QUAND LE «BORDEL» S’INSTALLE AU SEIN DE L’ECOLE SENEGALAISE
Des conflits, des empoignades, des heurts, des agressions et de la violence. Au Sénégal, les relations entre élèves et enseignants virent à la guerre civile. On exagère à peine !
Pour une recomposition des valeurs et de crise des repères en milieu scolaire et estudiantin, des acteurs de l’Education demandent surtout la participation des parents d’élèves qui doivent se charger de l’éducation de base des enfants pour que les programmes scolaires ne soient que des réceptacles et des vecteurs de valeurs et de citoyenneté.
Des conflits, des empoignades, des heurts, des agressions et de la violence. Au Sénégal, les relations entre élèves et enseignants virent à la guerre civile. On exagère à peine ! Entre ces deux acteurs majeurs de l’école, ce n’est plus le parfait amour depuis quelques années. On constate de plus en plus un manque d’affection, d’empathie, de confiance, d’admiration des élèves envers leurs professeurs à qui ils ne vouent plus aucun respect. Les prémices d’une future école antivaleurs sont bien visibles et s’accumulent de jour en jour. L’année académique 2020-2021 aura été l’année de trop dans cette relation désormais conflictuelle, voire antagonique, entre enseignants et élèves. Une année qui a connu des actes de violence, de vandalisme et d’agressions physiques et morales des derniers nommés à l’encontre des premiers et qui ont suscité partout des indignations et des demandes de sanctions. Lesquelles ont été parfois suivies d’effets.
Une année bordelique
Cette année, les potaches semblent se donner le mot d’ordre « de l’indiscipline » pour finir l’année… en bordel. Que ce soit à Dakar, à Mbour, à Matam… ils ont montré un visage autre que celui d’adolescents en quête de connaissances, d’expériences et de savoir. D’éducation à la vie en société et à la citoyenneté aussi. L’école sénégalaise est en crise profonde. Elle n’inculque plus aux élèves les valeurs qui participent à leur socialisation. Les récents évènements laissent croire que le milieu scolaire ne détermine plus l’individu. Leur propre « programme » à ces élèves leur est typique ! Le « programme scolaire » de l’année écoulée a en effet commencé par des histoires de « Flash K », du nom de ces vidéos réalisées en plein cours à l’insu des enseignants et largement partagées sur les réseaux sociaux. Les apprenants n’ont trouvé rien de mieux que de séquestrer leurs éducateurs qui, en lieu et place de cadeaux de remerciement pour les efforts fournis et les enseignements dispensés, ont reçu des coups de poings. D’autres ont été étranglés. Les agressions physiques ou morales contre les maîtres ou les professeurs ne se comptent plus. En plus des enseignants, les infrastructures scolaires aussi subissent la furie ou l’incivisme des apprenants. Le niveau de violence dépasse l’entendement. C’est devenu même un phénomène de société. Dans beaucoup d’établissements, du moyen comme du secondaire, jusqu’à l’université, les apprenants se sont distingués de la plus triste des manières au cours de cette année scolaire 2020-2021 finissante. Ils ont « presque tout » ravagé sur leur passage. D’abord au Collège d’Enseignement moyen (CEM) de Hann à Dakar, puis à Ourossogui, à Matam, où des élèves, filles comme garçons, ont fait fi des prescriptions des autorités sanitaires, en bafouant les règles du respect strict du port de masque. Ce, avant que les potaches de Sindia en rajoutent. Des élèves qui, ce faisant, n’ont fait que copier leurs ainés des universités de Dakar, de Kaolack et de Saint Louis. A la suite des scènes de violences regrettables, des voix se sont élevées pour exiger des sanctions à l’encontre des fauteurs de troubles.
Et si on se conformait à la Loi d’orientation ?
