L’HOMME MATURE OU NITE, RÔLE DES DAARAS ET KËR GU MAG
EXCLUSIF SENEPLUS - Daaras et kër gu mag sont des terreaux de formation susceptibles d'orienter la personnalité de l’enfant. Sans passer par ce type d’environnement, l’enfant peut acquérir cette qualité en bénéficiant d’interactions riches (2/3)
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Dans cette deuxième partie est abordée la question du rôle du milieu dans l’intégration de la personnalité. L’idée est de montrer que daaras, ou écoles coraniques, et kër gu mag, ou grandes concessions familiales, contribuent largement à forger ce niveau de développement de la personnalité qualifié de nite, mais ce processus de maturation est aussi possible pour ceux évoluant dans d’autres contextes.
Pourquoi daaras et kër gu mag contribuent-ils largement à forger ce niveau de développement de la personnalité ?
La personnalité est une émergence, fruit d’une interaction entre les gènes et l’environnement de la personne. Certains spécialistes pensent qu’il existe un type de personnalité qui prend forme déjà dans le ventre de la mère. De nombreux modèles théoriques estiment que le type de personnalité serait inné ou lié aux gènes, mais le niveau de développement de celle-ci dépend largement du milieu dans lequel la personne évolue.
Notre analyse distingue trois milieux :
- la famille restreinte, constituée par le père (figure protectrice en général), la mère (figure nourricière en général), deux à trois enfants ;
- la famille élargie, de type grande concession ou kër gu mag, où l’on trouve entre dix et vingt personnes, intégrant cousins, neveux, tantes, oncles ou grands-parents ;
- le daara, où se retrouvent beaucoup de jeunes enfants préparés à la maîtrise des textes sacrés et des sciences religieuses ainsi qu’à l’apprentissage de la vie.
Notre postulat est le suivant : quel que soit le milieu dans lequel évolue l’enfant, les interactions multiples, diverses et riches en matière de vécu vont orienter la personnalité vers cet attribut de nite. Daaras et kër gu mag contribuent fortement à façonner la personnalité.
Ils offrent un cadre beaucoup plus propice. Les interactions évoquées plus haut peuvent être rares dans certains contextes : un daara dirigé par une personne malveillante ou un kër gu mag sous la houlette d’un père de famille peu responsable ou qui abrite des personnes mal intentionnées. À l’inverse également, un foyer de type restreint (3 à 5 personnes) peut offrir un cadre d’épanouissement et de maturation de la personnalité si les échanges s’inscrivent dans un apprentissage continu, s’appuyant sur des référentiels solides (avec des valeurs morales mises en pratique). Au niveau des daaras et kër gu mag, l’élément majeur qui intervient dans la transformation positive de la personnalité est la richesse des interactions.
Dans les grandes maisons de type kër gu mag, la vie est simple, les interactions nombreuses et diversifiées. L’enfant y retrouve de nombreuses figures nourricières et protectrices. Dans une large mesure, on y apprend le sens du partage, la solidarité, la bonne humeur. L’enfant se socialise, accède à ses ressources et devient de plus en plus nite. Mais on y retrouve également les petits conflits, les abus et les contradictions inhérents à tout regroupement humain. Les personnes moyennement sensibles s’y épanouissent parfaitement. Les personnes les plus sensibles émotionnellement, ayant un besoin d’affection plus intense, peuvent déplorer le manque d’attention à leur égard, mais ce milieu peut aussi être le bon « terreau » pour leur apprendre à surmonter leur susceptibilité et à faire face à des environnements difficiles.
Les daaras ont cette spécificité d’apprendre l’indigence à l’enfant, en revanche, ce dernier évolue joyeusement en groupe avec ses condisciples. Ceux qui surmontent ces difficultés (sans traumatisme) deviennent très solides sur le plan émotionnel. En finalisant le cycle de formation avec la chance d’un perfectionnement dans les sciences religieuses, avec à la clé le mentorat d’un érudit nite, le voilà préparé à affronter la vie.
La hiérarchie au sein d’un kër gu mag vous habitue très rapidement au respect de l’autorité (topp ndigal, nangu kilifteef). La piété filiale, le respect des anciens et le droit d’aînesse sont érigés en normes. Mais dans l’autre sens, les anciens protègent les plus jeunes et leur vouent une grande affection (seuls les petits-fils/petites-filles qui sont sous la tutelle d’un grand-père ou d’une grand-mère ont un certain degré de liberté).
