LA DÉROUTE DES AMBIGUÏTÉS
Les états-majors et les observateurs sont en train d’analyser la déroute de la coalition Benno Bokk Yaakaar dans ces locales que plusieurs considéraient comme «imperdables» pour le camp présidentiel
Les états-majors et les observateurs sont en train d’analyser la déroute de la coalition Benno Bokk Yaakaar dans ces Locales que plusieurs considéraient comme «imperdables» pour le camp présidentiel.
Parmi les raisons que l’on entend souvent évoquer, il y a les divisions internes, les rivalités et la multiplicité des listes se réclamant toutes plus ou moins de la personne de Macky Sall. On n’a toutefois pas encore entendu remettre en cause la personne et la politique du chef lui-même. Il y aurait de quoi pourtant.
Nul dans son entourage n’aura eu le courage de dire à Macky Sall qu’au-delà de bien d’éléments, c’est son ambiguïté qui a enfermé son camp dans la situation qu’il connaît aujourd’hui. Cette ambigüité a pour lui été un mode de gouvernance, pendant des années. Nombre de ses proches n’ont vraiment jamais su comment décrypter les signes que lance le chef. Cela a conduit à l’éclosion des listes des frustrés, dans quasiment chaque commune ou département. Même des pontes du régime se permettaient de contester les choix du chef dans certaines localités. Car chacun pensait être le véritable «choix du cœur de Macky».
On peut sans craindre d’être démenti, avancer que si Mame Mbaye Niang a «tutoyé» les leaders de Bby à Dakar, c’est qu’il était sûr de ne pas se faire rabrouer par son mentor. La même chose est valable pour Mame Boye Diao à Kolda, Mamour Diallo et Aminata Mbengue Ndiaye à Louga, et de bien d’autres, même dans des localités sans grands enjeux. Mais cette ambigüité a aussi servi d’argument politique à l’opposition. Des personnes ont perdu leur poste pour avoir évoqué l’impossibilité pour Macky Sall de briguer un troisième mandat.
Le sujet est même devenu tabou dans le camp présidentiel, au point que, toute personne se sachant en disgrâce, se précipitait de l’évoquer, afin de pouvoir avancer qu’elle devait son limogeage à sa position. Dans le même temps, des gens du pouvoir, qui semblaient inciter le Président à tenter sa chance pour un «jamais deux sans trois», se voyaient entourés d’une sorte de protection. Il était dès lors facile aux opposants d’avancer que Macky voulait voir dans les résultats de ces Locales, comme des Législatives à venir, une justification pour se lancer en 2024. Et les fuites des confidences de son directeur de Cabinet, Mahmout Saleh, avant les Locales, n’ont fait que conforter cet argument. Hormis cette ambigüité politique, il y a surtout la gestion de certains dossiers judiciaires.
Le Président a parfois des déclarations malheureuses, qui l’enfoncent lui-même. Quand il a déclaré, parlant de Sindiély Wade et d’autres, qu’il gardait sous le coude certains dossiers judiciaires, quand des années plus tard, il a ajouté que pour «des raisons de sécurité nationale, on ne pouvait laisser mettre certaines personnes en prison».
Les partisans de Ousmane Sonko se sont empressés de rappeler ces propos, pour justifier que leur leader ne devait pas répondre à un juge. Au prix de voir de nombreux jeunes en mourir. Dans le même registre, comment l’opinion pouvait-elle comprendre, et surtout accepter, de voir qu’un député convaincu de faux-monnayage puisse se promener libre, au moment où des citoyens, connus pour leurs positions hostiles au pouvoir, croupissaient en prison pour trafic de visas ? Cela faisait penser à «Coumba am ndeye…».
En plus, l’étalage de l’argent au cours de cette campagne, par les gens du pouvoir, donnait une impression d’arrogance. Qui ne pouvait que choquer des personnes dont beaucoup vivent avec moins de 1000 francs Cfa par jour. Il était évident qu’à un moment ou à un autre, il allait falloir sortir de l’ambigüité. Le Président le voyait sans doute le plus tard possible, et a voulu le retarder autant que faire se peut. La suppression du poste de Premier ministre comme son rétablissement, visaient sans doute cela. Mais à un moment, surtout avec les résultats de ce scrutin électoral, le premier qu’il perd aussi lourdement depuis son arrivée au pouvoir, le Roi se retrouve nu.