LA LENTE DESCENTE AUX ENFERS DE L’UCAD
GRÈVES, CASSES, SACS, CAMPUS EN DÉCRÉPITUDE, INTÉGRISMES POLITICO-CONFESSIONNELS…

Telle une éternelle rengaine, les étudiantes des différentes universités publiques du Sénégal ont encore sacrifié à une peu honorable tradition : déclencher des actions de grève à la fin de l’année. Dans le sombre dessein de prolonger leurs vacances de quelques jours. Au prix de violences aussi inouïes que futiles. Les réflexes de casse et la contestation se mêlent de manière fusionnelle chez eux, comme si l’un ne pouvait exister et se déployer sans l’autre. Hors si la contestation est légitime, normale, souhaitable et productive, la casse l’est moins, parce que destructive et contreproductive.
Il semble bien- et c’est dommage- que la contestation estudiantine ne se crédibilise et se légitime que dans la violence et la casse. Ce choix porté sur l’épreuve de force, à tout à prix, est méprisable. Comme l’ont été le sac du rectorat, la calcination des bus de transports publics, la destruction des véhicules de particuliers, la lapidation du personnel administratif, la terreur exercée sur les professeurs.
Lors des journées nationales de concertation sur l’avenir de l’enseignement supérieur, le climat de peur et la psychose de la violence constituaient entre autres, les terribles angoisses des acteurs, parmi lesquels des étudiants eux-mêmes. Récemment dans les radios et certaines chaînes de TV, qui n’a pas ressenti un goût amer et une triste sensation en entendant un des responsables d’étudiant, se glorifier d’avoir «caillaissé» le rectorat et contraint à la fuite des policiers chargés de rétablir l’ordre, au détriment, il est vrai, de la franchise universitaire ? Mais y a-t-il une logique réglementaire qui limite l’accès des policiers dans l’enceinte universitaire et une autre laxiste et dangereuse qui permet aux étudiants de saccager tout leur passage, attentant même à la vie de paisibles citoyens ?
Une nécessaire police universitaire
Le Premier ministre est bien inspiré de poser le débat sur la nécessité de mettre en place une police universitaire chargée d’assurer la sécurité dans cet espace et la pérennité des enseignements, la vraie raison d’être des cours. Avec bien évidemment, leurs finalités éducatives, scientifiques et techniques. Les universités ne peuvent avoir d’autres vocations que celles-là.
Il est vrai qu’au préalable, l’État et les autorités académiques devraient s’acquitter convenablement de leurs engagements, dont le moindre est le paiement à temps des bourses et la résolution rapide des lancinantes difficultés des campus sociaux et académiques. C’est cette diligence responsable qui imposera son respect chez les enseignants, étudiants, parents, partenaires techniques, scientifiques et sociaux. A défaut, l’État prendrait le risque d’être lui-même le soubassement des violences.
Les syndicats d’enseignants opposent à l’État les mêmes reproches et déroulent une autre forme de violence plus pernicieuse, la grève. Ses effets immatériels, sont à la longue plus redoutables encore que la violence physique que les étudiants cherchent à imposer comme unique moyen de contestation. La récurrence des problèmes et autres difficultés que soulèvent professeurs, étudiants, chercheurs et personnels administratifs incite à faire croire que l’État ne les prend pas suffisamment en charge.
C’est certainement partiellement vrai, car on a du mal à croire que les gouvernements successifs, depuis l’indépendance à nos jours, aient eu toujours pour souci d’accorder la priorité à ce creuset des savoirs et incubateur de vie. Les universités publiques constituent le poumon par lequel respire un pays, car leur souffle irrigue encore, nos vécus, nos savoirs, savoir-faire, savoir-être et savoir devenir.
Irresponsabilité séculaire
Cependant, personne ne peut se suffire de l’évocation de l’irresponsabilité, malheureusement séculaire, de nos dirigeants, pour justifier d’une façon ou d’autre, celles des étudiants d’aujourd’hui. Notamment ceux qui semblent se complaire dans la contestation formelle, pour ruiner les chances de plusieurs générations d’accéder dans les meilleures conditions au savoir et au savoir-faire. A moins de procéder comme aux Etats-Unis, en privatisant les universités, il n’y a aucun moyen de satisfaire totalement les revendications estudiantines.
Les enjeux, les attentes sont protéiformes et d’une complexité telle que seul un système mixte mettant en parallèle les deux systèmes, peut en limiter les dégâts. Ceux qui justifient que des moyens conséquents seront de plus en plus portés à supporter leurs charges d’enseignement de qualité à l’intérieur ou l’extérieur du Sénégal. Ceux qui sont moins fortunés, auront néanmoins droit à un enseignement de qualité dans le service public de l’éducation, avec en toile de fond toutes les limites et les contraintes de l’État.
