MIMI TOURÉ, L'ÉLECTRON LIBRE DE LA MOUVANCE PRÉSIDENTIELLE
L’ex-ministre de la Justice et ancienne chef du gouvernement ne craint d’afficher ni ses convictions ni ses ambitions. Aujourd’hui à la tête du Conseil économique, social et environnemental, elle est le troisième personnage de l’État. Portrait d’une forte

Il faut désormais emprunter un tapis rouge et longer les colonnes blanches du Conseil économique, social et environnemental (Cese) pour rejoindre son bureau. Un cadre léché et un protocole digne de son statut de troisième personnalité de l’État, mais Aminata Touré ne semble pas impressionnée outre mesure par cette charge symbolique. Passée par le ministère de la Justice et la primature durant le premier mandat de Macky Sall, elle a été nommée à la tête du Cese après la réélection de ce dernier dès le premier tour, en février.
Une promotion en guise de remerciement pour cette femme d’expérience à qui le président sortant avait confié la direction de sa campagne. Fidèle à sa réputation, elle s’y est illustrée par son engagement et sa capacité à monter au front. « Battante », « femme de conviction », dans la bouche des cadres de la majorité Benno Bokk Yakaar, ce sont souvent les mêmes qualificatifs qui reviennent.
Un tremplin vers la présidence ?
À 56 ans, toujours élégante dans ses boubous bien taillés, elle a hérité d’une place de choix au cœur de l’administration. Elle y traite de nombreux aspects de la vie quotidienne de ses compatriotes (emploi, formation, politique sociale, environnement, etc.) et reçoit des interlocuteurs de tous horizons. Autrement dit, elle occupe une fonction transversale, qui lui permet de rester sur le devant de la scène.
Ne serait-ce pas un parfait tremplin vers la présidence, alors que Macky Sall a promis de quitter le pouvoir en 2024 ? « Plutôt une mission à remplir », répond-elle, installée dans son vaste bureau du quartier du Plateau, à Dakar, où trône le portrait du chef de l’État. « Elle n’a jamais clairement affiché ses ambitions, mais il y a beaucoup de suspicions, plus ou moins fondées, autour d’elle », affirme un cadre de la majorité présidentielle.
En politicienne madrée, elle veille à ne pas froisser celui à qui elle doit beaucoup et qui vient tout juste d’entamer son second mandat. « Parler de succession est prématuré, affirme-t-elle. Le président est concentré sur ses objectifs. Il n’a pas envie que son travail soit pollué par la frénésie des ambitions précoces. »
Une fois ces précautions prises, cette femme bien née, issue d’une fratrie de huit enfants, fille d’une sage-femme et d’un pédiatre, se dévoile un peu. En souriant, elle glisse qu’il « serait bien » qu’il y ait enfin une présidente au Sénégal. Elle admet aussi qu’il « n’y a pas de politicien sans ambition ». « Mais il ne faut pas que celle-ci soit obsessive, il faut qu’elle soit réaliste et qu’elle se pose au moment opportun. » En clair : « Mimi » Touré compte jouer sa partition mais dans le bon tempo. Reste à savoir si elle respectera celui donné par le chef d’orchestre et si elle parviendra à éviter les fausses notes.
Entre Aminata Touré et Macky Sall, les relations ont toujours été en dents de scie. « Parfois, c’est le grand amour. Et parfois, il y a de l’eau dans le gaz », souffle un intime du chef de l’État. Dans leur jeunesse, au cours des années 1970 et 1980, tous deux découvrent la politique sous le même prisme, celui des mouvements de gauche sénégalais, qui luttent contre le régime de Léopold Sédar Senghor puis contre celui d’Abdou Diouf.
Macky Sall fait ses armes dans les mouvements maoïstes, quand sa cadette (d’une année) fraye avec les trotskystes. Une fois ses études en France terminées, elle démarre sa carrière au Sénégal et intègre le Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap) en 1995. Après un poste à Ouagadougou, elle s’envole pour le siège de l’agence, à New York.
Le cas Karim Wade
Depuis l’autre côté de l’Atlantique, elle garde un œil attentif sur la politique sénégalaise. Elle observe la montée en puissance de Macky Sall, qui divorce avec fracas d’Abdoulaye Wade et fonde l’Alliance pour la république (APR) en 2008. Elle a plusieurs fois croisé l’ex-Premier ministre, mais ils ne sont pas particulièrement proches.
« Elle n’a pas été l’un de ses soutiens de la première heure, elle n’est arrivée que bien plus tard », lâche un proche du président. « Je trouvais qu’il faisait du bon boulot et qu’il avait le projet le mieux adapté pour le Sénégal », objecte Aminata Touré.
En 2011, elle approche celui qui s’apprête à incarner la deuxième alternance de l’histoire du pays. Le courant passe. Elle rentre à Dakar, participe à la rédaction du programme de ce dernier et devient sa directrice de campagne. Élu le 25 mars 2012, Macky Sall lui confie un ministère ô combien symbolique : la Justice.
Elle est chargée de concrétiser les grandes promesses sur la fin de l’impunité et la lutte contre la corruption. Elle s’y engage à fond. Elle réactive la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), qui juge et condamne Karim Wade, le fils de l’ancien président. « Malgré ce que peuvent dire ses soutiens, son procès a été juste et équitable. Karim Wade a maintenant une ardoise à régler, alors qu’il le fasse », déclare-t-elle.
