AWA LY FALL, AMBASSADRICE DE LA MÉDECINE CHINOISE AU SÉNÉGAL
Formée à Nankin, la jeune médecin sénégalaise est une vitrine du « soft power » chinois sans pour autant bénéficier d’un réel soutien officiel
Elle fait glisser ses doigts sur les sachets de plantes médicinales alignés sur des étagères de bois sombre. Foulard serré autour de la tête, Awa Ly Fall soigne sa pharmacopée chinoise dans la pénombre de son cabinet, situé dans une ruelle sablonneuse du village de Ngor, banlieue de Dakar où champignonnent les nouvelles constructions. Les étiquettes calligraphiées signalent le « Dang gui shao yao san », un cocktail de plantes utilisé dans des traitements gynécologiques, le « Yu ping feng san » apaisant les allergies respiratoires, le « Gui pi wan » tonifiant la rate, ou le « Ban xia hou po » prescrit contre les dépressions. « Je suis l’ambassadrice de la médecine traditionnelle au Sénégal », sourit Awa Ly Fall, rencontrée début décembre. Et au-delà même : sa réputation a atteint Abidjan, en Côte d’Ivoire, où on l’a récemment invitée.
La thérapeute sénégalaise, trentenaire au verbe posé, illustre à sa manière l’essor de l’influence chinoise sur le continent africain. Au-delà des mégaprojets d’infrastructures, Pékin veut aussi rayonner par sa culture, ce fameux soft power que les grandes puissances actionnent au service de leurs intérêts stratégiques. Il n’est pas anodin que le cabinet de Mme Ly Fall ait été hébergé, dans un premier temps, au sein de l’Institut Confucius de Dakar, le centre culturel chinois ouvert dans le but de généraliser l’enseignement du mandarin et de diffuser au passage la vision pékinoise du monde.
Awa Ly Fall, parfaitement sinophone, est le pur produit des filières de formation visant à créer une élite africaine sinophile. Boursière du gouvernement chinois, elle a étudié neuf ans (2007-2016) à Pékin et à Nankin la médecine moderne puis traditionnelle. Son cabinet ouvert à Dakar en 2020 a connu un tel succès que certains de ses patients – elle en compte dix par jour – ont même rallié les classes de l’Institut Confucius pour s’initier à la civilisation chinoise. « Je propage la culture chinoise dans la population », s’enorgueillit la praticienne.
« Je ne suis pas sino-béate »
Awa Ly Fall voit arriver dans son cabinet ceux qui ont épuisé tous les recours, consulté en vain des médecins « modernes » pour des sciatiques, des lombalgies, de l’arthrose, des insomnies, de la dépression, des difficultés gynécologiques. Elle leur propose des soins à base d’acuponcture, de moxibustion (application de chaleur sur des zones de la peau), de ventouses et, bien sûr, de plantes médicales. Et la symbiose opère parfaitement, à l’en croire. La médecine traditionnelle chinoise, selon elle, présente d’évidentes similitudes avec les vieilles thérapies africaines, notamment dans son approche holistique intégrant le corps et l’esprit.
« Quand j’ai commencé à étudier la médecine traditionnelle chinoise, explique-t-elle, cela m’a rappelé les méthodes de ma grand-mère comme la réflexologie plantaire ou les ventouses. » Elle aime citer l’exemple de l’expression en wolof « nguelaw moma dougg » qui désigne les symptômes cumulés du rhume, de la fièvre, des courbatures et des lourdeurs de la tête. Or cette expression signifie littéralement « attraper le vent », ce même vent que la médecine traditionnelle chinoise intègre dans ses « liu qi » (six énergies climatiques). Awa Ly Fall ne s’est pas sentie dépaysée lors de ses cours à Nankin.