REQUIEM POUR UN MASSACRE
Au Sénégal, en décembre 1944, plusieurs centaines de tirailleurs étaient massacrés à Thiaroye. Un documentaire revient sur cette tragédie jamais totalement éclaircie
On sait qu’ils ont été enterrés dans ce périmètre, mais où exactement ? « Qu’est-ce qui nous dit qu’on n’est pas en train de marcher sur eux ? » s’interroge, face à la caméra, le jeune comédien Babacar Dioh, qui a lui-même grandi à Thiaroye. Dans cette ville de la périphérie de Dakar, dont le nom est à la fois associé à la Seconde Guerre mondiale et aux crimes coloniaux, nul mausolée n’honore la mémoire des tirailleurs sacrifiés le 1er décembre 1944.
Dans « Thiaroye 44 », diffusé ce 14 mai sur France 24 (et qui sera repris en septembre sur TV5 Monde et Public Sénat), les réalisateurs Marie Thomas-Penette et François-Xavier Destors s’efforcent de ressusciter les tirailleurs de Thiaroye, après plus de soixante-dix-sept années de déni.
En cette fin de novembre 1944, plusieurs centaines de ces soldats africains, démobilisés après avoir été faits prisonniers de guerre en France, sont regroupés dans le camp militaire de Thiaroye, de retour vers leur pays natal. Les uns sont originaires du Sénégal, d’autres du Dahomey (l’actuel Bénin), du Soudan français (l’actuel Mali), de Côte d’Ivoire ou de Guinée. Le pays pour lequel ils ont combattu, lui, a fait abstraction des indemnités et des primes qui leur étaient dues.
Quand la grogne monte dans leurs rangs, la riposte française se fait sanglante. Le 1er décembre 1944, à l’aube, des soldats et des gendarmes français sous les ordres du général Marcel Dagnan ouvrent le feu sur les tirailleurs qui revendiquent leur solde. La terre de Thiaroye deviendra la fosse commune de ceux qui passent pour de dangereux mutins.
Questions sans réponse
Si l’événement est connu de longue date, des zones d’ombre demeurent. Deux questions, en particulier, restent non résolues : combien de tirailleurs ont trouvé la mort dans ce massacre et où leurs dépouilles ont-elles été enterrées – ou, plutôt, dissimulées sans recevoir de sépulture décente ?
En octobre 2014, en marge du sommet de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), à Dakar, François Hollande avait fait une halte au cimetière de Thiaroye pour y prononcer un discours qui se voulait symbolique. Le président français, dont les déclarations sont en partie reprises dans le film, célébrait tout à la fois la « mémoire glorieuse » et la « mémoire douloureuse » unissant la France à ses anciennes colonies. Au cœur de cette histoire commune, selon lui, une « dette de sang qui unit la France à plusieurs pays d’Afrique, dont le Sénégal ».
François Hollande reconnaît alors que « les événements qui ont eu lieu ici, en décembre 1944, sont tout simplement épouvantables, insupportables ». Or la France, assure-t-il, « se grandit chaque fois qu’elle est capable de porter un regard lucide sur son passé ». « La répression sanglante de Thiaroye » est alors évoquée explicitement. Faut-il y voir un virage dans le storytelling français ?
Déclic
Ce discours, aux paroles empreintes de noblesse, laisse imaginer un aggiornamento. Il provoquera un déclic chez les deux jeunes réalisateurs, qui décident alors de se lancer dans ce projet de documentaire. François Hollande n’avait-il pas promis qu’il remettrait au Sénégal les archives françaises sur Thiaroye ?
Pourtant, selon François-Xavier Destors, « François Hollande n’a rien fait par la suite. » « Qualifier ce massacre de ‘répression sanglante’ pose par ailleurs un problème, ajoute-t-il. Car, en France, la version d’une mutinerie trop sévèrement réprimée est toujours en vogue dans les milieux militaires, voire chez des historiens réputés. »