DIALAW PROJECT, LE DÉVELOPPEMENT EN QUESTIONS
EXCLUSIF SENEPLUS - Cette pièce à l'affiche au théâtre Monfort à Paris, du 21 au 25 juin dernier et mise en scène par Mikaël Serre, avec des textes de Hamidou Anne et Ian de Toffoli, offre plusieurs entrées
Dialaw Project était à l'affiche, au théâtre Monfort à Paris, du 21 au 25 juin.
Cette pièce mise en scène par Mikaël Serre, avec des textes de Hamidou Anne et Ian de Toffoli, offre plusieurs entrées.
Si on devait lui trouver un thème central, ce serait certainement, comme l'écrivent les auteurs : "la construction du port de Ndayane, projet de port titanesque vendu par les Emirats au gouvernement sénégalais, s'étendant de Dakar à Toubab Dialaw. Cette ancienne terre de la tragédie de l'esclavage, outragée par la colonialité, voit arriver une nouvelle menace qui porte cette fois le titre d'émergence, mot-valise d'un afro-capitalisme triomphant. Traces, mémoires, histoire, écologie, esthétique, poétique du vivant, Dialaw Project questionne le terme "développement" et le confronte aux récits des personnes vulnérabilisées par les choix politiques de quelques élites".
Au début de la représentation, la voix d'une Germaine Acogny, autant absente de la scène que présente dans la pièce, dit la nostalgie de cette terre de Toubab Dialaw, hier lieu de tous les espoirs et au début de l'aventure "École des sables", devenue un enjeu de pouvoir, une aire prise d'assaut par des marchands de rêves qui s'affranchissent d'un réel peuplé de corps en sursis et d'avenirs incertains.
Abdou, jeune technocrate à l'arrogance assumée, présente le Plan Sénégal Émergent à travers powerpoint et novlangue d'une idéologie dans laquelle n'ont d'importance que les termes infrastructures, croissance, startups etc.
Jean Claude, son acolyte, le reprend, lui donne les clés pour mieux vendre du rêve.
Tous les deux aiguisent un discours et exécutent un projet développementalistes, éléments moteurs d'un dogme hégémonique.
Deux jeunes de Toubab Dialaw apparaissent à l'écran. Ils racontent l'origine de cette contrée et étalent leurs divergences : l'un pense que le port apportera des choses positives telles que des emplois et des opportunités d'affaires alors que l'autre ne lui trouve que des inconvénients comme
la destruction du mode de vie des pêcheurs ou encore l'anéantissement de l'économie locale et des circuits courts qui la composent.
Puis, entre Germaine Acogny et Abdou, un dialogue s'installe : le développementalisme face à l'idée de protection des bassins de vie; l'enracinement sans enfermement face à l'ouverture tous azimuts, le souverainisme face à l'abolition des frontières, la quête d'authenticité face au culte de la mondialisation.
S'ensuit le monologue d'Elimane qui débute par son face à face avec un douanier à l'aéroport de Dakar voulant lui faire quitter le pays alors que je ne suis pas encore arrivé. Lui qui est sur les traces d'un père absent dont il apprend la mort là où il pensait l'avoir enfin trouvé, est confronté aux désillusions parfois inhérentes au voyage et aux ambiguïtés de l'aventure de l'accueil dans l'ailleurs désiré qui se révèle décevant.
Il est mis en face de sa propre fragilité et des contradictions vécues par les êtres qui, nulle part, ne sont chez eux : trop africains, trop noirs dans l'Occident de leur naissance et trop occidentaux, trop étrange(r)s dans l'Afrique de leurs racines.
Venu se recueillir sur la tombe de son père, Elimane partage la compagnie silencieuse des morts avec la dame blanche en pèlerinage dans la terre recouvrant un être qui lui est très cher. Jean Claude, bientôt assailli de doutes, et Abdou, son aveuglement insolent en bandoulière, les tirent de leur méditation. Ils apprennent de la bouche des agents du progrès que le cimetière est appelé à disparaître et qu'une tour va être érigée dessus.
Un dialogue ubuesque s'engage alors en plusieurs actes sur la foi, la croyance en Dieu et la déification du libéralisme, les interrogations existentielles sur le bien et le mal, la liberté face à l'oppression, la fin du monde contre la fin du mois, les limites du concept de développement, l'érection d'infrastructures contre la destruction des modes de vie, l'héritage de la colonisation avec notamment l'évocation du sabre d'El Hadj Oumar Tall comme métaphore d'une histoire empreinte de complexité, les conflits Afrique - Occident, blanc - noir, le visible et le caché, le procès de l'homme, l'absence/présence de la femme, l'écologie comme seule lueur à l'horizon... En effet, à défaut de résister au rouleau compresseur libéral et à la construction du port, il est question de "planter des arbres". Il s'agit de faire sa part, de mobiliser une armée de petites mains contre des esprits parfois brillants mais toujours atteints d'une folie des grandeurs destructrices.
Dialaw Project met ainsi en scène des visions du monde en conflit.
C'est aussi une histoire de quêtes d'identité; une histoire d'assignation de certains corps dans une géographie pendant que d'autres ont le loisir de se déplacer, de se mouvoir dans ces ailleurs dont les premiers rêvent.
Elimane transpose son mal être personnel dans un discours politique xénophobe.
Pendant que sur la plage de Dialaw on rêve de Paris.
L'adepte de la religion libérale, vaincu par ses doutes, pris d'un intérêt soudain pour le voyage, la vie, les racines, l'ailleurs, s'en prend à son ex complice et lui enjoint violemment de se taire, de taire ses envolées au service du capitalisme triomphant assaisonnées, de temps en temps, de petits éclairs de lucidité.
Voix de Germaine Acogny, bruit de bulldozers, monstres annonciateurs de malheurs, de destructions sous couvert de promesses d'avenir brillant.
Retour à l'interrogation sur le voyage concluant une réflexion plus large sur les visions du monde et la place de l'humain. Rideau.