CES GROUPES DE QUARTIER A L’EPREUVE DU TEMPS
Les groupes «Missal» de la Patte d’Oie, «Waflash» de Thiès, «Ceddo» des Hlm de Dakar, ont disparu de la scène musicale sénégalaise depuis quelques années
Les groupes «Missal» de la Patte d’Oie, «Waflash» de Thiès, «Ceddo» des Hlm de Dakar, ont disparu de la scène musicale sénégalaise depuis quelques années. Pour les deux premiers nommés, leurs lead vocaux, respectivement Woz Kaly et Ma Sané, mènent tous deux une carrière solo en France. Le groupe «Ceddo» qui s’est mué en «Super Ceddo», reste la «propriété» de Khamdel Lô même s’il a tenté un comeback avec son «ami», Abdoulaye Seck. Malgré les difficultés du showbiz, les groupes «Les frères Guissé» et «Touré Kunda», dont les membres sont unis par le sang, ont su conserver leur unité.
Ils ont connu leur temps de gloire. Ils étaient parmi les musiciens aimés par les mélomanes sénégalais. Les groupes Missal de la Patte d’Oie, Ceddo des Hlm de Dakar, Waflash de Thiès ont un dénominateur commun. Des groupes fondés par des jeunes habitant le même quartier. Aujourd’hui, ils ont tous disparu. Les membres se sont dispersés. Chacun a pris son chemin pour mener une carrière solo. C’est le choc des ambitions, un problème de leadership, d’organisation qui entraîne cette fissure-là, analyse le journaliste culturel, Fadel Lô. Il explique : «Ce sont des trucs de quartier. Il n’y a pas de leader, il n’y a pas de chef. Ce n’est pas organisé. D’habitude, tous les trois-là se regroupaient au sein d’une famille pour répéter. Ce sont des gens qui ont grandi ensemble, personne ne va accepter que l’autre soit au-dessus de lui.» Son confrère, Lamine Bâ, rédacteur en chef de Music in Africa en charge de l’Afrique de l’Ouest francophone, corrobore en soutenant qu’en général, avec l’évolution, les aspirations des uns et des autres changent. Donc il devient de plus en plus difficile de trouver des points de convergence. Selon lui, les divergences sur la direction artistique du groupe sont l’une des raisons qui font que les groupes de ce genre peuvent se disloquer. «Il y a aussi la guerre des ego qui peut faire qu’un groupe formé par les membres d’une même famille, vole en éclats. Il peut arriver qu’avec le succès, les ego, la jalousie installent une atmosphère toxique au sein du groupe», ajoute le journaliste de Music in Africa.
Woz Kaly : «On ne peut pas éternellement être dans un même groupe»
Après la séparation, les tentatives de retrouvailles intervenues ne sont pas allées loin. Abdoulaye Seck et Khamdel Lô du groupe Ceddo, qui avaient fini d’officialiser leur «divorce» en 2007, se sont retrouvés. Ils ont même procédé à la refondation du groupe en le rebaptisant «le Super Ceddo». «On a réalisé qu’il nous fallait retravailler ensemble», chantaient-ils en cœur dans un entretien accordé en 2011 au journal L’Observateur. Les deux avaient annoncé un single et un album pour sceller de façon définitive leurs retrouvailles. Mais «le Super Ceddo n’a jamais existé formellement. Ils ont juste joué pendant 6, 7 mois, ensuite, chacun est retourné dans son coin. Ils sont restés de bons amis mais ils ne travaillent plus ensemble. Donc actuellement, c’est Khamdel et le Super Ceddo tout simplement. L’autre le rejoint de temps en temps pour faire des chœurs mais le groupe ne s’est pas réformé en tant que tel», affirme Fadel Lô. Ce dernier rappelle aussi que Khamdel a sorti un album en 2018 seul et il a invité sur deux titres Abdoulaye Bamba Seck. Au groupe Missal également, ils se sont quittés. Ils sont entre les Etats-Unis et l’Europe. Chaque membre a décidé de tracer son propre chemin. C’est ainsi que Woz Kaly s’est installé en France pour y mener carrière tout seul. Lui et ses compagnons d’hier ont certes tenté plusieurs comeback, mais la composition originelle du groupe reste dispersée. En avril 2014, dans un entretien accordé à nos confrères du journal EnQuête, le chanteur, auteur et compositeur, Woz Kaly, disait : «On va revenir. Cela est même très certain. Je suis très sûr de cela.» Sept ans après, les mélomanes attendent toujours que cela se réalise. Au cours de la même entrevue, il assurait que le groupe est toujours là. «Le Missal est un groupe dont les membres sont éparpillés. Moi, je suis dans un projet, pareil pour Samba Laobé et Omar, etc. Mais on est tous des enfants du Missal. Quand on a besoin de nous, comme on l’a fait il y a 3 ans, on revient. On s’appelle, on se retrouve en studio et on fait quelque chose. On ne peut pas éternellement être dans un même groupe. Cela nous fait rater plein de choses alors qu’il y a beaucoup à voir. L’artiste doit être libre.» Le journaliste Fadel Lô ne partage pas l’argumentaire de Woz Kaly. Il persiste et signe que «c’est le choc des ambitions. C’est un lead vocal, il veut voler de ses propres ailes et ils ont toujours l’excuse facile pour dire que ce qu’ils peuvent exprimer seuls, ils ne peuvent pas l’exprimer dans un groupe. Ce n’est pas une première, c’est arrivé à Bob Marley». L’analyse de ce professionnel de l’information ne semble pas convaincre l’artiste Cheikh Guissé, du groupe «Les frères Guissé». D’abord, il pense que les raisons sont multiples, mais c’est principalement le manque d’assainissement du secteur. Il y a également, selon lui, le manque d‘appui et de subventions et la non-application des exigences du statut des artistes. «Tout cela réuni, favorise une certaine précarité et une fragilité. Du coup ce n’est pas tous les groupes qui résistent à ces facteurs et turbulences», soutient le chanteur. Peut-être que ces raisons sont à l’origine de l’éclatement du groupe West african Flash (Waflash) né dans les années 1990 autour du lead vocal Ma Sané mais également Do Sané.
