LE SACRIFICE DU ROI, LE SALUT DE LA HORDE
PARLONS ÉTAT EN FICTION
Un roi guerrier consulta un jour son conseil de guerre face à un ennemi redoutable. Un ennemi qui, au prix de disparaître, était déterminé à arracher la seule plaine où son peuple pouvait enfin vivre en paix et en sécurité pour l’éternité. Non seulement la plaine était perchée sur la plus haute montagne de l’Univers, mais elle était bénie des forces de la nature.
A l’origine le chaos
Alors que c’était sa plus profonde crainte, le roi se fit entendre dire par ses loyaux conseillers qu’au mieux les armes de la forge le mettraient à égalité avec l’ennemi qui avait déjà essaimé sur le versant opposé de la montagne. Le roi guerrier s’en remit à la seconde recommandation de ses conseillers placides et serrés sur le rang de la dévotion à la cause de La Horde. Elle consistait à faire un sacrifice en sang et en or, comme les oracles l’avaient prescrit en pareille circonstance. Ce procédé était devenu une règle dont la seule fin fût de garantir la survie de La Horde. Tout pouvait manquer à cet instant à son peuple sauf du sang: le cheptel grouillait au loin sur les flancs inférieurs de la montagne disputée.
De l’or il y en avait encore plus: le trésor royal faisait scintiller ses milles lueurs dorées jusqu’au firmament de la nuit noire assoiffée de gloire. Tout son peuple lançât un grand souffle de soulagement à l’annonce du sacrifice, oubliant que le trésor royal leur appartenait également, et que par conséquent il pouvait et devait toujours demeurer, quoi qu’il arrive. Demeurer pour servir à tous. C’est en cela que le trésor était sacré pour le roi et ses dévoués et loyaux conseillers. Puisqu’il s’était fait le serment de préserver la fécondité et les biens de La Horde par le simple fait d’être roi, il ne pouvait briser cette sacralité en touchant à la plus petite pépite du métal précieux.
On lui leva des cauris pour peser de l’or et abattre des chameaux et des bœufs. Le roi refusa et demanda plus. On lui ajouta cinq esclaves et les attirails de leurs épouses. Le roi fit toujours signe du peu en lançant un féroce gémissement. On lui ajouta de nouveau le sang de la plus redoutable sorcière prise en capture la veille avec les plus jeunes vierges de toute la contrée vassalisée. Le roi faillit trancher la gorge de son prêtre supérieur qui lui porta cette offre à l’oreille.
Brusquement la reine s’élançât vers son roi qui se tint spontanément altier sur le piédestal de son trône. Elle offrit sa vie et se confia aussitôt à sa servante et au prêtre. Le roi la saisît de ses massues aguerries, non pas pour la caresser, mais pour lui faire signe qu’en pareille circonstance elle ne valait pas certainement pas plus que les vierges innocentes.
L’acte fondateur : le sacrifice et la loi
D’un regard aussi tranchant que les crocs baveux du loup noir, le roi guerrier réclamât le sang de son seul fils, son prochain héritier en tout état de cause, mais également le gramme d’or qui gisait au creux de son collier princier. Du sang et de l’or en effet, mais du sang royal et de l’or sacré car logé dans le collier princier, le seul qui pouvait alors contenir de l’or à cet endroit précis. Cette pépite portait le symbole de l’Etat et de sa perpétuité. Saisis de peur et de circonspection, les conseillers ne faillirent point à leur devoir, encore une fois.
Comme à l’accoutumée, leurs bouches s’ouvrirent en chœur pour rappeler au roi décidé qu’il risquait en portant le prince à l’autel de mettre en péril sa succession, et par conséquent, la stabilité de La Horde. Il ne serait resté que la reine et après elle et le roi, peut-être plus rien de la lignée royale. En effet, pour les conseillers, le prince n’était pas seulement son fils, mais une institution de La Horde en transition. Ce n’est visiblement pas la seule compréhension qu’en avait le roi. La sienne était plus profonde, et c’était qu’une institution a pour fin de servir lorsqu’il le faut. De leur côté, les oracles observaient le procédé, s’attendant à ce qu’il se déroule exactement comme le commande la coutume.
Le roi observa que le prince et son gramme d’or pesaient moins que tout ce qui lui fût engagé pour le sacrifice. Mais il fit comprendre qu’il valut mieux que sa Horde fût gouvernée par une autre lignée ou par une femme au lieu de disparaître à jamais. Il valut mieux que sa horde confiât son destin à une autre dynastie, plutôt que de disparaître à jamais.
La délivrance : soumission et souveraineté
Ainsi, le prince et son gramme d’or valaient plus pour le sacrifice que tout le reste : La Horde était placée au-dessus de la Famille. Et d’un coup sec, il planta sa lame souveraine dans le thorax du prince, juste au dessus du collier princier, et sans hésiter un seul instant il la fit glisser jusqu’à son abdomen. Comme pour faire ruisseler le sang du haut du collier vers la terre chaude et asséchée des flancs de la montagne bénite. Le sang du rituel avait en effet imbibé le gramme d’or puis perlé tel un torrent salvateur sur le sol rocailleux de la scène. Le sacrifice fut fait, le destin accompli, la coutume observée, La Horde préservée.
Le peuple attristé restait sans voix, même si dans sa conscience il avait compris sa délivrance. Il ne comprenait pas encore la leçon, jusqu’à ce que le prêtre eût déclaré: « Par le don de ce qu’il avait de plus cher, le prince, et par la sacralité de nos biens, le roi a accompli son devoir ultime: préserver La Horde et garantir sa survie. Mais, ne nous y trompons pas ! Il s’est montré plus sage que prompt, plus pacifiste que guerrier, plus soumis que souverain. Il a enseigné que ce que nous sacrifions ne vaut pas plus que ce pourquoi nous faisons le sacrifice. Ce pourquoi nous avons des lois est plus important que les lois elles-mêmes ».
La reconnaissance : citoyenneté et légitimité
Depuis ce jour il fut interdit dans La Horde de sacrifier du sang humain et de consacrer l’or à la fabrication des armes. C’était le moins qui pût être fait pour honorer le roi ainsi que le prince, et rappeler à jamais à la mémoire de La Horde que le sacrifice s’impose à tous, s’il a coûté cher au roi, et que pour cette cause, il n’y a jamais assez pour cet acte fondateur et salvateur à la fois. Désormais, le sacrifice fut réclamé chaque année pour élever celui du roi guerrier à celui d’acte fondateur de La Horde délivrée de la peur, de la guerre et de l’insécurité.
Du sacrifice la dignité fut désormais équitablement préservée pour chaque femme, enfant et homme de La Horde. En reconnaissance de la soumission du roi aux lourdes demandes de son métier de gardien de La Horde, le sacrifice fut volontairement consenti par tous de verser chaque année du sang et de l’or à la pleine céleste. Désormais, cela fit parti de la coutume./.
Aboubakr Tandia
Bayreuth International Graduate
School of African Studies – BIGSAS –
Bayreuth University
D-95440 Bayreuth – Germany
E-mail : tandiaaboubakr@yahoo.com