«IL NE FAUT PAS AVOIR HONTE DE VENDRE NOTRE BELLE CULTURE»
Palabres avec… Papis Niang, réalisateur–producteur

Patron de « Art-Bi Manageman », Papis Niang est un réalisateur qui a réussi à se frayer un chemin dans le paysage audiovisuel et musical sénégalais. Depuis plus de vingt ans, il a réalisé des centaines de clips vidéo et a fini par se muer en agent d’artistes et porteur de projets. Vision d’un homme qui maitrise son domaine.
Vous avez publié récemment dans la presse une lettre ouverte sous forme d’hommage à El Hadji Baba Maal. Pourquoi avoir porté votre choix sur lui ?
Très sincèrement, je pense que je suis la personne la moins importante pour lui rendre hommage. D’autant plus que c’est quelqu’un qui a été primé partout à travers le monde. Que ce soit en Angleterre, aux États Unis, en Afrique et ici au Sénégal. Ce n’est pas pour rien qu’il a choisi « Baba Maal et le Dande Lenool, la voix du peuple » pour délivrer son message. Au-delà du fait d’être cette voix du peuple, il est le pont entre l’Afrique et la culture noire américaine. Les Noirs américains ont matérialisé leur envie de retourner au Sénégal à travers le fameux film, « Black Panthère » qui a permis de créer un éveil de conscience au niveau des Noirs américains. La voix de Baba Maal nous replonge dans cette grande créativité au-delà de l’aspect « science-fiction » qui englobe le film. C’est à travers la voix de Baba Maal que nous autres Africains devons croire que l’avenir du monde se trouve ici en Afrique. Au-delà de la grande dimension du personnage, je suis un acteur qui se déploie dans le secteur depuis des années….C’est toutes ces raison qui justifient le choix porté sur Baba Maal.
Vous avez eu à recevoir le prix de la fraternité en France…
C’est un grand honneur et une grande joie pour moi et tous les autres protagonistes du projet : Abdou Guitté Seck, Pape Diouf, Assane Ndiaye, Titi, Myrma, Daba Sèye, Maguette Mbaay et tous les artistes sénégalais. Il est important que nous puissions travailler en parfaite harmonie avec des artistes français et européens pour magnifier la beauté du Sénégal. Grâce à Dieu, nous avons été primés en France et c’est encourageant. Cependant, cela ne veut pas dire que nous avons fait grand-chose. C’est juste une manière de nous encourager. Nous venons juste de commencer un important travail et nous espérons qu’avec l’appui et le soutien de l’état du Sénégal, les résultats pourront aller bien au-delà de l’attribution d’un trophée à l’échelle internationale. Je pense que cela peut nous valoir de nombreuses satisfactions en termes de promotion de l’emploi, du rayonnement du Sénégal et de toutes choses qui peuvent être utiles à notre cher pays.
Par rapport à ce projet de film documentaire et de chanson « Bienvenue au Sénégal », comment justifiez-vous le choix d’Abdou Guitté et d’un autre artiste français pour la composition musicale ?
Naturellement, en parlant de « Bienvenue au Sénégal », on pense aussitôt à une invitation adressée aux étrangers. Nous voulons que tout cela parte du Sénégal. Mais la vraie cible, ce sont les étrangers. Nous voulions toucher le grand public occidental. C’est à travers un ami, un journaliste et écrivain français du nom de Frédéric Mazet, que nous avons réalisé ce projet. C‘est grâce à sa belle plume et son talent que nous avons pensé faire appel à un grand artiste sénégalais pour mettre sur orbite ce projet. Nous avons choisi Abdou Guitté qui, au vu de son expérience, connait très bien la musique sénégalaise et française avec son passage dans le groupe Wock .C’est pour cette raison que nous l’avons choisi pour diriger ce travail. Une façon de toucher un public plus grand. Un projet soutenu par son cocompositeur, Sebastien Piémontezi.
Il y a quelques années, vous nous faisiez part de votre projet de film consacré aux quarante années de la musique sénégalaise. Où en êtes- vous avec ce documentaire ?
C’est un projet d’une importance capitale qui nécessite beaucoup de travail. Il s’agit de la collecte d’informations et la collecte d’archives. Je suis motivé par le fait que je n’ai pas assisté à cette époque. Mais grâce à mon travail, j’ai pu voyager et me faire connaître. Il est important pour moi de tout faire pour effectuer des recherches sur l’évolution de cette musique sénégalaise qui m’a tout donné. Ce produit en question s’intitule: « Des origines à nos jours : le Mbalakh quarante ans après ». Nous lui consacrerons tout notre temps, mais nous ne sommes pas pressés. Parce que nous voulons qu’à sa sortie, que ce soit aujourd’hui ou dans trois ans, que le film soit utile aux Sénégalais. Je pense surtout à la nouvelle génération. Je pense qu‘il est utile que ces jeunes soient informés de l’évolution de cette musique qui leur fait vivre des moments épiques. Que ce travail puisse servir de bréviaire au grand public sénégalais mais aussi à la presse culturelle. Nous continuons le travail en attendant l’appui de l’État. Car il y a des projets qui font partie du patrimoine du Sénégal. Et faire un film qui relate les origines de la musique sénégalaise, constitue une immersion dans notre patrimoine. Ce projet ne doit pas être attribué à notre modeste personne. Mais c’est un bien commun à l’Etat du Sénégal et aux services culturels du Sénégal.
