JAMM RALLUME LA FLAMME DU JAZZ À LA CORNE D'OR
Autrefois terre promise du jazz et destination privilégiée de jazzmen de renom, le Sénégal est devenu depuis quelques années une terre presque vierge de jazz dû à l’hégémonie du «mabalakh». Mais le groupe, JAM l’un des pionniers fait de la résistance
Dimanche 22 août, le mythique groupe Jamm spécialisé dans la musique afro-Jazz a inauguré un club au resto de la Corne d’or à Ouakam devant des aficionados de différentes générations. Tous sont venus dans le même dessein : savourer les délices d’un genre musical qui a perdu de sa superbe au pays de la teranga. Pourtant, quand on remonte le cours de l’histoire, le Sénégal fut une terre de jazz dans les années 70-80, voire 90 et surtout une destination privilégiée de jazzmen de renom. Mais depuis quelques années, ce genre musical semble en hibernation du fait de l’hégémonie du «mabalakh». Beaucoup de clubs et de groupes ont disparu. Toutefois, Jamm l’un des plus vieux groupes fondé en 1987 fait encore de la résistance. Avec ce nouveau club naissant, Jamm entend maintenir vive la flamme du jazz tandis que le groupe travaille son prochain album.
Les férus de jazz ont été bien servis ce dimanche par le célèbre groupe Jamm au resto de la Corne d’Or à Dakar. C’est dans un cadre convivial et pittoresque, un salon aux fauteuils douillets et aux lumières bien tamisées que les 5 membres du groupe ont déroulé un riche reptatoire ficelé pour égayer le public. A cette première dans l’établissement, «les standards » ont eu une place de choix avec Miles Davis comme roi. Mais globalement, le public a eu droit aussi aux sonorités de John Coltrane ou de Francis Wong, entre autres. On est passé du Be-bop, au swing, du modal, au free jazz et au jazz rock, etc.
Quoiqu’inaugurale, Moustapha Diop, le guitariste et impresario à l’occasion, et sa bande, ont joué avec leurs tripes pour que la soirée reste mémorable. Tout compte fait, ils se devaient d’assurer pour marquer d’une pierre blanche cette grande première. Ce faisant, ils peuvent espérer fidéliser et conquérir ce nouveau public. Puisque désormais, chaque dimanche soir, le groupe fera des prestations dans cet établissement hôtelier qui est à l’initiative du projet de ce nouveau club. «On s’est rendu compte qu’il y avait plusieurs amateurs de jazz à Dakar et pas assez de restaurants qui proposaient cette prestation-là, on s’est dit pourquoi pas essayer… et apparemment les gens qui sont là ce soir ont apprécié», a estimé Awa Dia, la co-gérante de l’établissement.
Comme beaucoup, Awa Dia aussi avait des préjugés sur cette musique. Préjugés vite tombés ce soir au vu du public qui répondu présent au rendez-vous. «Moi, je pensais que le jazz est une musique exclusivement réservée aux personnes âgées parce que notre génération à nous, on est un peu olé olé comme on le dit. Mais là, je vois qu’il y a plusieurs jeunes qui apprécient», s’est repentie Mme Dia, se félicitant que la Corne d'Or contribue à faire découvrir davantage cette musique aux jeunes, notamment ses pratiquants. «C’est une opportunité pour les jeunes de découvrir plusieurs chanteurs de jazz via ce groupe ».
Si le groupe Jamm est manifestement ravi de cette collaboration avec l'hôtel de la Corne d'Or pour dynamiser le jazz, le défi sera de travailler à se réinventer continuellement afin de maintenir ce public et même de le voir grandir. D’autant plus que s'il y a l’engouement du public, il n’y aura pas de raison que le club ne poursuive l’aventure et s’inscrive dans la durée. Puisque des clubs de jazz, il y en a eus au Sénégal, y compris dans un passé récent, mais à chaque fois, ils ont disparu au bout de quelque temps.
