UNE DECENNIE CONJUGUEE AU FEMININ
Parité, acquisition de la nationalité, criminalisation du viol entre 2010-2020
La loi sur la criminalisation du viol et de la pédophilie récemment promulguée par le président de la république est saluée par la quasi-totalité des acteurs politiques, membres de la société civile et associations féminines. Même si certains pensent que le législateur a cédé à la pression des femmes activistes, force est de constater pour autant que cette loi n’est que l’ultime acte d’une décennie où les femmes ont gagné des batailles pour leur émancipation.
Vendredi 14 mai 2010. Malgré les rigueurs de la chaleur, des milliers de femmes, tout de blanc vêtues, ont marché de l’Assemblée nationale à l’avenue Léopold Sedar Senghor pour rendre hommage au président de la République de l’époque, Me Abdoulaye Wade. Et dans le comité d’organisation, il y avait les personnalités (féminines) des partis politiques toutes obédiences confondues comme Aminata Mbengue Ndiaye du Parti Socialiste et Mata Sy Diallo de l’Afp. Et malgré les divergences de son parti avec Me Abdoulaye Wade, l’ancienne progressiste lâche une phrase qui en dit long sur la solennité du moment : «Merci Président et c’est Mata Sy Diallo qui dit ça».
L’enjeu en valait certainement les lauriers tressés au pape du Sopi. En effet, l’ancienne parlementaire et les défenseurs des droits des femmes venaient de gagner une bataille historique avec le vote de la loi sur la parité à l’Assemblée nationale. Historique parce que cette loi est l’aboutissement de plusieurs années de lutte pour l’émancipation de la femme sénégalaise. Au milieu d’une foule aux effluves féminines, le Président Abdoulaye Wade déclare : «C’est un combat qui prend ses racines dans les profondeurs du Sénégal, mais les autres n’ont pas eu l’heur de l’achever. Et il se trouve par la grâce de Dieu que c’est aujourd’hui que cette conquête a abouti et il faut en féliciter les femmes de l’opposition et de la société civile.»
Dans un phrasé empreint de lyrisme et plein d’espoir, le chantre du Sopi ajoute avec enthousiasme : «Faisons de cette parité un outil de cohésion sociale, un outil de respect mutuel, un outil de solidarité et un outil de travail pour faire progresser le Sénégal.» Mettant en garde certains oiseaux de mauvais augure, il avait soutenu que cette loi ne devait pas créer des problèmes entre les hommes et les femmes. Mais elle doit être un élément qui stimule le travail des uns et des autres et entraîne le respect mutuel de l’homme et de la femme. Cette loi est le fruit d’âpres luttes menées par des associations féminines comme le Caucus ou encore l’Association des juristes du Sénégal. Le processus de la loi pour la parité initiée en 2010 par le président de la République Abdoulaye Wade, se rappelait Pr Fatou Sow Sarr dans un article qu’elle avait publié, a duré deux ans. Il a été marqué par d’intenses activités du Caucus, une organisation regroupant les Femmes leaders pour le soutien de la loi sur la parité, qui s’est attelée à la sensibilisation et au plaidoyer pour construire le consensus national, avec des activités de renforcement des capacités des candidates aux élections législatives de 2012. Une révolution qui a fait bouger les lignes. Et en 2012, le Sénégal a fait encore un pas important sur le chemin de l’égalité en portant le nombre de femmes à l’Assemblée de 33 à 64 députées. Aujourd’hui, avec la treizième législature, ce nombre est passé à 70 même si le taux reste toujours inégalitaire (42%). Même si pour la sociologue Fatou Sow Sarr, les «femmes qui ont été portées à l’Assemblée jusqu’ici ne semblent pas être prêtes à poursuivre le combat car elles se sentent plus redevables à leurs partis.
Entre la fidélité au combat des femmes et la loyauté à leur parti, elles ont choisi leur camp». Et de rappeler : «Les femmes ne doivent jamais oublier qu’elles ne sont pas à l’abri de reculs de l’histoire, car l’histoire nous enseigne que les révolutions connaissent des moments de flux et de reflux, et la bataille pour la parité et l’égalité ne sera pas une exception.» Après cette loi sur la parité, une autre anomalie relative à l’acquisition de la nationalité sénégalaise qui lésait la femme sera réglée en 2013. La réforme modifiant la loi N° 61-10 du 7 mars 1961 sur la nationalité a permis à la femme sénégalaise d’octroyer la nationalité sénégalaise à son conjoint et à ses enfants de nationalité étrangère, dans les mêmes conditions que l’homme sénégalais. Ce qui tranche avec ce qui existait auparavant. Cette possibilité n’était reconnue qu’au père et à la mère veuve qui ont acquis la nationalité. Ainsi le Sénégal faisait un pas de plus vers une égalité effective homme-femme et concrétisant dans la foulée une promesse de campagne tenue par le Président Macky Sall.
PARITE INSTITUTIONNELLE
Le régime du Président Macky Sall a fait aussi des efforts allant dans le sens de mettre en application la loi sur la parité votée en 2010 avec la promotion des femmes dans les hautes instances de décision du pays. L’actuelle présidente du Conseil Economique, Social et Environnemental(Cese), Aminata Touré, qui devient dans la foulée la quatrième personnalité de l’Etat, est la deuxième femme à occuper le poste de Premier ministre. La police a eu pour la première fois une patronne femme en la personne d’Anna Sémou Faye. La très tenace Nafi Ngom Keita a été portée à la tête de l'Office National de Lutte contre la Fraude et la Corruption (Ofnac). Le Cese a été dirigé pendant de longues années par Aminata Tall avant que cette dernière ne cède la place à l’ancienne ministre de la Justice Aminata Touré. Et pour parachever l’égalité entre homme et femme dans les quatre institutions de la République, Aminata Mbengue Ndiaye est promue présidente du Haut Conseil des Collectivités Territoriales (Hcct) après le décès de Ousmane Tanor Dieng.
L’influence des femmes se ressent aussi dans les lois visant la protection des femmes. A la fin de l’année 2019, la loi sur le viol a été durcie avec une criminalisation allant maintenant de 10 à 30 ans et une possibilité d’être condamné à perpétuité s’il y a des circonstances aggravantes. Même si la loi est impersonnelle par définition, celle-ci vise plus à protéger les femmes et les enfants. Ce qui a poussé certains observateurs à tirer sur le gouvernement en lui reprochant d’avoir cédé au «chantage» des associations féminines du pays. Quoi qu’il en soit, sous l’impulsion des Présidents Abdoulaye Wade et Macky Sall, d’importantes étapes ont été franchies dans l’émancipation féminine, même s’il reste beaucoup à faire avec la pauvreté parfois beaucoup plus ressentie par les femmes et le taux de scolarisation qui reste faible. Mais surtout la maturation citoyenne des femmes engagées en politique.
Présentes dans l’espace politique depuis 1963 avec Caroline Diop qui est la première femme à être députée à l’Assemblée nationale, certains leaders de la cause féminine regrettent que la présence des femmes dans les instances de décision n’ait pas amélioré la qualité des débats sur la question des droits des femmes. ‘’La loi sur la parité, ce n’est pas tout de mettre des femmes à l’Assemblée : il faut surtout qu’elles puissent changer les choses. La parité n’est utile que si elle permet d’accéder à une transformation en profondeur de la société’’, faisait remarquer il y a quelques mois l’historienne Penda Mbow, même si le Sénégal est hissé à la 11e place mondiale, selon une étude récente publiée par ONU Femmes et l’Union interparlementaire (UIP).