Pionnier dans la réalisation de clips mais aussi de téléfilms. Comment voyez-vous l’évolution de ce secteur ?
C’est un secteur très pointu et le résultat de votre travail dépend du niveau des outils de travail qui sont à votre disposition. C’est vrai qu’il est plus facile aujourd’hui de produire une vidéo. Avec l’ère du numérique, les drones et tous les autres accessoires, le travail se trouve grandement facilité. Cependant, il faut juste rappeler à nos jeunes frères et sœurs que nous sommes à l’ère de la guerre des cultures. Il ne faut pas avoir peur de montrer nos spécificités culturelles. Que ce soit à travers la danse, les tenues ou toutes les spécificités sénégalaises. Il ne suffit plus de singer le Nigérian l’américain ou le Français. Il ne faut pas avoir honte de vendre notre belle culture. Effectivement, nous sommes pionniers dans le domaine des séries. Nous proposions des séries en parfaite rupture avec ce qui se faisait. Je peux citer « Bégué Time ». Dix ans après, je vois que cela suscite des polémiques. Nous le faisions en étant jeune et on voulait innover. Nous n’avons jamais voulu surfer sur le « buzz » ou choquer. Nous voulions prouver à la face du monde et sortir de l’aspect théâtral et comique pour nous hisser au niveau des autres et faire du cinéma. Pour nous, le cinéma doit anticiper sur le temps. Les créateurs doivent tout faire pour préparer le Sénégalais de l’an 2040. Le langage ne consiste pas à raconter ce qui se passe dans la maison. Ce n’est plus un film, mais de la téléréalité. Il faut insister sur l’aspect artistique qui fait partie de notre identité.
Comment voyez-vous l’intrusion de plus en plus grande de Jamra et CNRA ou plus exactement de la censure ?
La censure est un couteau à double tranchant. Il n’est pas question de permettre à n’importe qui de diffuser n’importe quoi. Il faut veiller sur ce que nous publions. De ce côté, la censure peut être utile. Sur un autre registre, il ne faut pas brimer la création. Il faut juste mettre des barrières. Mais je demande à Jamra d’éviter de prôner la censure catégorique car cela tue la création.
Vous avez été aux côtés de Mbathio Ndiaye au cours des moments sombres de sa carrière. Avec le recul, comment avez-vous réussi à la sortir de cette crise ?
Notre vision de l’art consiste tout simplement à procurer du bonheur et de la joie à nos semblables. Nous voulons aussi donner du courage aux artistes avec lesquels on collabore. Il se trouve que pour Mbathio, nous n’avons pas dévié de notre idéal. Nous avons été à ses côtés. Nous l’avons assistée et nous n’avons ménagé aucun effort pour la sortir de cette mauvaise passe. C’est vrai que c’est très difficile parce qu’après tout, elle est fille de musulmans et issue d’une bonne famille. Cette terrible chose lui est arrivée à cette période charnière de sa carrière naissante. Et forcément, cela l’avait affectée et affaiblie. Grâce à Dieu, nous avons pu la soutenir et la sortir de cette impasse. Il fallait apprendre de ces erreurs pour pouvoir se relancer. Elle a pu se perfectionner, faire profil bas et se concentrer sur son travail.
Vous qui avez côtoyé depuis plus de 20 ans tous les musiciens sénégalais ; l’ancienne et la nouvelle génération. Comment jugez- vous l’évolution du secteur ?
J’ai côtoyé un peu la première, la seconde et la troisième génération. Il est évident qu’entre les pionniers et les jeunes, il ne peut pas y avoir de comparaison. Nos grands artistes comme Youssou Ndour, Baba Maal, Ismaël Lo et tous les autres méritent respect et considération. La seconde génération avec les Nder et Fallou Dieng, elle a péché au niveau du business. Elle avait beaucoup d’opportunités car les Youssou et autres avaient déjà balisé la voie. Pour la nouvelle génération, il est très tôt pour la juger car elle n’a pas encore réussi à aller au-delà de la conquête des membres de nos communautés. Pape Diouf et Wally doivent arriver à internationaliser notre musique. Ils ne peuvent pas y arriver sans le soutien de la presse culturelle. Il nous faut des gardefous qui portent ce combat en imposant notre musique le Mbalakh. C’est le défi à relever par cette nouvelle génération
Qu’est ce qui manque au Mbalakh pour s’imposer au plan international ?
Je ne peux dire qu’il manque quelque chose au Mbalakh. Je n’ai pas grand-chose à dire sur les artistes car ils ont assez de mérite. Je pense que la balle est dans le camp de la presse qui doit porter ce combat. Les choses ont évolué, on est passé rapidement de l’analogique au numérique. Il faut que nous nous donnions les moyens de nos ambitions pour bien vendre notre musique. Il faut avoir le courage d’ajouter ce qu’il faut et oser affronter le monde. Je fais partie de cette génération et je suis d’avis que le Mbalakh doit être proposé avec beaucoup d’idées et de courage. C’est une musique de rythmes et nous avons des arguments pour la vendre partout. C’est un combat commun à mener par tous les acteurs du milieu et pas seulement par les artistes. La presse culturelle a un rôle central à jouer dans ce vaste chantier.