Dakar, d’une terre promise à une terre vierge du jazz
Dans les années 70 - 80, le Sénégal fut une terre où le jazz a eu ses heures de gloire avec une profusion de clubs, disparus les uns après les autres. La capitale sénégalaise a notamment reçu à l'époque de très grands musiciens de jazz qui ont «marqué l’histoire» tels que Dexter Gordon, Archie Shepp ou Dizzy Gillespie. «Il y a eu une période d’or ou il y a eu beaucoup de jazz, quelques clubs de jazz qui avaient ouvert, malheureusement ont disparu au fil du temps », se rappelle le Prof Magueye Kassé.
Malheureusement, depuis quelques années, le jazz n’a plus la place qu’il mérite au Sénégal, regrette Moustapha Diop, le guitariste du Groupe. Le Professeur Magueye Kassé regrette lui aussi cette période et félicite de l’initiative de cet établissement. Son rêve est que la culture jazz retrouve son lustre d’antan. Ainsi pour ce spécialiste du jazz si des endroits comme celui de la Corne d’Or en plus de la Cave du Djolof ou bientôt avec le projet du berger de l’île de Ngor, s’y attelle, il ne peut que saluer ce retour quoique timide de cette musique. Le jazz n’est pas que mélodies et sonorités, mais le reflet d’une histoire et de la mémoire dont la triangulation relie l’Afrique, l’Europe et les Amériques pour en faire une musique universelle.
La belle et vieille histoire de JAMM
Le groupe JAM a connu par le passé de grands musiciens comme feu Habib Ndiaye, Sega Seck, les frères Guissé dont certains ont préféré s’expatrier pour mieux vivre leur art et que leur art les fasse mieux vivre en retour. Le Sénégal a également produit de meilleurs musiciens instrumentistes qui évoluent à l’étranger. C’est le cas du guitariste Hervé Samb, des bassistes Alioune Wade et Samba Laobé Ndiaye ou encore ou Cheikh Ndoye. «Il y a d’excellents jazzmen sénégalais qui jouent avec les plus grands musiciens au monde et qui s’expatrient. Ils n’ont pas leur place ici parce que le jazz ne fait pas vivre son homme. Ici (au Sénégal ndlr), on a deux genres musicaux qui marchent et qui s’écoutent malheureusement», regrette Moustapha Diop, espérant que les médias puissent participer à redonner au jazz son lustre d’antan au pays de la teranga.
A cette fin, il sera important que la communication suive. «Il faut dire que si les médias aidaient à cette diversité qu’on a toujours connue quand j’étais jeune, moi, ça permettrait une éclosion et que mille fleurs s’épanouissent est l’expression correcte je crois) », espère l’artiste en marge de la soirée. Nostalgique de ce passé, Diop considère son groupe comme privilégié parce que malgré tout, des contrats tombent par moments même si ce n’est pas très consistant. Ça nous donne une place de privilégiés, mais ça ne fait pas vivre correctement », estime regrette Moustapha Diop.
La formation actuelle de Jamm est composée de Laye Reen (clavier), Lamine Faye (basse), Jacques Iyok (batterie), Malick Fall (percussion), Babacar Mbacké (saxophone) et Mustapha Diop (guitare) qui ne sont pas moins talentueux. En tout cas le Prof. Kassé, une oreille musicale fine surtout en matière de jazz, connaît le mérite du groupe. «JAM qui vient de jouer ici est un groupe extraordinaire avec des musiciens de très grand talent, que ce soit dans les reprises de standards ou comme dans leurs propres reprises ou de celles de groupes mythiques comme Xalam. Je ne peux que l’encourager».
