MON ANALYSE SUR LA GUERRE EN UKRAINE
Devant l’impuissance de la « communauté internationale » à employer la force quand elle l’aurait dû selon ses propres critères, devant le « deux poids deux mesures » des jugements moraux portés sur l’action de la Russie, Poutine avait le champ libre
Document écrit le 25 février 2022 par le Général Lalanne-Berdouticq au lendemain de l’invasion russe de l’Ukraine.
Alexandre Lalanne-Berdouticq est colonel de l’armée de terre. Saint-Cyrien, il a servi dans l’infanterie de montagne, aéromobile et la légion étrangère, dont il a commandé le régiment stationné en Guyane française. Breveté de l’École supérieure de guerre, il a également servi en états-majors. En écoles il a commandé une promotion de saint-cyriens et été instructeur au Collège interarmées de défense. En opération il a particulièrement servi dans les Balkans et au sud-Liban, dont il est rentré à l’été 2007 après un séjour d’un an à la finul2. Marié et père de quatre enfants, il a écrit de nombreux articles traitant surtout de géopolitique.
Chers amis,
Quelques-uns parmi vous m’ont demandé de leur faire part de mes premières estimations concernant la guerre qui vient d’être déclenchée en Ukraine par l’offensive de l’armée russe le 24 février à 4 heures du matin.
Je les remercie de m’avoir conservé leur confiance car je faisais partie de ceux qui, nombreux, ne croyaient pas à une offensive massive sur l’Ukraine tant ses aléas sont grands vus sur le long terme.
Nous verrons rapidement les causes lointaines, les causes proches et ce qu’il me semble important des causes immédiates de cette offensive aux développements et aux imprévisibles conséquences.
Les causes lointaines
Nul ne peut contester que l’Ukraine et la Russie, si elles ne sont pas strictement le même pays, sont indissolublement liées par l’histoire. La Russie fut créée à Kiev au IXe siècle après les invasions mongoles et l’on parla d’abord de « Russie kiévienne », des siècles avant de parler de « Russie moscovite ». Un Ukrainien est chez lui en Russie, comme un Russe l’inverse. C’est un fait et Poutine, comme tout Russe pénétré de patriotisme en est convaincu, avec raison.
L’Ukraine fut indépendante au sens juridique du terme pendant très peu de temps de sa longue histoire et je me rappelle ce général ukrainien nous faisant à Kiev un exposé sur ses forces armées, alors que je participais à un voyage militaire en 1994. Il nous dit : « Depuis 1991 c’est la troisième fois que l’Ukraine est indépendante. Je ne sais combien de temps elle le restera ; nous verrons ». De fait elle le fut entre 1918 et 1921 suite à une décision de Lénine, une autre fois, nommément, dans les années 1941-43 après l’attaque allemande, et enfin depuis 1991 après la chute de l’URSS. Il se peut donc que cette troisième indépendance ait pris fin le 24 février 2022.
Toujours est-il que, vu de Moscou, Kiev n’est pas une capitale nationale mais la capitale de la première Russie et celle d’une sorte d’Etat-province intrinsèquement lié à la Russie.
Dernière des causes lointaines de cette guerre : l’effondrement de l’URSS en 1991 conséquence de la chute du Rideau de fer en novembre 1989.
1991 fut vécu par tous les patriotes soviétiques qui pour beaucoup n’étaient en fait que des patriotes russes, comme la plus grande catastrophe du siècle. La « Deuxième puissance du monde », militairement et diplomatiquement parlant, était rayée de la carte et ne comptait plus sur l’échiquier mondial. Cet immense ensemble eurasiatique (qui, ne l’oublions jamais, s’étend sur ONZE fuseaux horaires, de Kaliningrad sur la Baltique au détroit de Behring) allait s’enfoncer dans une crise dont nous n’avons pas mesuré l’insondable profondeur et la dramatique intensité pour les populations russes et associées.
