À MÉDINA BAFFÉ, L'ORPAILLAGE PÂLIT L'HÉRITAGE CULTUREL
Autrefois, les festivités et évènements culturels faisaient florès dans le village. Aujourd’hui, cette localité est l’ombre d’une périphérie où la culture est délaissée par les jeunes tournés vers les activités de l’orpaillage, à la quête d’un mieux-être
Autrefois, les festivités et évènements culturels faisaient florès dans le village de Medina Baffé. Aujourd’hui, cette localité qui est devenue une commune en 2014, n’est que l’ombre d’une périphérie où la culture est délaissée par la jeune génération tournée plutôt vers les activités de l’orpaillage, à la quête d’un mieux-être. La culture survit difficilement à cette ruée vers les sites d’orpaillage qui ont fini de gagner toutes les localités du département de Saraya, n’épargnant pas la contrée de Médina Baffé. La relève culturelle est loin d’être bien assurée dans cette commune habitée uniquement par les Djallonkés qui font partie des minorités ethniques de la région de Kédougou.
Avec ses 15.000 habitants, Médina Baffé, commune située dans le département de Saraya, à 98 kilomètres de Kédougou, est presqu’à la périphérie du Sénégal. La Guinée est à une quinzaine de kilomètres de là. À certains endroits, bien moins. Le Mali aussi est tout près. Cette commune frontalière est habitée entièrement par les Djallonkés, une ethnie à la culture très riche. Mais aujourd’hui, la réalité sur le terrain prouve toute autre chose. Ici, la culture meurt à petit feu, faute de relève de la part des jeunes générations plutôt orientées vers la recherche de l’or, à travers les sites d’orpaillage qui abondent dans la zone. « Auparavant, la culture se portait très bien ici. Mais de nos jours, nous avons un énorme problème car les gens n’accordent plus du temps à la culture. La première cause, je trouve que c’est la recherche de l’or. Les gens passent tout leur temps aux « diouras » (sites d’orpaillage). Avant, quand on était plus jeunes, il y avait beaucoup d’événements et de veillées culturels surtout à la fin de la saison des pluies », se rappelle Sadio Danfakha, maire de la commune de Medina Baffé. Il se souvient également de la ferveur culturelle qui s’emparait de la localité lors des cérémonies de circoncision. Toutes choses qui ont tendance à disparaître, regrette-t-il. « Mais imaginez-vous, il y a juste une semaine, il y a eu la circoncision d’un grand nombre d’enfants mais il n’y a eu aucun cérémonial culturel. On ne pouvait pas imaginer cela dans un passé récent. C’est vrai qu’il y a aussi l’école qui a créé une fissure dans la promotion de la culture. Il n’y a pas eu un transfert de connaissances chez les jeunes. Mais il faut dire aussi que les jeunes ne semblent pas s’intéresser non plus à la culture », renchérit le maire de la commune.
Si Médina Baffé peut espérer compter sur les initiatives entreprises par l’association des minorités ethniques de la région avec qui la communauté a noué un partenariat pour mieux préserver la culture Djallonké, il reste évident qu’il y a du chemin à parcourir pour y parvenir. « Car présentement, il n’y a aucun évènement culturel qui se déroule dans le village », souligne Saibo Danfakha.
Souleymane Samoura, la quarantaine, était un grand danseur lors des évènements culturels. Il est, aujourd’hui, le président du conseil communal de la jeunesse de Médina Baffé. Il se rappelle les années glorieuses culturelles auxquelles ils prenaient part lui et ses camarades de classe d’âge. Seulement, « de nos jours, pour la préservation de la culture, c’est compliqué car il y a un abandon notoire de notre héritage culturel dans la localité, à cause de l’orpaillage principalement. Mais aussi du fait d’un manque d’unité, d’esprit de collectivisme. On se rassemblait et l’on organisait des évènements culturels très denses. Il y avait une parfaite unité entre les jeunes et le respect de l’aîné. Les choses ont changé maintenant », se désole-t-il. Avant de poursuivre : « j’ai vécu ces moments d’intenses évènements culturels, ça me manque énormément aujourd’hui. On assurait, en tant que jeunes, les danses à travers les masques, on battait les tam-tams durant une semaine. Il y avait un mysticisme extraordinaire lors des veillées culturelles ». Il arrivait même à Souleymane Samoura et ses camarades d’aller exprimer leur talent de danseur au-delà des frontières de Médina Baffé et même du Sénégal. « Je me rendais dans les villages environnants jusqu’en Guinée même pour danser. J’ai participé à énormément d’évènements culturels. Nous dansions de la nuit au petit matin. Les évènements culturels se préparaient pendant des mois en amont. C’était des moments très denses. Il n’y a pas eu, hélas, cette transmission culturelle aussi. La jeunesse d’aujourd’hui ne connait pas ces moments forts. Tout ça c’est du passé aujourd’hui », dit-il non sans amertume.
Cependant, certains villages de la commune à la lisière de la frontière avec la Guinée, sont épargnés par l’orpaillage. « Là-bas, il y a toujours des pratiques culturelles très vivaces. Aujourd’hui, ce sont d’ailleurs ces villages qui viennent assurer certains rares événements culturels ici à Médina Baffé. On est obligé même de les payer pour leur prestation. Alors que notre Médina Baffé était très ancré dans la culture et organisait des évènements culturels très courus. Je me rappelle qu’à la veille de la circoncision, par exemple, seules les personnes âgées assistaient aux veillées culturelles. C’était risqué pour nous autres d’y prendre part. C’était très mystique », soutient Souleymane, un trémolo dans la voix qui en dit long sur la nostalgie qu’il éprouve très certainement quant à la disparition de ces moments de retrouvailles culturelles.
