IL FAUT DÉPLORER UNE DÉSHUMANISATION COMPLÈTE DANS L'OFFRE DE SOINS
Libéralisation des écoles de formation des sages-femmes, pléthore des effectifs, non-respect des normes… La sage-femme d’État Marième Fall passe en revue une profession dont les comportements de certaines actrices sont de plus en plus décriés
Pendant longtemps, la gynécologie-obstétrique a travaillé sur les trois retards causes de mortalités maternelle et néonatale au moment de la grossesse et de l’accouchement. Marième Fall, sage-femme d’État et ancienne présidente de l’Association nationale des sages-femmes d’État du Sénégal (Ansfes), rappelle que le premier est relatif à « la décision de la femme enceinte ou en travail d’aller consulter en cas de problème du fait qu’elle subit les décisions plus qu’elle ne les prend ». Le deuxième retard concerne « la disponibilité des moyens logistiques pour se rendre dans la structure sanitaire. Il s’y ajoute que l’itinéraire thérapeutique liée à la tradition et aux croyances impacte ce deuxième retard », ajoute Mme Fall, par ailleurs ancienne présidente de la Fédération des associations des sages-femmes de l’Afrique de l’Ouest et du Centre (Fasfaco). À son avis, le cas de la dame Astou Sokhna, décédée au Centre hospitalier régional de Louga, alors qu’elle y était pour accoucher, relève du troisième retard et qui a trait à la prise en charge à l’hôpital. En effet, cette parturiente est restée dans cet Établissement public de santé (Eps) pendant 20h (de 9h à 5h du matin). Plusieurs facteurs combinés sont à l’origine de ce drame, lance la sage-femme d’État Marième Fall. En effet, « il est à noter une négligence inacceptable de la part des soignants », déplore-t-elle. À cela s’ajoute « une déshumanisation complète dans l’offre de soins ». De l’avis de Marième Fall, « la sage-femme doit être empathique, elle doit offrir des soins bienveillants et disposer d’une compétence notoire des gestes qui sauvent des vies ». Elle ajoute que c’est aux responsables des structures d’apprécier les besoins en agents de santé qui doivent être affectés et d’assurer le renforcement continu des compétences de ces derniers. « Il faut aussi des supervisions formatives », préconise-t-elle.
Par ailleurs, Marième Fall souligne que « ne pas disposer d’une équipe complète de garde dans une maternité d’un hôpital régional reste inadmissible. Plus grave encore est « l’incapacité de détecter des signes d’alerte et d’en aviser son supérieur ». Il était impensable, où moment elle exerçait, de ne pas avoir une équipe complète de garde pour assurer le travail dans les maternités. « En plus de la sage-femme, l’équipe était constituée du médecin de spécialité en gynécologie, d’un interne des hôpitaux, d’un anesthésiste, de l’assistant du professeur agrégé et des gynécologues », souligne l’ancienne présidente de l’Ansfes qui fait constater que « maintenant on ne trouve, dans la plupart des maternités, que la sage-femme et le médecin de garde ». Et dans la majorité des cas, ce personnel est constitué de stagiaires, regrette-t-elle. « Ceci atteste de la dégradation de la chaîne de soins dans les structures sanitaires, particulièrement en maternité », estime Marième Fall. Toutefois, la sage-femme d’État se réjouit qu’à l’Institut d’hygiène sociale (ex-Polyclinique) et de l’hôpital Dalam Diam de Guédiawaye, on trouve encore des équipes complètes de garde. En outre, la sage-femme d’État et ancienne présidente de l’Ansfes et de la Fasfaco estime qu’il y a aujourd’hui « une carence dans la communication aidante qui permet de soulager la patiente, mais aussi les accompagnants et d’améliorer la relation interpersonnelle ».
Formation et incidents notés dans les maternités
Existe-t-il une corrélation entre ce qu’il s’est passé à Louga et la formation reçue par les sages-femmes ? Sur ce point, l’ancienne présidente de l’Association nationale des sages-femmes d’État du Sénégal est d’avis que la corrélation pourrait être faite entre la formation et les nombreux incidents notés dans les maternités. Marième Fall estime cependant qu’une évolution a été notée dans la formation. En effet du point de vue de leur admission, il faut maintenant avoir le Bac, suivi de trois années de formation ; contrairement aux premières professionnelles à qui on exigeait le Bfem+3. « Le contenu de la formation a aussi évolué », précise-t-elle, soulignant que c’est le curricula de l’Organisation ouest-africaine de la santé (Ooas) qui est appliqué dans tous les pays de la zone Cedeao.
Pléthore d’écoles de formation pas toutes aux normes
La sage-femme d’État Marième Fall regrette la libéralisation des écoles de formation des sages-femmes, avec une pléthore d’établissements qui ne respectent pas souvent les normes dans le profil des enseignants, le ratio étudiant/encadreur et la quasi inexistence de missions d’inspection. Ce faisant, l’ancienne présidente de l’Association nationale des sages-femmes d’État du Sénégal (Ansfes) estime nécessaire de « revoir le système de recrutement pour qu’il soit basé sur les compétences ». Elle plaide aussi pour qu’à chaque niveau, les responsabilités puissent être situées. Selon Marième Fall, le premier élément sur lequel il faut agir est le recrutement du personnel qui doit être basé sur « des tests techniques et psychologiques ».
Ensuite, elle est d’avis qu’il faut assurer le renforcement continu des capacités des compétences en cours. Elle estime aussi qu’il faut évaluer le travail fait et assurer le suivi de la performance des sages-femmes. Marième Fall milite également pour une « supervision régulière afin d’identifier les gaps et d’appréhender des solutions ». « Aujourd’hui il y a une pléthore d’écoles de formation de sages-femmes », dénonce-t-elle, soulignant que parmi ces instituts, « moins de 5% seulement sont reconnus par l’Anaq-Sup (Autorité nationale d’assurance qualité de l’enseignement supérieur, Ndlr) ».