L’Occident de son côté se réjouissait avec raison. En effet, comment ne pas avoir été euphorique, en voyant enfin « l’Europe respirer de ses deux poumons » (selon Jean-Paul II), libérée de l’occupation ou de la tutelle soviétique et renouer avec l’Ouest qui avait quant à lui préservé sa liberté. Polonais, Hongrois, tchèques et Slovaques, Roumains et Bulgares rejoignirent ensuite plus ou moins rapidement l’Union européenne.
Cependant les vainqueurs, tout enivrés de leur succès qui était plus dû à l’effondrement de leur adversaire qu’à leurs propres efforts, se montrèrent incapables de dominer leur sentiment de victoire et humilièrent leur ancien ennemi, Moscou.
Tragique erreur.
Les causes proches
Sans entrer dans le détail car nous manquons de temps, il convient de se souvenir des conditions de la réorganisation de la nouvelle Europe. Me trouvant à l’Ecole de guerre à cheval sur la « Chute du mur » (89) et les débuts de cette période, j’en ai un souvenir précis.
La terreur des alliés de l’OTAN vainqueur était alors le devenir des moyens de la puissance nucléaire russe déliquescente. Que deviendraient les centaines de missiles sol-sol russes stationnés au Kazakhstan et en Ukraine ? Que deviendraient les centaines de missiles mer-sol des Flottes du Nord et du Pacifique si le pouvoir moscovite s’effondrait complètement ? Il s’agissait de plus de trois mille têtes nucléaires, dont des centaines mégatonniques (puissance de la bombe d’Hiroshima : 20 000 tonnes d’équivalent TNT. Les Russes possédaient en 1991 certaines têtes d’une puissance de 20 MILLIONS de tonnes d’équivalent TNT). Or, si les missiles et leurs têtes étaient stationnés pour certains hors de la nouvelle Confédération des Etats Indépendants, le système de déclenchement et de contrôle des frappes résidait heureusement à Moscou.
C’est donc bien avec Moscou qu’il fallait traiter avant que tout s’effondre (Il se révéla que jamais le contrôle des missiles n’échappa au pouvoir central et qu’aucune tête ne tomba entre des mains indésirables, par exemple des trafiquants internationaux voulant monnayer sa matière fissile. Toute mise en œuvre de ces têtes étant techniquement impossible, la matière fissile aurait pu être utilisée pour confectionner un « bombe sale » irradiant une région après dispersion de cette matière hautement radioactive).
Il fut donc convenu avec Gorbatchev, mais sans qu’un traité en bonne et due forme soit signé, que s’il acceptait de rapatrier ses têtes nucléaires et de démanteler sur place les missiles stationnés à l’extérieur, les Alliés n’étendraient pas ensuite l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie ou de son « Etranger proche », autrement dit de son « glacis vital » tel que conçu par Moscou. Ce glacis vital comprend : les pays baltes, la Biélorussie, l’Ukraine et la Transcaucasie dont entre autres la Géorgie. Il fut de plus convenu que les Occidentaux gratifieraient la Russie d’une sorte de Plan Marshall pour l’aider à se reconstruire.
Or, profitant de l’état de faiblesse extrême de la Russie, les Alliés ne tinrent pas parole et, non contents de leur victoire, ils allèrent jusqu’à humilier gravement leur ancien adversaire et en quelques années tous ces pays sauf l’Ukraine et la Géorgie rejoignirent l’alliance.
Gorbatchev passa la main à Boris Eltsine qui assista à la dissolution de la puissance soviétique redevenue russe. Les industries passèrent entre les mains de bandits sans scrupules, la population creva de faim, l’Armée rouge n’était plus que l’ombre d’elle-même après avoir évacué en bon ordre et sans incidents la totalité de l’Europe orientale anciennement occupée. De retour en Russie, les divisions qui avaient échappé à la dissolution campaient parfois en pleine nature, sans casernement, et devaient nourrir leurs hommes grâce aux potagers et autres culture vivrières organisées par les soldats. Les officiers, seigneurs de l’ancien régime, devaient subsister en vendant leur matériel et parfois leur équipement personnel (J’ai souvenir, lors de ce même voyage en Ukraine de 1994, des officiers et soldats de la Garde venant juste de terminer devant nous une belle démonstration d’ordre serré, puis proposant de nous vendre leurs bottes, leurs ceinturons et autres casquettes de parade. Dramatique !).
