l’Egypte qui joue chez elle et qui n’a perdu qu’une fois sur quatre quand elle a organisé ?
Aujourd’hui, je crois que le Sénégal ne doit avoir peur de personne. Que ce soit l’Egypte, le Cameroun ou d’autres équipes, nous avons véritablement des arguments à faire valoir. La bataille d’- Egypte sera dure, même si l’on sait que ce pays bénéficiera de l’apport de son public. Mais il ne faut pas oublier que le Sénégal aussi revient de champs de bataille où il y avait l’hostilité ; cette équipe a engrangé beaucoup d’expériences dans la gestion du stress, de la préparation des gros matches.
Donc n’oubliez pas non plus qu’on a joué des gros matches, des matches décisifs dans les éliminatoires de la Coupe du monde contre le Cap-Vert, le Burkina Faso, surtout l’Afrique du Sud quand il a fallu rejouer le match contre ce pays. Tous ces matches étaient décisifs et on a su bien gérer ce stress, cette pression pour nous concentrer sur l’essentiel.
La seule chose qui va nous intéresser, c’est le terrain. Bien sûr qu’on va sentir venir la pression par les joueurs adverses, par le public. C’est à nous de gérer tout ça et de garder notre sérénité. Je veux que mes joueurs jouent à leur meilleur niveau.
Vous êtes de la génération de 2002. Vous arrive-t-il d’évoquer votre parcours pour motiver, transcender vos joueurs ?
Je n’aime pas trop parler de moi. C’est vrai que la référence, aujourd’hui, dans notre football, c’est ce qu’a fait la génération 2002. Quart de finaliste dans une Coupe du monde ce n’est pas rien ; finaliste de la Can au Mali, ce n’est pas rien non plus, même s’il est vrai que nous n’avons pas eu la chance de gagner un titre. Le fait d’armes du football sénégalais, aujourd’hui, c’est la génération 2002 où se trouvaient de très grands joueurs qui sont des références, des exemples. C’est vrai qu’il m’arrive parfois de parler de cette génération-là, de la façon dont nous nous sommes comportés pour écrire notre histoire et des problèmes aussi qu’il y avait dans cette génération.
La chance que cette génération 2002 avait, c’est que malgré ses problèmes et difficultés, les résultats étaient là. Peut-être que si ces résultats n’avaient pas suivi, le groupe aurait explosé. Mais on a toujours su gagner nos matches, ce qui a fait que les égos se sont tus.
La génération actuelle a une mentalité et un état d’esprit différents de ceux de 2002. Et je pense que cet état d’esprit, si on l’avait en 2002 peut-être qu’on aurait gagné. Mais cette génération doit avoir aussi l’état d’esprit de 2002 car avec ce mixage-là, on pouvait avoir une équipe nationale très compétitive ».