L’argent, pomme de discorde
Aujourd’hui, le groupe qui chauffait les nuits au Palais des Arts à travers un mélange afro-mbalax est en ordre dispersé. Les «baobabs» de cette formation musicale sont en Europe et aux Etats-Unis. Ma Sané est en France, le second lead vocal, Mamadou Yade, s’est installé aux Usa et y mène une carrière solo, le 3e lead vocal, Do Sané, est en Italie. Max Thiam, claviéristeguitariste, vit aux Usa. «On parle seulement de Waflash. Même Youssou Ndour et le Super étoile ont connu une mutation. Le visage que nous avons n’est pas celui du Super étoile des années 80. Les groupes changent et évoluent avec le temps. Certains ont des parcours individuels. C’est comme le Xalam. Mais ce n’est pas cela le plus important», disait-il dans un entretien avec le journal l’Observateur en 2018. Selon Fadel Lô, un autre élément qui peut expliquer ces situations dans les groupes de musique créés dans les quartiers, c’est qu’au moment de leur mise sur pied, au début des années 1990, la musique n’était pas aussi développée, elle n’était pas non plus organisée. Il ajoute que ces groupes n’ont jamais pensé devenir professionnels, parce que ce sont des étudiants qui se sont regroupés un jour ou l’autre pour faire de la musique leur passion. «D’autres raisons comme l’argent peuvent être évoquées. En effet, l’argent a le potentiel d’empoisonner toute relation, il est particulièrement préjudiciable aux groupes de musique de ce genre où tout peut être exacerbé. La motivation, la drogue ou l’alcool peuvent aussi des sources de disparition de ces groupes», note Lamine Bâ, de Music in Africa. A côté de ces groupes aujourd’hui en «éclats», il y a d’autres qui ont résisté à cette tempête qui secoue très souvent les regroupements du showbiz. Mais ils ont une particularité. «Les Touré Kunda» et «les frères Guissé» font partie de cette catégorie. En effet, ils ont été fondés par des membres liés par le sang. «On a toujours été trois depuis le départ, même s’il arrive qu’on fasse appel à des instrumentistes pour nous renforcer selon le format adéquat du type de prestation et de la demande des organisateurs», confie Cheikh Guissé, du groupe «Les frères Guissé». L’ossature de base reste la même, déclare-t-il. «Evoluer dans le même groupe musical que son frère, sa sœur ou son ami d’enfance, comporte bien des avantages. Vous vous connaissez très bien et vous pouvez naturellement vous faire confiance. Votre implication est totale et le plus souvent, régler ou éviter les conflits dans le groupe, est plus facile car vous savez comment réagit chacun dans telle ou telle situation», remarque Lamine Bâ. Cependant il explique qu’«à côté de cette synergie, cette osmose facile à trouver entre amis d’enfance, frères, sœurs, les choses peuvent devenir très compliquées à cause justement des liens très forts qui unissent le groupe. Pour les groupes qui parviennent à rester ensemble, je pense que c’est souvent parce que l’amitié, l’amour y sont véritables, plus puissants que tout». Il poursuit : «Ce sont de vraies bandes d’amis qui parviennent à trouver une vraie osmose. Dans ces groupes, on retrouve de vrais alter ego dans le processus créatif qui arrivent à préserver l’aventure artistique et l’intérêt financier commun. Seules les causes naturelles comme la mort, les forcent à changer les membres du groupe.»
L’exemple du groupe Xalam
Pourtant selon Fadel Lô, même dans ces entités familiales, il y a eu des fissures. Il dit : «Pour les frères Guissé, l’un est parti, Alioune. Pour le Touré Kunda, il ne reste que le Touré Kunda originel. Trois chanteurs sont passés. Amadou Touré, Hamidou Touré, et Ousmane, ils ont tous quitté. Il ne reste que Cheikh Tidiane et Ismaël qui l’ont formé ensemble. Ça se casse tout le temps.» D’après lui, la seule exception c’est peut-être l’exemple du Xalam qui a été une entité familiale, avec Pr Sakhir Thiam au début et les cadets qui ont pris le relais. Et depuis 50 ans, ils sont là.