La grande Russie était à terre et les Américains ainsi que leurs alliés la frappaient du pied. Aucune aide financière ou économique ne fut organisée. L’ambassadeur américain à Moscou faisait passer des notes comminatoires au Ministère russe des Affaires étrangères plusieurs fois par semaine afin que la politique du Kremlin soit favorable aux intérêts de Washington (Témoignage d’un diplomate russe devenu ambassadeur ultérieurement).
En 2000 Vladimir Vladimirovitch Poutine, ancien officier supérieur du KGB arriva au sommet du pouvoir et succéda donc à Eltsine, après que ce dernier eut courageusement résisté à une tentative de coup de force d’une partie de la garnison de Moscou, excédée par la faiblesse de l’Etat et sa corruption.
Les anciens membres des « Organes de force » de l’ex URSS prirent donc en mains les destinées du pays. Ils étaient, c’est un fait, les seuls à posséder la discipline, la volonté et le patriotisme nécessaires pour mettre un terme à cette chute vers le néant. De plus ils étaient les seuls à connaître la vérité sur la situation de leur pays et celle de l’étranger, vérité inconnue du grand public du temps de l’URSS.
S’en suivit une remise en ordre, lente mais méthodique, menée sans pitié pour certains « oligarques » qui s’étaient trop visiblement enrichis au détriment du bien public. D’autres furent épargnés et retournés, rendus raisonnables à la vue du sort réservé à ceux qui se croyaient suffisamment puissants pour résister aux nouvelles autorités. La prison, le « camp à régime sévère » du côté d’Arkhangelsk, voire la mort « accidentelle » étaient alors le lot des récalcitrants.
Hébétée de souffrances et de privations, la population russe, consultée à plusieurs reprises lors d’élections qui n’avaient pas besoin d’être truquées pour se montrer favorables au pouvoir, se rallia dans ses grandes masses à Poutine et Medvedev, son Premier ministre.
Cependant, non contents d’avoir terrassé le géant, les Alliés mais surtout les Américains, non seulement favorisèrent l’entrée dans l’OTAN des anciens membres extérieurs du Pacte de Varsovie mais s’engagèrent dans le démantèlement de la Yougoslavie. Le pire fut commis en 1999 lors de la campagne du Kosovo sur laquelle nous reviendrons car elle est la matrice de la contrattaque russe.
Mieux, les Alliés imaginèrent de changer le régime politique de certains des pays du « glacis vital » russe au nom du « devoir d’ingérence » pour étendre leur propre vision de la démocratie. C’est ainsi que furent favorisées, voire organisées, par les services spéciaux américains et britanniques, les « révolutions de couleur » qui virent arriver au pouvoir, à Kiev mais aussi ailleurs, des hommes favorables à Washington et plutôt hostiles à Moscou. Ainsi, un pouvoir très favorable à l’ouest fut-il élu à la tête de ce pays en 2013 après les « événements de la Place du Maïdan » après la « Révolution orange ».
Pour Moscou, les choses ne pouvaient pas durer longtemps ainsi sans réaction.
Les causes immédiates
Il se trouve que, saisis du complexe commun aux grandes puissances s’aveuglant elles-mêmes, les Etats-Unis et leurs alliés ne tinrent pas compte de plusieurs avertissements pourtant clairs et qu’avaient bien distingués de nombreux observateurs, dont l’auteur de ces lignes.
En 2007 le président Poutine avertit le monde en disant au cours d’un discours solennel que la Russie avait terminé de reculer et qu’il faudrait de nouveau compter avec elle.