La dame de fer ? « Un stéréotype patriarcal »
Plusieurs barons de l’ancien régime font les frais de la traque aux biens mal acquis. Elle n’épargne personne, pas même l’ancien ministre Oumar Sarr, son ex-mari et père de sa fille aînée. « Beaucoup, y compris parmi ses proches, lui en ont voulu. Mais elle estimait qu’elle faisait ce qu’elle avait à faire », justifie l’un de ses amis.
Sa ténacité et sa rigueur lui valent d’être surnommée la « dame de fer ». Aujourd’hui encore, elle s’en amuse. « C’est vraiment un stéréotype du patriarcat. Avez-vous déjà entendu parler d’« homme de fer » ? Jamais ! J’ai des points de vue bien affirmés que j’assume et je me bats pour mes idées, c’est tout. »
Mariée trois fois, mère de trois enfants et aujourd’hui grand-mère, Aminata Touré est libre et le revendique. Insistant sur la maturité politique de ses compatriotes, elle se dit convaincue qu’ils sont prêts à élire une femme à la présidence de la République. « Les Sénégalais ne se préoccupent pas du genre ou de l’âge des candidats, analyse-t-elle. Ils les jugent d’abord sur leurs qualités intrinsèques. »
Passage à la Primature
Garde des Sceaux, elle est au centre de l’attention politique et médiatique. Ses adversaires l’accusent de régler ses comptes et d’empêcher toute réconciliation au sein d’une famille libérale déchirée entre pro-Sall et pro-Wade.
En 2013, alors que les premières pluies s’abattent sur Dakar, le président réfléchit à la nommer à un autre poste. Il souhaite en faire sa directrice de cabinet. Elle refuse, estimant qu’elle n’y aura pas assez de responsabilités, et pose ses conditions : si elle doit quitter la Justice, ce sera pour la primature – un poste qu’elle finit par obtenir en septembre de la même année. Elle devient alors la deuxième femme Premier ministre du Sénégal après Mame Madior Boye (2001-2002).
Ses premiers mois se déroulent sans accroc. Puis les choses se compliquent. Elle prend des initiatives sans en informer le président, comme ce jour où elle entreprend de convoquer une réunion de cadres de l’APR, ou celui où elle décide d’organiser une tournée en Casamance. « Macky Sall était très remonté contre elle. Il estimait qu’elle prenait trop de libertés », se souvient un confident du chef de l’État. L’intéressée a beau faire acte de contrition, cela ne suffit pas. En juillet 2014, moins d’un an après sa nomination, sa défaite aux municipales à Dakar face à Khalifa Sall sonne le glas de son passage à la primature.
Petites frictions
Depuis, Macky Sall et Aminata Touré se sont rabibochés. « Aujourd’hui, cela se passe globalement bien, mais il y a toujours de petites frictions. Elle a nommé beaucoup de nouveaux conseillers et elle ne fait pas mystère de ses ambitions. Cela commence à agacer le président » indique-t-on dans l’entourage de ce dernier.
Au début de septembre, pendant un séminaire gouvernemental, Macky Sall a rappelé à ses ministres que le Cese n’avait pas autorité sur eux. De passage à Paris, le chef de l’État a également formulé une sèche mise en garde devant des responsables de l’APR : « Si des ministres ou des cadres ont des ambitions, qu’ils attendent la fin de mon mandat pour se manifester », a-t-il asséné. Beaucoup y ont vu un rappel à l’ordre adressé à Aminata Touré, après une grande interview accordée au quotidien Le Soleil, le 3 septembre.
Difficile pourtant de se séparer de cet électron libre. « Elle défend les intérêts du président, reconnaît un ministre. C’est une bosseuse, qui a toujours été très productive quand elle était en fonction. Elle fait aussi beaucoup de suggestions au chef de l’État, qui l’écoute d’une oreille attentive. » « C’est un animal politique et une personnalité majeure de l’APR, ajoute un proche de Macky Sall. On ne peut pas décider de se passer d’elle comme ça. Les gens ne le comprendraient pas. »
Battue lors des dernières municipales, elle n’exclut pas de se présenter aux élections locales officiellement prévues en décembre mais qui devraient une nouvelle fois être reportées. Un test grandeur nature avant la présidentielle de 2024 ? Prudente, Mimi Touré élude dans un sourire : « Attendons d’y voir plus clair. »
Une jeunesse militante
C’est au célèbre lycée Van-Vollenhoven (actuel Lamine-Guèye) de Dakar et en lisant la littérature marxiste de son grand frère qu’Aminata Touré s’initie à la politique. Comme beaucoup de ses camarades, elle adhère aux mouvements de gauche. Elle milite au sein de la Ligue communiste des travailleurs (LCT) et s’oppose au régime socialiste en place. Elle mène aussi d’autres combats, comme la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud – d’où sa « grande tristesse » à l’égard des violences xénophobes qui ont récemment secoué la nation Arc-en-Ciel.
Durant ses études en France, « Mimi » la révolutionnaire est proche des sphères communistes. Après un passage par le Mouvement pour le socialisme et l’unité (MSU) de Mamadou Dia, elle devient, à 31 ans, la directrice de campagne de Landing Savané, candidat du parti maoïste And-Jëf à la présidentielle de 1993.