La marchandisation des enseignements est devenue une réalité depuis 20 ans déjà en Europe. Et depuis plus longtemps encore aux Etats-Unis. Elle se manifeste ouvertement en Afrique et au Sénégal où l’accès à une éducation de qualité devient consubstantiellement lié à la situation sociale, pour ne pas dire de classe. Ceci n’est pas dit pour réveiller la vieille théorie de la lutte des classes. Mais passé, la période de démocratie censitaire, à l’instar de la France, le Sénégal avait depuis les années 60 tiré tous les profits du «collège unique», avec une égale chance d’accès à une école gratuite, une carte scolaire équitable et démocratique. Même avec un contenu d’enseignement extraverti.
Aujourd’hui, aussi bien en France qu’au Sénégal, il en est autrement. L’école et l’université particulièrement donne a tendance à reconstituer le renouvellement des classes. A quelques exceptions près, car des brillantissimes enfants issus des classes moyennes et pauvres, ont aussi des chances de réussir leurs études et leur insertion sociale, grâce aux bourses d’excellence et à des politiques de discrimination positive ou de genre.
Les méfaits de l’ajustement structurel
Il y a de fortes chances que dans les universités publiques se retrouvent, les étudiants issus de familles moins aisées. Depuis, les politiques d’ajustement structurel des années 80 ont laminé les capacités financières des pays en développement comme le nôtre, les universités publiques sont devenues des déserts sociaux et académiques. Depuis les années 90, l’enseignement privé supérieur reprend du poil de la bête, et concentre sur lui au moins 40 % des effectifs (avec 175 établissements dont 135 à Dakar).
Dans dix ans, ce ratio sera complètement inversé avec le risque que certaines structures privées deviennent des ghettos pour étudiants pauvres, faute d’un enseignement de qualité et d’exigences académiques, de modernité, conséquentes. L’État sentira donc moins de responsabilité politique, tenté qu’il est de transférer son rôle aux structures académiques, promoteurs privés, entreprises et employeurs. C’est tout l’esprit des concertations d’avril dernier et l’éparpillement des structures universitaires publiques, la création d’agences d’évaluation et d’accréditation, ne seront au plus que des mesures d’accompagnement de la marchandisation rampante de l’enseignement.
Les universités publiques risquent de payer le prix fort de ce désengagement de l’État, en dépit des immenses ressources financières annoncées pour être investies dans l’enseignement. Il est donc temps que les étudiants prennent la mesure de leur responsabilité et des risques qu’ils encourent à décrédibiliser l’institution universitaire, qui apparaîtrait à la longue comme un repaire de contestataires professionnels, creuset de tous les dérapages confessionnels, politiques, sociaux.
Il ne s’agit point de baisser le pavillon de la contestation. Ni de cesser de revendiquer. Mais de s’engager avec l’État dans un pacte de gestion publique de l’espace universitaire aux plans social et académique. Il y a une grande urgence à sortir les universités publiques de cette sorte de misérabilisme inhibant dans lequel elles s’enfoncent de jour en jour au point de devenir si répugnantes. Il urge de placer de nouvelles digues académiques et sociales pour débarrasser l’espace universitaire de ces intégrismes de toutes sortes et qui donnent à l’étudiant, cette désastreuse image d’Epinal de contestataire professionnel.
L’université de Saint-Louis a posé les prémisses d’une modernisation prospective. Mais, elle cède de temps à autre à des réflexes de mauvais goût inspirés de l’Ucad. L’université de Dakar, source de lumière qui a illuminé l’Afrique et le monde, glisse doucement vers l’indigence, économique, morale et intellectuelle. Elle perd ses meilleurs professeurs, ses meilleurs étudiants et sa valeureuse réputation et sa notoriété. A preuve, la meilleure université d’Afrique noire n’est pas plus l’Ucad ou l’Université du Benin jadis quartier latin de l’Aoef. C’est une certaine business school, nommée Bordeaux School Management (BEM), qui occupe le haut du pavé. Même si le risque d’une comparaison entre le public et privé paraît hasardeux. Mais à l’enseignement comme à la monnaie, l’image est déterminante dans la survie.
Sans qu’on n’y prenne garde, l’Ucad a amorcé sa lente descente aux enfers. Aux étudiants d’abord, premiers clients de cette institution, d’en prendre conscience.