L’esprit «« khoobédi » et le redoutable masque « wolondin kindindé »
Ces masques sortaient lors des cérémonies de circoncision sous la protection de l’esprit « khoobédi ». Il restait en dehors du village deux jours avant la circoncision. Le deuxième jour qui coïncide au jeudi, il vient à la place publique. « La journée, des danseurs sillonnent le village et les maisons pour faire des quêtes. La nuit, la danse se poursuit jusqu’au petit matin du vendredi et l’on circoncit les jeunes. À l’aube du vendredi, un masque qui s’appelle « wolondin kindindé » fait son apparition. Quand il apparaît, tout le monde reste dans les cases. Personne ne doit le voir sauf les circoncis. Il fait le tour du village. C’est à la fin que les gens sortent de leur cachette », explique le vieux Saibo Camara, notable et ancien danseur redoutable Djallonké.
Makhan Camara, notable coutumier de Médina Baffé se rappelle, lui aussi, ces moments culturels que vivait le village. Le matin, les parents, hommes et femmes sortent danser pour manifester leur satisfaction. Ils apportent aux circoncis des cadeaux. Après quelques semaines, les circoncis reviennent au village et l’on organise des pratiques culturelles secrètes qui vont même jusqu’à définir l’avenir des circoncis. Ils portent leurs nouveaux habits et ils vont remercier tous ceux qui les ont accompagnés dans l’épreuve qu’ils ont subie. « Les jeunes étaient regroupés par classe d’âge, notamment ceux qui ont été circoncis ensemble. Ces groupes s’organisaient pour nettoyer tout le village et les alentours. Les filles étaient chargées de préparer les repas. C’était des évènements qui se tenaient sur trois jours. Chaque groupe avait un chef à qui chacun vouait un respect strict. Le dernier jour, la nuit, on danse jusqu’à l’aube. Il y avait un esprit de solidarité. C’était vraiment le collectivisme », indique-il.
Alpha Samoura, un jeune du village, se souvient, lui aussi, des activités qu’ils menaient pour le compte de la communauté. « Il arrivait, parfois, que les jeunes du village se lèvent et organisent des veillées culturelles et des travaux champêtres avec l‘appui des chefs coutumiers. Ils organisaient, par la suite, la nuit tombée, des danses pour manifester leur totale réjouissance », confie-t-il.
Mais aujourd’hui, Médina Baffé semble avoir perdu cette splendeur culturelle. « Tout ce qui se passait avant, n’existe plus maintenant. Les veillées culturelles nocturnes ont été remplacées par les soirées dansantes. Il y aussi l’association des minorités ethniques qui organise des évènements culturels auxquels nous prenons part. Pour préserver de telles choses, il faut un transfert culturel. Mais le problème c’est que les jeunes ne s’en occupent plus. Ils ont délaissé la culture au profit de la recherche de richesses. Les « diouras » (sites d’orpaillage) ont largement contribué à ce délaissement », renseigne le notable et chef coutumier Makhan Camara. Tout au plus, « les gens cherchent à s’enrichir et n’ont plus le temps. Il y a même un abandon de l’agriculture. L’école aussi a joué un rôle négatif sur la culture locale avec un certain complexe nourri par les jeunes », dit-il, peiné.
Difficile ancrage culturel des filles
Les femmes de Médina Baffé tentent vaille que vaille de maintenir le flambeau légué par leurs ainées. « Aujourd’hui, seules les femmes continuent un peu à organiser des veillées culturelles de danse », de l’avis du notable Makhan Camara. Ainsi, Simiti Keita, responsable coutumière de Médina Baffé, fait partie de ses dames qui contribuent à la préservation de la culture djallonké dans sa localité. « Nous continuons à pratiquer la culture. Nous avons grandi avec, vécu avec depuis l’enfance. Nous ne pourrions délaisser notre culture. Surtout à notre âge. Nous ne pouvons que consolider cela. Mais les jeunes filles ne sont aujourd’hui préoccupées que par les soirées dansantes après l’école. Si une veillée culturelle que nous organisons arrivait à coïncider avec une soirée dansante, le choix est vite fait par les filles : c’est la soirée dansante », admet-elle. « D’ailleurs de nos jours, les filles ne savent ni danser ni chanter », ajoute Simiti Keita avec un large sourire. Quant au rôle des femmes lors des cérémonies de circoncision, Simiti indique qu’elles se préparaient et accompagnaient la danse des masques avec des chansons. Seulement, « aujourd’hui, avec l’abandon de l’excision et des animations culturelles lors des circoncisions, beaucoup de choses disparaissent. Lors des mariages, il y a des danses appelées « Koumbana » que seules les femmes pratiquent. Et ici, à Médina Baffé, il n’y a plus de batteurs de tam-tam. Même si l’on voulait organiser cette danse, ce sera voué à l’échec. À moins qu’on aille chercher les batteurs dans les villages environnants », soutient-elle.