- Topp ndigal, nangu kilifteef sont parfaitement actionnables pour quelqu’un qui a fait le daara. L’ouverture (ubeeko) a un lien avec d’autres facteurs : le nombre d’interactions, la proximité avec un vrai érudit, le voyage et la réflexion profonde. Comment conserver son identité tout en acceptant que d’autres aient des visions et des expériences différentes ?
- La courtoisie (teggin), l’honnêteté (njub) et l’intégrité (ngor) s’apprennent d’abord par l’exemple. Il existe des personnalités naturellement avenantes, portées vers les autres. Dans le temps court, elles diffusent de la bonne humeur et contribuent, par contagion, à l’émergence d’un champ émotionnel positivement chargé. Et dans le temps long, la proximité avec des personnes très courtoises vous entraîne par habitude à adopter leur comportement. L’honnêteté s’apprend d’abord par habitude, mais elle s’internalise plus tard comme un élément majeur du système de valeurs individuel avec des arguments divers et variés.
- L’ambition (itte ju kawé) est un élément très important pour de nombreuses doctrines religieuses. L’indigence et le manque d’attention peuvent entraîner des complexes chez certains enfants, mais dans leur grande majorité, ils décuplent la capacité de l’enfant à entrer en pleine possession de ses ressources. À ce niveau, l’exemplarité joue un rôle décisif. Il entraîne un mimétisme en ce qui concerne les trajectoires de réussite. « Ils ont fait le daara, ensuite ils sont venus à Dakar pour démarrer un commerce et ils ont réussi. Tous ceux qui ont vu ce vécu s’y réfèrent et suivront la même trajectoire. » Ceux qui ont fait le daara et ceux qui ont fréquenté les kër gu mag peuvent être très simples et faire preuve de mandute. Lorsqu’on est motivé par son travail, on n’a pas le temps de parler des gens. Commérages et ragots sont souvent le fait de personnes oisives.
- Si vous rencontrez un vrai « ndongo daara », vous lui demandez comment il va, la réponse est souvent : « Ma ngi sànt sugnu Borom » (« je rends grâce à Dieu »). Sa vie est très simple : le travail, la famille et sa pratique religieuse. Il n’a aucun besoin d’imiter d’autres schémas culturels. Ayant un vécu très riche, il comprend la vie. Même devenu milliardaire plus tard, il garde toujours en bandoulière son système de valeurs.
Daara et kër gu mag aident à élever le niveau d’intelligence émotionnelle qui est un élément fondamental du nite. Ceux qui ont évolué dans ces milieux ont des chances d’acquérir une vision plus objective de la vie et des hommes. Ceux qui arrivent à intégrer la dimension spirituelle deviennent parfaitement nite.
Comment assurer un tel niveau de développement pour nous-mêmes et nos enfants évoluant en milieu urbain ?
Il existe deux façons de prendre conscience de certaines réalités : soit en les vivant directement, soit en s’y projetant à travers le récit de quelqu’un, la lecture, la vidéo, etc.
La personnalité se forge au contact de personnes exceptionnelles dotées de cet attribut de nite. En les fréquentant, on les imite.
Si nous n’avons pas la possibilité d’envoyer nos enfants dans des daaras, on gagnerait à les envoyer par moments dans nos grandes maisons familiales pour qu’ils y passent des vacances, des week-ends ou la journée. En se frottant aux autres, l’enfant apprend énormément.
Mais par-dessus tout, il faut qu’on apprenne à échanger avec notre progéniture. Nous ne voulons pas que nos enfants perdent du temps sur les écrans, il faut leur proposer la lecture. Ils n’aiment pas les livres, il faut qu’on stimule chez eux le goût et le plaisir de lire. Cela exige de notre part beaucoup de patience.
Daaras et kër gu mag sont des terreaux de formation qui peuvent orienter la personnalité de l’enfant en la rendant plus nite. Sans passer par ce type d’environnement, l’enfant peut acquérir cette qualité en bénéficiant d’interactions riches et fécondes.
Ce qui contribue à l’émergence de cet attribut, c’est la qualité des échanges qui permettent à l’enfant de :
- s’autodiscipliner sans tomber dans l’obséquiosité ;
- intégrer la courtoisie en gardant toute son intégrité ;
- être ambitieux en étant simple ;
- avoir la capacité de rendre grâce à Dieu et de garder un état de sérénité, en étant responsable avec une bonne maîtrise des priorités du moment ;
- comprendre la vie et se comprendre.
NB : ce texte ne s’est pas appuyé sur des enquêtes ; il comporte une analyse qualitative qui part du postulat selon lequel, des interactions riches et fécondes impactent positivement la personnalité.