MAUVE
EXCLUSIF SENEPLUS #SilenceDuTemps – Le vivant et le convivial seront toujours plus forts que la mort et le mortifère. La pandémie m’a appris à croire très fort que c'est par le ‘‘move’’ qu’on résiste et gagne
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#SilenceDuTemps – Les quinze derniers mois, depuis mars 2020, ont eu pour moi la couleur mauve. Comme le chante l’artiste français d’origine nigériane Féfé et comme d’autres avant lui l’ont dit, le mauve égale le rose de l’amour additionné au bleu du vague à l’âme, le blues. Mais aussi, ajouterai-je, le bleu du ciel et de la mer, et le bleu électrique de l’énergie vitale.
En janvier 2020, j’arrêtais tout emploi de salarié et me lançais (à nouveau) dans une activité d’entrepreneur à plein temps, manager de ma propre boite. Un démarrage qui a eu du retard à l’allumage. Je n’avais pas pris de vacances depuis sept ans : aussi durant deux mois, à partir de janvier 2020, j’ai été en confinement (volontaire) avant la lettre : shooté toute la nuit à Netflix sur mon smartphone au fond de mon lit, farnientant la matinée entre salon et courette (le coin fumeur) et faisant des siestes corses l’après-midi. Je me suis rattrapé en matière de séries en tout genre et de films de série B. J’étais très peu connecté à l’actualité, bien qu’étant fondateur de site d’info (Sentract.sn), n’ayant que mes alertes sur smartphone, qui m’informaient de grands événements. Alertes d’actu chaude que je n'ouvrirais pas toujours. Mais je voyais et j’entendais bien que mes enfants ne parlaient que de coronavirus. Je crois que la contraction du virus en Covid-19 n'avait pas encore été proclamé par l’OMS, ni la féminité de genre …‘‘du’’ Covid-19, par l’Académie française. ‘‘Coronavirus’’, ‘‘la Chine’’ et ‘‘Wuhan’’, répétaient mes enfants, lors du dîner. Et on était là, les enfants tétanisés et moi comme blasé devant l’avancée mondiale du virus pandémique, sur une chaîne d’info en continue qui était l’arrière-plan que je regardais distraitement lors des repas du soir, en famille.
Puis le virus est arrivé au Sénégal avec son patient zéro : un toubab, comme si on ne pouvait pas faire autrement qu’avec ce cliché ''recolonial''. Comme les Espagnols, pendant la ''conquête'' de l'Amérique, avaient apporté la variole aux Incas et aux Aztèques, les exterminant ainsi, les ''rouges d’oreilles'' nous ramenaient le Covid ? Le premier mort sénégalais du Covid a été vite connu : la célébrité Pape Diouf, pape noir du foot européen et de l’Olympique de Marseille en sa période emblématique. Là, je me suis (r)éveillé au Covid-19. Nous étions en mars 2020 et dans tout cela, il fallait bien (re)commencer à avoir des rentrées d’argent justifiées par une activité professionnelle. Il fallait se remettre à bouger. Les trois autres amis avec lesquels j’ai formé le capital réparti paritairement d’Axes et Cibles Com SARL, m’avaient unanimement désigné comme le gérant statutaire et donc le directeur général, avant même que je n’ai quitté mon précédent emploi de stakhanoviste pour cette aventure entrepreneuriale. Je me devais donc de m’atteler à ne plus flemmarder, et ne pas chercher à profiter de la prochaine restriction généralisée de mouvements, pour ne plus avoir honte de passer pour un inactif. Car aussi sec, Macky Sall a proclamé le couvre-feu qui finira une année après en état de catastrophe sanitaire.
Pour de longues semaines (et pour les enfants, ce sera neuf mois sans cours à l’école), je me suis retrouvé pour la première fois en tête-à-tête permanent avec mes trois garçons, ceux de mes enfants qui vivent avec moi. Et j’ai appris le métier d’être un parent qui n’est pas toujours en mode « qui paye commande ». Mes enfants, découvrai-je, avait besoin que je sois plus que celui qui paye les factures domestiques et qui les engueule en rentrant le soir du boulot, pour quelque bêtise commise par eux dans l’après-midi, après la classe. Le congé paternité d’une durée de six mois, accordé dans quelques-uns des pays scandinaves, ne m’est plus apparu comme une incongruité. Bientôt, sur la bande FM dakaroise, la ‘‘radio mondiale’’ proposerait des cours pour les écoliers, en direct entre 10h10 et 11h. Et je devins le répétiteur de mes enfants. Avant, j’en avais payé un pour être déchargé de la corvée de superviser les révisions filiales, pensum que cherchait sans cesse à m’imposer ma douce moitié. Le maître d’école que j’avais ne pouvait plus venir, pour cause de risque de contamination au Covid. Le Covid-19 nous forçait ainsi au coocooning : rester avec les siens proches et ne plus recevoir de visites après le coucher du soleil. Et ce, pendant des mois. Mais c’était bien pratique de (recommencer à) travailler de la maison : ce fut la période faste de mes émissions vidéo diffusées sur Youtube. Notamment pour ce qui est de « Lu Bèss », enregistré en tandem avec René Lake depuis Washington. Chacun de nous dans son salon. Pour une série d’émissions où nous parlâmes beaucoup – de quoi d’autre ? – du Covid.
Au-delà de ma petite personne, le Covid-19 montrait surtout que tout ne pouvait s’acheter. Et surtout pas la santé. Devant le Covid-19, tout le monde était égal dans le risque d’être frappé de malheur. Un fait jusque-là impensable qui advint pendant le Covid sénégalais fut, pour moi, la fermeture prolongée des lieux de culte, mosquées et églises. Je n’aurais jamais cru que cela serait possible, dans ce pays de 95% de musulmans, 5% de chrétiens et 100% d’animistes. Un Ramadan 2020 sans bousculades pour nafilas à la mosquée ? incroyable. Mais pour les religieux sénégalais, ce n’était que partie remise : ils nous diraient bientôt que la pandémie était un fléau envoyé par Dieu, pour nous châtier de quelque turpitude collective et d’une tonne de péchés individuels. De toute la période de retraite monacale et de restriction de déplacements inter-urbains imposée par le Covid-19, c’est cette proclamation supposée prophétique de quelques-uns de nos guides (?) religieux qui me mit le plus le de vague à l’âme.
Aujourd’hui, nous avons ‘‘appris à vivre avec le Covid’’, comme le souhaita le président Sall, à l’unisson et à la remorque du président français Emmanuel Macron, qui confinait toujours sa population un jour avant le Sénégal et déconfinait de même. Dans mon quartier, cela faisait longtemps qu’on avait vite appris à vivre avec le Covid : les nuits de couvre-feu, jusqu’à 1 heure du matin, il était possible d’aller frapper à la porte du ‘‘Diallo-boutique’’ de la rue : il entrebâillait l’entrée et vous vendait ce que vous vouliez. Rétrospectivement, c’est cette résistance boutiquière qui me fait croire que le vivant et le convivial seront toujours plus forts que la mort et le mortifère. En quinze mois, plusieurs proches (très proches…) et amis miens ont contracté le Covid-19, puis en sont guéris. Je ne suis plus dans le mauve. La pandémie m’a appris à croire très fort que c'est par le ‘‘move’’ qu’on résiste et gagne. Il faut toujours que tout change pour que tout reste pareil.
Ousseynou Nar Gueye est un analyste politique, fondateur du site d'information sentract.sn et directeur général d’Axes & Cibles Com SARL.