FATOU NIANG, MEILLEURE ÉLÈVE DU SÉNÉGAL
À 17 ans, Fatou Niang, élève en 1ère S2 au Lycée d’excellence Mariama Ba de Gorée, est lauréate du Concours général 2022 en s’illustrant dans les matières littéraires. Issue d’une famille modeste, elle a vaincu les clichés et cru en son étoile
À 17 ans, Fatou Niang, élève en 1ère S2 au Lycée d’excellence Mariama Ba de Gorée, est lauréate du Concours général 2022 en s’illustrant dans les matières littéraires. Issue d’une famille modeste, elle a vaincu les clichés et cru en son étoile pour arracher sa part du destin. À l’heure où les premiers résultats du Bac sont en train de tomber, Bés bi dresse le portrait de la native de Missira Diné dans le département de Nioro.
« Comme je ne vous connaissais pas, lorsque vous m’avez contactée pour une interview, j’ai fait des recherches sur vous ». Timide au visage de môme, la voilée Fatou Niang n’en demeure pas moins curieuse. La meilleure élève du Concours général 2022 avance masquée, loin des regards indiscrets. Cette apprenante en classe de 1ère S2 au Lycée d’excellence Mariama Ba de Gorée vient de toucher l’Everest. Elle a repoussé les limites de ses capacités pour se hisser au sommet du panthéon.
Le 14 août prochain, devant le président de la République, Fatou Niang sera célébrée, ovationnée et portée en triomphe par le monde de l’éducation. « Les élèves des séries scientifiques ont encore cette année remporté la plupart des distinctions, y compris dans les disciplines des séries littéraires, aussi bien en première qu’en Terminale. Sur les 95 lauréats, 58 sont de la série S, soit 61,05% », a déclaré Mamadou Talla, ministre de l’Education nationale, le 25 juin dernier.
« J’adore le Latin et le Grec »
Si elle fait la série S, la jeune fille est plus brillante dans les matières littéraires. « Je me sens mieux dans les matières littéraires. J’adore le Latin et le Grec », lâche-t-elle baissant son masque anti-Covid. Alors que l’Etat du Sénégal est dans une campagne de promotion des séries scientifiques, Fatou Niang a développé un goût pour les romans, les contes de Dr Massamba Guèye ou la lecture tout court. Elle dévore les ouvrages de Aminata Sow Fall, Sembène Ousmane, Mariama Ba, Sokhna Benga, Boubacar Boris Diop, Souleymane Bachir Diagne… « Fatou Niang est travailleuse et disciplinée. Son mérite est d’autant plus grand qu’elle n’a pas eu de prix dans les matières scientifiques », témoigne Mme Dia, sa professeure en Latin et Grec. D’ailleurs, la jeune fille a émis le souhait de virer en Tle L pour l’année scolaire 2022-2023.
Assises sur les chaises d’un resto de la place, Fatou Niang et sa camarade de classe, Ndèye Fatou Ndiaye ne s’arrêtent plus de rire. D’un sourire d’enfant, bruyant et contagieux, le duo vit le jour dans la bonne ambiance. Vêtue d’un brodé magenta, Fatou Niang mélange nonchalance et timidité à l’image du débit lent de sa voix particulière et doucement roulée. Sa figure est marquée d’une certaine régularité. Elle est lisse comme celle d’une Vénus marmoréenne. « Je compte faire cet entretien avec mon masque Covid », lâche-t-elle apparemment impressionnée par le photographe. Son visage pâle et émacié traduit une insouciance qui est loin d’être un handicap à l’école.
Pour faire ce portrait, la jeune fille n’a pas voulu qu’on réalise l’entretien chez elle. « C’est une fille qui veut vivre à l’abri des regards », témoigne M. Diandy, son professeur de Lettres classiques. Mais cette consécration au Concours général l’a mise sous le feu des projecteurs. Malgré elle. « J’espère que vous n’allez pas mettre ce portrait à la Une de votre journal », sourit-elle sobrement. Fatou Niang a longtemps voulu passer inaperçue mais en 2016 lorsqu’elle a suivi les lauréats du Concours général, la jeune fille s’était dite prête à tenter sa chance un jour.
