CRIMINALISATION DE L’HOMOSEXUALITE AU SENEGAL, DES REPRESAILLES À RECONSIDERER
Le projet d’un passage de faits délictuels à la criminalisation de l’homosexualité suit son bonhomme de chemin et devrait être présenté aux députés dans l’optique de la tenue d’une séance plénière
Le projet d’un passage de faits délictuels à la criminalisation de l’homosexualité suit son bonhomme de chemin et devrait être présenté aux députés dans l’optique de la tenue d’une séance plénière. Malgré les inquiétudes sur les conséquences qu’une telle décision pourrait induire au plan international, le Sénégal a des arguments pour faire face à la menace de sanctions extérieures.
Face à la presse, ce 11 décembre 2021, l'association And Samm Jikko Yi rendait compte d’un travail entamé depuis bientôt un an : une pétition contre la promotion de l’homosexualité au Sénégal et sa criminalisation. Le collectif, avec l’accord de plus d’une centaine d’organisations de divers secteurs, s’est dit prêt à passer à la vitesse supérieure. "Nous avons mandat de toutes les couches de la société pour présenter à l'Assemblée nationale la proposition de loi criminalisant l'agenda LGBT+. Les khalifes généraux, les syndicats d'enseignants, les associations de la jeunesse sportive et culturelle... ont signé la pétition. Même les professeurs de droit et des juristes ont adhéré à la pétition, tout comme des députés", assurait son coordinateur.
Pour défendre le projet de loi à l’hémicycle, les députés comme Mamadou Lamine Diallo, Moustapha Guirassy, Cheikh Bamba Dièye et Alioune Souané se sont portés volontaires. De même, ajoutait Serigne Babacar Mboup, ‘’tous les groupes parlementaires sont informés de l'initiative. Le vote de cette loi est devenu une obligation patriotique pour la stabilité du pays et conserver le legs". Le texte sera prochainement déposé sur la table des députés qui décideront de la suite à lui réserver.
Désigné comme un des pays vitrines de la démocratie et des Droits de l’homme en Afrique, le Sénégal s’expose tout de même à une stigmatisation par ses partenaires économiques, politiques et culturels dans l’hypothèse de l’adoption d’une loi criminalisant l’homosexualité. Mais dans les faits, à quoi cela pourrait ressembler ?
Des accords internationaux au-dessus des lois nationales
Dans une correspondance en date du 2 mai 1963, le chef de l’Etat du Sénégal (le président Léopold Sédar Senghor) a affirmé au secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU), en vertu du principe de la succession d’Etats, que le Sénégal se reconnaît lié par tous les accords, conventions et protocoles antérieurs à son indépendance et relatifs à la promotion et à la protection des Droits de l’homme. Après son accession à la souveraineté internationale, le pays a contribué à la codification des normes du Droit international relatif aux Droits de l’homme, en participant activement, notamment, à l’élaboration de la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples, (…) ainsi que de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
Par ces faits historiques, le Sénégal s’est rapidement conformé à la juridiction internationale sur les Droits de l’homme, faisant même que, grâce à l’article 98 de la Constitution dispose : ‘’Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois’’ nationales.
Avec le temps, le concept de ‘’Droits de l’homme’’ a beaucoup évolué, intégrant de plus en plus la lutte pour le respect des droits des personnes LGBT+. De sorte qu’aujourd’hui, ces principes ‘’universalisés’’ par les Occidentaux exposent le pays à des ‘’représailles’’, en votant une loi pour la criminalisation de l’homosexualité.
Toutefois, le Sénégal n’est pas le premier pays à s’élever contre l’ordre établi par les organismes internationaux. Et selon le poids et l’intérêt qu’ils représentent, ceux qui ont tenté s’en sont sortis avec des fortunes diverses. En Ouganda, le président Yoweri Museveni a promulgué, en 2014, une loi controversée qui durcit la répression de l'homosexualité. Ensuite, le Parlement a voté l’interdiction de toute promotion de l'homosexualité, criminalisé le soutien aux homosexuels et rendu obligatoire la dénonciation de quiconque s'affiche homosexuel. Cette adoption leur a valu des sanctions prises par le département d'État américain, interdisant l'entrée aux États-Unis de ‘’certains responsables ougandais impliqués dans de graves violations des Droits de l'homme, notamment contre des personnes (LGBT). Les mesures punitives ont également visé la suspension du financement de programmes destinés aux autorités de Kampala.
L’Ouganda sanctionné pour sa politique anti-LGBT
Une ligne de conduite dans laquelle s'inscrit le nouveau président américain Joe Biden. Le démocrate a relancé une initiative prise en 2011 par Barack Obama, pour ‘’promouvoir les droits humains des personnes lesbiennes, gay, bisexuelles, transgenres, queer et intersexes (LGBTQI+) à travers le monde’’. Dans son premier discours de politique étrangère, le président Biden a demandé aux agences américaines présentes à l’étranger de présenter, dans les 180 jours, un plan d’action pour en faire un axe fort de leurs interventions. Il a demandé à son gouvernement de combattre les lois discriminatoires à l’étranger. Cette politique extérieure sera doublée d’une hausse du nombre de réfugiés persécutés pour leur orientation sexuelle et accueillis par les États-Unis.