Une musique chargée d’histoire
Souvent considérée, à tort, comme une musique de vieux ou de bourgeois, le jazz a résisté au temps et aux préjugés de ceux qui ignorent son histoire profonde. Mais ce n’est sans doute pas le cas pas du Professeur Maguèye Kassé venu agrémenter ses oreilles expertes de sonorités qui lui sont bien familières depuis des décennies. Face à AfricaGlobe tv et AfricaGlobe.net, c’est presque à une exégèse de cette musique que s’est donné le germaniste. «C’est un genre musical que j’adore. Ça fait plusieurs décennies que je m’intéresse au jazz à partir de l’histoire singulière des Africains-Américains. Puisque le jazz n’est pas né comme ça, c’est le produit de beaucoup de manifestations musicales à commencer par l’emprunt que les musiciens africains-américains ont fait de la musique européenne qu’ils ont mélangée avec la religion pour ce qu’ils en comprenaient, qui est en même temps un refuge par rapport à leurs souffrances d’esclaves qui a donné naissance au gospel et au blues. C’est tout un genre musical avec une histoire sur laquelle l’on pourrait s’étendre », argue le professeur germaniste. Il ajoute : «Ce qui m’a surtout poussé vers le jazz, c’est son côté révolutionnaire, contestataire, protestataire et humaniste pour un autre monde fait d’égalité, de respect de l’autre. C’est ça que le jazz a développé».
Fin connaisseur du jazz, le Pr. Magueye Kassé a fait des recherches sur «l’origine africaine» de cette musique, classée patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Ce qui lui a permis d’établir à son tour les origines africaines évidente de cette musique surtout sur les instruments qui y sont utilisé. L’enseignant germaniste aime le jazz pas seulement pour ses harmonies, ses mélodies, ses compositions, mais aussi pour ce qu’elle est intrinsèquement sur les plans historique, philosophique, voire religieux. Car, faut-il le rappeler, le jazz a émergé des entrailles des esclaves noirs déportés d’Afrique vers les Amériques pour être exploités dans les plantations. Dans leur souffrance, ils ont trouvé «refuge» dans cette musique, comme expression de liberté. De ce point de vue, le jazz constitue à la fois un pan d’histoire de l’humanité et un pont entre l’Afrique, les Amériques et l’Europe esclavagistes.
Le jazz n'est pas élitiste, mais il faut des oreilles éduquées
Magueye Kassé rejette l’idée que le jazz soit une musique élitiste ou faite pour vieilles personnes. Mais il admet que toute oreille n’est pas a priori éduquée à écouter tout style de jazz. En revanche, à force d’exercice on peut finir par mordre à l’hameçon. «Le jazz n’est pas élitiste. Il faut qu’il y ait un jeu de balancier. Si vous prenez le free jazz, ce ne sont pas les rythmes qu’on peut facilement adopter», relève le Prof. «Il faut s’exercer et quand on exerce son oreille on devient plus exigeant. Même la musique africaine commerciale, on ne peut plus l’écouter si on est passé par le jazz, par la musique classique», soutient-il.
«Quand on prend de très grands musiciens comme Sonny Rollins, John Coltrane, Sun Ra ou bien Miles Davis ‘’dans sa période électrique’’, ce ne sont pas toutes les oreilles qui sont capables de percevoir la subtilité et la combinaison de sons qu’on n’a pas l’habitude de voir ensemble». Comme Magueye Kassé, Moustapha Diop, non seulement estime que ce sont des clichés, mais même dans la musique plus contemporaine de jeunes comme le rap et autres, il a bel et bien des influences jazz qui s’y infiltrent. Surtout que le jazz est une musique qui laisse une grande place à l’improvisation et à l’expression du musicien.
Le groupe JAMM toujours casanier
Malgré son niveau, le groupe JAMM est demeuré un groupe local, se contentant jusqu’ici de faire des clubs ou de participer à des festivals. Peu ou pas connu à l’étranger. En ce moment, le groupe travaille sur un album principalement afro calqué un peu sur le modèle de son premier album de 2002. Les membres ont espoir que cet album soit la voie royale vers des tournées internationales qui les sortira de leur quasi anonymat. En attendant désormais ils continueront à jouer à la Corne d’Or chaque dimanche, après soirée Ki zomba du samedi dans le même établissement.