Pour elle, c’est une grande fierté de se mettre devant le président de la République. « En 2016, je faisais partie des 150 meilleures filles à l’entrée en 6ème et j’ai fait le concours de Mariama Ba et j’ai été classée 5ème intégrant la liste des 35 admises », rappelle-t-elle. C’est ainsi qu’elle intègre cette école située sur l’île, symbole de la traite des esclaves.
Née le 29 novembre 2004 à Missira Diné dans le Nioro du Rip, fief de l’Almamy Maba Diakhou Ba, Fatou Niang, issue d’une famille modeste, a vu sa vie prendre une nouvelle tournure lorsque le père Modou Niang, commerçant et sa mère Ndèye Arame Diaw sont venus s’installer aux Parcelles Assainies. Le pater est strict dans l’éducation et veille à ce que sa progéniture marche sur le droit chemin. « Mon père me dit tout le temps que dans la vie, il faut se battre. Il m’encourage tout le temps en me faisant savoir que dans la vie, il faut y croire et se donner à fond pour avoir ce que l’on veut. C’est ma plus grande source de motivation. Il ne me met pas de pression. Parfois, ma mère me demande de poser mes cahiers parce que j’étudie tout le temps », explique-t-elle.
« Youssou Ndour, ma référence »
Le chef de famille est bien aidé par la mère. Fatou Niang, aînée d’une fratrie de 4 bouts de bois de Dieu ne doit pas dévier, comme le veut la tradition sénégalaise car c’est l’aînée qui montre la voie, dit-on. Elle s’inspire d’un certain Youssou Ndour, exemple de réussite et du travail acharné pour sortir de la dèche. Elle dit : « J’écoute tout le temps Youssou Ndour. J’aime toutes ses chansons. Ces temps-ci, j’écoute son album avec Oumar Pène. J’aime beaucoup les morceaux Silmakha et Warougar. J’adore aussi les morceaux Let ma, mba nga firi ma, lima weesu, Serigne Mbacké Sokhna Lô… La musique de la nouvelle génération ne m’inspire pas grand-chose ». Mais Pourquoi une jeune fille de 17 ans préfère des musiciens de l’ancienne génération ? « Les messages véhiculés sont plus riches. La nouvelle génération de musiciens, on peut écouter et ne rien capter comme message », répond-elle.
Dans sa chambre, c’est une grande photo du leader vocal du Super Etoile qui est scotchée au mur. « Ma référence absolue, c’est Youssou Ndour », signale-t-elle. Un choix qui la pousse à rester cloisonnée dans un espace. Fatou Niang est très curieuse, passe des heures à faire des recherches. « J’aime la recherche. Ça occupe la plupart de mon temps », précise la jeune fille. Raison pour laquelle, elle est la présidente du Club de Génie en herbe du Lycée d’excellence Mariama Ba de Gorée. Mais la littérature occidentale ne lui dit pas grand-chose. « Je ne lis pas les auteurs français », coupe-t-elle.
Son Prof de Lettres classiques « Elle n’est pas prête à affronter le regard des autres »
Même chose pour le 7ème art : « Le cinéma que je regarde, c’est celui de Sembène, de Djibril Diop Mambéty, Moussa Sène Absa… » L’« Africanité » et la « Sénégalité » l’ont poussée à faire des recherches et écrire sur la langue Wolof : « J’écris en Wolof. Je ne l’étudie pas à l’école mais je fais des recherches sur ça. C’est la raison pour laquelle j’aime bien la télé Itv qui écrit ses éditions en wolof ». D’ailleurs, elle passe de temps en temps à la Maison du patrimoine et de l’oralité Kër Leyti de Dr Massamba Guèye.
Mais il y a cette ambition de vouloir franchir quelques obstacles. « Elle est crispée quand elle a une mauvaise note », relève M. Diandy. Ndèye Fatou Ndiaye enchaîne : « Fatou Niang stresse vite lorsqu’on prépare des devoirs et des compositions même si ça ne l’empêche pas d’avoir de bonnes notes ». Ces deux attitudes sont résumées par le professeur de Lettres classiques. « Fatou a une faiblesse psychologique : elle n’a pas la force devant un public de tenir un discours. Elle risque de trembler. Psychologiquement, elle n’est pas prête à affronter le regard des autres », soutient-il. Le 14 août prochain, elle sera au Grand théâtre national et va entrer définitivement dans l’histoire. Bon gré mal gré.