Malgré des finances encore précaires mais s’appuyant sur ses grandes ressources en gaz, pétrole (la Russie est le troisième producteur mondial depuis la destruction de l’Irak par les Américains) et métaux rares, la Russie, qui avait remis en ordre ses forces armées, commença de mettre en œuvre un ambitieux effort de réarmement. Une nouvelle classe de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) fut, par exemple, mise en chantier. De même des avions de combat de cinquième génération furent-ils mis au point puis construits tandis que les forces terrestres recevaient des matériels de haute qualité, pour certains parfaitement innovants. C’est le cas du système de défense antiaérien S 400, actuellement sans équivalent dans le monde.
Parallèlement, et forts de leur victoire supposée, les alliés, dont la France, baissèrent la garde et désarmèrent (en application de l’irresponsable incitation de M. Fabius à « engranger maintenant les dividendes de la paix », l’armée française se trouva réduite de 350 000 hommes à moins de 120 000, c’est-à-dire la moitié des effectifs dont disposait le roi Louis XV trois siècles auparavant et alors que le pays était passé de 22 millions d’habitants à 65), tout en réduisant drastiquement les budgets consacrés à la recherche et au développement (R&D) d’armements nouveaux. Les Américains, qui avaient « besoin d’ennemis pour faire survivre l’OTAN », s’étaient lancés dans leurs « Guerres folles ». Des Balkans (1995 puis 1999) à l’Afghanistan (2001) ou l’Irak (2003) et malgré les 750 milliards de dollars consacrés chaque année à leurs moyens militaires, ils s’engluèrent sur ces théâtres d’opération où aucune victoire n’était possible.
Ces « guerres folles » leur coûtèrent 6000 milliards de dollars sans parler des pertes humaines chez eux et surtout chez leurs adversaires, chez lesquels ils semèrent une haine inextinguible. Dans le même temps toujours, ils abandonnèrent de facto l’Europe, n’y laissant que 30 000 hommes sur les 220 000 qu’ils y maintenaient en 1991. Leur souci les portait vers l’océan Pacifique et les ambitions chinoises.
La « jurisprudence Kosovo » (d’après le titre d’un article signé par l’auteur de ces lignes)
C’est là qu’il faut revenir sur l’affaire du Kosovo. Je me rappellerai jusqu’à la fin de mes jours cet entretien avec un colonel serbe de Bosnie en avril 1999, tandis que les avions de la coalition otanienne bombardaient la Serbie et le Kosovo, sans mandat de l’ONU, sans que la Serbie ait attaqué l’un des membres de l’alliance et au motif fallacieux d’un génocide inexistant (pendant 78 jours, avec parfois 800 sorties quotidiennes, avant une invasion terrestre forte de 46 000 hommes. Le dirigeant serbe Milosevic fut ensuite arrêté puis traduit devant une cour de justice internationale qui le condamna à la prison à vie. Il mourut en prison).
J’assumais alors des responsabilités importantes en Bosnie. Ulcéré par ce qui se passait dans son propre pays cet officier avec lequel j’entretenais des relations courtoises malgré nos positions respectives, me dit d’un air où pointait la commisération : « Vous n’avez aucune idée, j’insiste, aucune idée de la manière dont nous, les orthodoxes, allons vous faire payer cette guerre du Kosovo ! Un jour vous allez la payer au centuple ».
Démontrons combien il avait raison.
En août 2008, s’appuyant sur le fait qu’en Géorgie les Ossètes du sud et les Abkhazes, majoritairement russophones, demandaient leur rattachement à la Russie, l’armée de Poutine prit en mains ces deux provinces, déclarées indépendantes et qui demandaient le secours de la Russie. Sans l’intervention du président Sarkozy, certainement décisive, les chars russes auraient pris Tbilissi.
L’OTAN ni aucune autre nation ne réagit militairement à ce coup de force qui s’appuyait sur les mêmes principes que ceux excipés à propos du Kosovo. Ils protestèrent alors violemment au nom des principes qu’ils avaient eux-mêmes violés neuf ans auparavant, mais évidemment sans succès.