Selon le président du Mouvement pour une Citoyenneté Engagée, (M.C.E Andu Nawle), et ancien leader syndical enseignant, Mamadou Lamine Dianté, « tout semble indiquer que ces scènes honteuses ne sont qu’une expression de dépit d’une année scolaire marquée par le pilotage à vue, avec des programmations, déprogrammations et reprogrammations des dates d’évaluations par la tutelle ». Mais pour l’inspecteur de l’Education Dagobert Zaccaria, cette violence ne saurait être résumée en un simple problème de programmation d’examens. Il pense qu’on devrait plutôt procéder à une « lecture globale dynamique de ces évènements afin d’en déterminer les éléments explicatifs qui sont multiples et liés dans un rapport complexe ». Ce, « en toute lucidité et sérénité ». M. Dagobert croit qu’au-delà des réprobations, des récriminations et des condamnations sans réserve, on devrait aussi éviter de tomber dans ce qu’il appelle des « analyses circonstanciées dictées par l’émotion ou la colère ». Parce que, et comme le fait savoir son collègue inspecteur de l’éducation, Dr Mamadou Khouma, « certaines pratiques des acteurs de l’école sont en déphasage avec la loi d’orientation. Ce qui nous amène à nous demander si les principaux acteurs de l’école se sont réellement appropriés cette loi qui, pourtant, devrait être le bréviaire de tout enseignant impliqué dans l’action éducative au Sénégal ».
« L’école secrète des antivaleurs »
Le mal est plus profond … Les enseignants sont unanimes pour estimer qu’aujourd’hui, l’autorité n’a donné que des pouvoirs à l’élève qui détient tous ses droits sans aucun devoir en contrepartie. « Ce qui fait que l’école devient de moins en moins un lieu d’éducation, et de plus en plus un simple espace d’enseignement-apprentissage », soutient le syndicaliste Mamadou Lamine Dianté appuyé dans ses propos par l’inspecteur Khouma selon qui « l’école n’est plus considérée comme une institution qui assure la promotion sociale ». Plus grave, martèle-t-il, « elle secrète des antivaleurs, l’appât du gain facile, l’érosion de l’esprit civique… ». En réalité, la violence s’est invitée dans l’espace scolaire. Et certains actes de violences posés comme le saccage d’infrastructures scolaires, les agressions contre les enseignants (tes) témoignent de « l’escalade dans la spirale de violence qui gangrène l’espace scolaire universitaire ». De son avis, l’école et l’université ne sont plus des lieux sûrs pour assurer des enseignements en toute sérénité. « L’apprenant adopte d’autres référents en dehors de l’école car les modèles de réussites sociales auxquels il s’identifie désormais sont en dehors de la sphère scolaire. Pire, pour de nombreux jeunes, l’école n’est plus le lieu qui assure l’ascension sociale. Notre école demeure encore prisonnière de savoirs scolaires qui ne sont pas transposables dans le champ social. Ces savoirs ne sont pas déclinés en compétences opérationnelles répondant aux enjeux et aux besoins de la société », estime encore Khouma.
« Se donner les moyens de ne pas reproduire des ivraies »
Sur ce, Mamadou Lamine Dianté pense que « sanctionner et extirper la gangrène de notre système éducatif est bien, mais se donner les moyens de ne pas la reproduire est encore bien mieux ; car cela préservera la société sénégalaise de l’ivraie citoyenne ». D’où l’impératif de solutions structurelles « en lieu et place de mesures conjoncturelles, épidermiques ». Ce qui, dit-il, exige le repositionnement du système éducatif dans sa triple mission d’apprentissage, d’éducation et de socialisation. Avec une part belle à accorder à l’éducation à la citoyenneté. Aujourd’hui, (…) il est vital de repositionner l’approche de l’enseignement et de l’enseignant. Il est important de juguler les tendances négatives dans l’espace scolaire et d’installer dans les segments de la société en général, chez les apprenants et les enseignants en particulier, l’appropriation de valeurs et de vertus qui fondent la société et l’Etat démocratique. Le salut de notre école doit nous amener à privilégier en tout temps l’intérêt général », pense Dr Mamadou Khouma, inspecteur de l’enseignement moyen secondaire/Etablissement vie scolaire.
L’éducation à la maison d’abord
A ce mouvement de sursaut pour une école apaisée, pacifique et stable, il faut la participation des parents d’élèves qui, selon M. Dagobert, doivent veiller davantage à inculquer à leurs enfants une éducation de base fondée sur les valeurs de tolérance, d’humilité, de respect de l’autre et du bien public, d’entraide, de convivialité. « Nos programmes scolaires doivent être des réceptacles et des vecteurs de ces valeurs cultivées et enseignées de l’éducation préscolaire jusqu’à l’université à travers l’éducation civique, l’éducation à la citoyenneté sans oublier le développement de modules sur la culture numérique qui apparait comme un besoin émergent à prendre en charge », préconise l’inspecteur Mamadou Khouma comme solution à cette crise scolaire actuelle.