Le Sénégal a, plus que jamais, une place importante dans la stratégie américaine en Afrique. En illustre la visite, il y a un mois, du secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken à Dakar. Le pays est souvent choisi par les officiels américains lorsqu’ils effectuent des tournées en Afrique. Les investissements américains au ‘’pays de la Téranga’’ sont en augmentation ces dernières années, et 50 entreprises américaines opèrent dans divers secteurs, notamment les infrastructures, les technologies de l’information et des communications, l’énergie, les transports, l’hôtellerie et les services financiers. Lors de son passage, le secrétaire d’Etat a signé des accords d’un milliard de dollars avec des compagnies américaines, incluant un contrat de technologie pour des services publics de sécurité et un projet pour améliorer le trafic avec de meilleures routes.
A cela s'ajoutent les contrats sur le MCA dont le Sénégal a bénéficié d’un second don destiné à l’amélioration de la production d’énergie, l’apport de l’USAID, etc. L’adoption d’une loi contre les valeurs importantes aux yeux de l’administration Biden pourrait-elle remettre en question tous ces acquis ?
Le Sénégal, une vitrine démocratique à préserver ?
Il n’est certes pas sûr que la première puissance mondiale renonce à un pion essentiel pour ses projets pour le continent africain pour une loi, fut-elle contre les Droits de l’homme. Dans un Sahel en proie aux djihadistes, le Sénégal a depuis de nombreuses années été un des pays africains les plus stables, avec des transitions au pouvoir réussies. D’ailleurs, soutenait de manière très diplomatique Anthony Blinken, avec quelques sous-entendus, ‘’le Sénégal a longtemps servi de modèle démocratique en Afrique. Comme toutes les démocraties, les États-Unis compris, le Sénégal ne peut pas considérer comme (définitivement) acquises les normes et les institutions démocratiques’’.
Un autre pays africain, au poids bien différent du Sénégal, a aussi décidé, en 2014, de corser ses réprimandes contre les personnes homosexuelles. En pleine campagne de promotion du mariage gay en Occident, le président du Nigeria, Goodluck Jonathan, a validé une loi qui prévoit une peine de 14 ans d'emprisonnement pour quiconque conclut une union homosexuelle et 10 ans de prison pour ceux qui officient, servent de témoins ou aident à un mariage ou union civile homosexuelle. Malgré les condamnations de l’ONU contre une ‘’une violation grave de plusieurs droits humains fondamentaux’’, très peu de sanctions ont été prononcées contre la première puissance économique d’Afrique.
Tout comme le Sénégal, le Nigeria est un point de passage privilégié par les officiels américains, lorsqu’ils débarquent sur le continent.
Qu’en serait-il du premier partenaire du Sénégal ? La France se définit comme le pays par excellence des Droits de l’homme. D’ailleurs, son secrétaire d'État français aux Affaires européennes a demandé, en octobre dernier, l’application de sanctions contre la Hongrie qui a adopté, en juin 2021, une loi accusée de discriminer les personnes LGBTI. Le texte incriminé dispose, entre autres, que ‘’la pornographie et les contenus qui représentent la sexualité ou promeuvent la déviation de l'identité de genre, le changement de sexe et l'homosexualité ne doivent pas être accessibles aux moins de 18 ans’’. Si le Premier ministre souverainiste hongrois Viktor Orban n'y voit qu'un instrument de protection des enfants, la loi suscite l’indignation de ses voisins.
L’agenda du Soft Power
Si des organisations françaises de défense des droits de personnes LGBT demandent régulièrement des sanctions contre des personnalités sénégalaises condamnant ouvertement l’homosexualité (dont des khalifes généraux), les rapports bilatéraux entre la France et le Sénégal ne plaideront certainement pas pour des solutions extrêmes. D’ailleurs, la politique des sanctions n’est que moyennement préconisée par plusieurs ONG de défense des droits des homosexuels dans les pays où cette orientation est réprimée.
Depuis 2011, un rapport du haut-commissaire des Nations Unies aux Droits de l’homme dénommé ‘’Lois et pratiques discriminatoires et actes de violence dont sont victimes des personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre’’, recommande des mesures discrètes pour promouvoir les droits des LGBT+ dans le monde. Ces derniers concernent ‘’la mise en place de programmes de formation destinés à sensibiliser les responsables du maintien de l’ordre aux violences ciblant les personnes homosexuelles, bisexuelles ou transgenres et leur apprendre à reconnaître ces violences, enregistrer les signalements et prendre les mesures appropriées’’. Mais aussi des campagnes d’information publiques qui visent à lutter contre les préjugés sociétaux, ou encore ‘’l’organisation de programmes de formation des enseignants, la création d’espaces sûrs dans les établissements scolaires pour les jeunes homosexuels, bisexuels ou transgenres et le lancement de campagnes de sensibilisation’’.