En 2014 les Russes récupérèrent la Crimée, dont le port de Sébastopol, siège de leur Flotte de la Mer Noire, leur était vital. Cette province n’avait été cédée par Khrouchtchev à l’Ukraine qu’en 1955 dans le cadre d’une URSS triomphante et sûre d’elle-même. La Crimée n’avait jamais été ukrainienne puisqu’avant d’être devenue russe par la conquête de Catherine II, elle était ottomane depuis des siècles. Un referendum organisé par Moscou obtint une majorité écrasante pour son rattachement à la Russie, 85% de la population y étant russophone. La consultation avait été contrôlée sur place par des observateurs étrangers. Jurisprudence Kosovo toujours mais sans effusion de sang cette fois.
Simultanément des partisans séparatistes des deux provinces du Donbass en Ukraine déclenchaient une insurrection dans cette partie du pays très majoritairement peuplée de russophones. Moscou leur apporta un soutien direct, au nom des principes du Kosovo et envoyèrent même des « volontaires civils » appuyer les insurgés.
Les réactions de la « Communauté internationale » ne furent une nouvelle fois que de principe, occupée qu’elle était par des débats internes sybaritiques, et elle se cantonna aux grands principes de droit tel qu’elle le concevait pour les autres.
Des accords de cessez-le-feu furent signés à Minsk en 2014 puis 2020 qui disposaient que les deux soi-disant républiques du Donbass disposeraient d’une autonomie importante par rapport à Kiev, qui y autoriserait entre autres le russe comme langue officielle. Kiev refusa de ratifier ces accords mort-nés et le front se gela autour d’accrochages sporadiques et de tirs d’artillerie de harcèlement qui occasionnèrent des centaines, peut-être des milliers de tués (On parle de 14000 morts, chiffre absolument invérifiable, comme ceux de nombreux autres conflits).
Devant l’impuissance de la « Communauté internationale » à employer la force quand elle l’aurait dû selon ses propres critères, devant le « deux poids deux mesures » des jugements moraux portés sur l’action de la Russie restaurée dans sa puissance, Poutine comprit qu’il avait le champ libre et qu’au demeurant l’OTAN ne ferait pas tuer un soldat pour entraver son action dans son « étranger proche ».
Le 29 septembre 2015 le monde fut stupéfait des événements de Syrie. La Russie y frappa brusquement certaines positions islamistes de toute la puissance de ses missiles (y compris tirés de submersibles à la mer) et de ses avions d’arme. En quelques jours cette action renversa la situation qui prévalait à Damas dont le régime, à bout de souffle, fut sauvé. Non seulement Assad, épuisé, fut conforté, mais l’espoir changea de camp et aussi bien DAECH que les islamistes de toute sorte, y compris les soi-disant « modérés » se trouvèrent rapidement en infériorité, voire écrasés. En quelques semaines l’armée et la détermination russes avaient changé le cours de l’histoire. Avec de petits moyens (4000 hommes et moins de 50 avions), les Russes donnaient une leçon de stratégie appliquée aux Américains et à leurs alliés qui étaient engagés sur ce théâtre depuis quatre ans sans résultat décisif. Par ailleurs la marine russe revenait en Méditerranée de manière significative.
Militairement et donc diplomatiquement, la Russie était victorieusement de retour et démontrait de nouveau sa puissance et son intelligence de situation.
Enfin, la déconfiture absolue de l’évacuation de Kaboul par les Américains le 15 août 2021, avec l’abandon en rase campagne de l’armée afghane, d’un matériel énorme, de son gouvernement « démocratiquement élu » et de ses alliés otaniens ou non, finirent de convaincre Poutine que la puissance américaine n’était plus qu’une apparence et que leurs dirigeants étaient dénués du nerf de toute action : le courage, la détermination dans la vision de long terme et l’absence de crainte des pertes humaines.
La guerre en Ukraine
Au petit matin du 24 février 2022, le président russe passa outre les avertissements et les menaces de sanctions. Il savait qu’aucun soldat occidental ne viendrait verser son sang pour défendre Marioupol ou même Kiev et ne s’était pas laissé impressionner par les légitimes tentatives d’apaisement prodiguées par le président Macron qu’il humilia au travers d’un protocole digne de la Chine impériale du XVIIe siècle.
Après un discours d’une rare clarté il engagea ses forces sur trois directions stratégiques et avec trois buts concomitants, le centre de gravité du conflit se trouvant à Kiev.
Ses objectifs semblent les suivants :
-Détruire l’appareil militaire ukrainien en vue de « finlandiser » ultérieurement ce pays puisque l’OTAN et les Chancelleries occidentales refusent depuis des années de s’engager à ce que l’Ukraine ne rejoigne pas l’alliance.
-Soutenir les républiques séparatistes du Donbass, dont il a reconnu l’indépendance et qui l’ont « appelé à l’aide », légitimant ainsi en droit international cette intervention, selon une conception cette fois plus solide que la « jurisprudence Kosovo » appliquée jusqu’alors dans le Caucase et en Crimée.
-Enfin et surtout, défaire le pouvoir politique de M. Zelenski, dont il considère qu’il est issu des suites du « coup de force de Maïdan » de 2013, plus ou moins organisé par les services occidentaux.
Il promet également une « dénazification » de l’appareil politique ukrainien, s’appuyant sur le fait que certains des partisans de M. Zelenski appartiendraient à des groupes se réclamant de « l’extrême droite à sympathies nazies » (il y a là une contradiction quand on sait que M. Zelenski est lui-même juif). Ce dernier but sous-entendrait le projet d’une longue occupation du pays et d’une épuration de ses élites.
L’avenir ?
Comme le disait un auteur non dénué d’humour, « il est difficile de prévoir l’avenir, surtout quand il s’agit du futur ». Néanmoins on peut s’y risquer.
Nul doute que l’armée russe vaincra la résistance des forces militaires ukrainiennes car le déséquilibre est trop grand entre elles.
Il est encore trop tôt pour être certain que les buts politiques de Poutine seront atteints et qu’il réussira à installer un pouvoir à sa main en Ukraine, dont les sentiments antirusses ont explosé dans toute la partie du pays située à l’ouest du Dniepr.
Enfin il est probable que les « républiques populaires du Donbass » seront durablement détachées de l’Ukraine ne serait-ce que par le poids des Russophones en leur sein.
Quant à savoir si Poutine, qui pourrait bien avoir été saisi de paranoïa suite à ses succès et à la restauration de la puissance russe en vingt ans, n’a pas commis une erreur terrible et mal calculé les conséquences à long terme de cet énorme coup de force en plein continent européen, c’est une autre histoire.
Je pensais quant à moi qu’une invasion violant si outrageusement le droit international et les principes westphaliens et issus des traités post 1945 (que l’affaire du Kosovo violait tous également !) n’aurait pas lieu et qu’il se contenterait d’un appui militaire officiel aux provinces du Donbass en application du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Le coup de semonce me semblait suffisant pour réveiller nos chancelleries qui avaient oublié le tragique de l’histoire et la vertu de la force.
Ce n’est pas le cas et l’on est passé de la semonce au tir direct.
Poutine, homme d’Etat sans équivalent sur le continent depuis De Gaulle ou Thatcher, sera-t-il un nouveau tyran qu’il faudra un jour abattre au prix d’immenses souffrances, tel un Hitler, ou bien reprendra-t-il ses esprits ?
Ou bien encore, ayant gagné sur tous les plans, la sagesse le saisira-t-elle et se contentera-t-il d’assister aux renoncements d’une Europe désarmée, repentante, envahie de peuples allogènes qui la haïssent, qui se meurt de dénatalité et de consumérisme sans espoir ?
L’avenir le dira. Il a rarement été aussi incertain et peut se révéler très dangereux, voire mortel, si quelque affreux dérapage comme l’histoire en a connu se terminait en échange nucléaire.