PRESIDENTIELLE DE 2024, LE TEMPS DES INCERTITUDES
La particularité de ce scrutin réside dans le fait que l’actuel titulaire du poste n’y participera pas, et que le principal opposant susceptible de remporter l’élection, est menacé de ne pas y prendre part si l’on s’en tient aux diverses péripéties...
Dans trois mois, le Sénégal va entrer dans une période d’incertitudes du fait de l’élection présidentielle de février 2024. La particularité de ce scrutin réside dans le fait que l’actuel titulaire du poste n’y participera pas, et que le principal opposant susceptible de remporter l’élection, est menacé de ne pas y prendre part si l’on s’en tient aux diverses péripéties judiciaires par lesquelles on le fait passer.
Cette situation inédite au plan politique est grosse d’une confusion qui aura des répercussions sur la configuration politique d’après-élection.
Les déclarations de candidature sortent de partout, donnant le sentiment que, pour les candidats à la candidature, les exigences du poste de président de la République sont désormais à la portée de tout un chacun, et que disposer d’un appareil politique est accessoire.
Quelles sont les causes qui sous-tendent ce regain d’intérêt pour cette fonction éminente ? Cette fin de présidence de Macky Sall s’accompagne d’une sortie de course d’une génération septuagénaire, voire octogénaire, présente sur le champ politique depuis Senghor.
Certains d’entre ses symboles comme Mamadou Diop Decroix sont d’ailleurs une nouvelle fois candidats à la candidature, prouvant ainsi une volonté de rester encore dans le jeu politique.
D’autres se sont rangés, lors du Dialogue national, derrière le président Macky Sall et, dès lors, sont plus enclins à soutenir le candidat de la continuité Amadou Ba.
S’il est vrai que l’on a l’âge de ses artères, il demeure que la distribution de la population du pays est largement en défaveur du maintien actif de ces « septuas » et « octos » dans la foire d’empoigne qu’est devenue la politique dans notre pays.
Pour ceux qui seraient tentés, sur ce plan, de convoquer la longévité politique de l’ancien président de la République Abdoulaye Wade, il faudrait rappeler le caractère exceptionnel de sa venue au pouvoir, à un moment où il avait décidé de se retirer de la compétition électorale.
La petite histoire raconte qu’Abdoulaye Bathily et Amath Dansoko avaient dû aller à Paris le convaincre de venir récupérer un pouvoir à portée de main, et qu’Idrissa Seck avait inventé la marche bleue pour contourner la pénurie de moyens de campagne.
Pour en revenir à la présidentielle de février prochain, le camp du pouvoir est divisé comme le prouve amplement le maintien des candidatures de ténors de l’APR. L’opposition regroupée dans Yewwi Askan Wi, quant à elle, est dans une situation délicate.
Lui faudrait-il, par solidarité, boycotter l’élection à venir en cas d’élimination définitive de Sonko, figure de proue de la coalition ? Ou alors songerait-elle à capter les voies du Pastef au profit d’un éventuel plan B ?
La présentation simultanée de plusieurs candidatures à l’élection présidentielle était certes convenue dès le départ, et il n’est donc pas anormal de retrouver Habib Sy, Déthié Fall, Aïda Mbodj, Cheikh Tidiane Dièye etc. dans le lot des aspirants à la candidature.
En toutes hypothèses, l’activité des leaders de cette coalition semble davantage orientée vers la recherche de parrains plutôt qu’axée sur des manifestations pour la libération de Sonko et son inclusion dans les consultations à venir.
Le PASTEF sans Ousmane Sonko a un horizon assez trouble. Faudrait-il préparer ou non un plan B ? Cette hypothèse ne semble pas exclue totalement des analyses de certains responsables de ce parti qui se sont exprimés publiquement sur cette question.
Autre particularité notée dans le landernau des candidats: on ne note pas encore de formulation de programme économique. On pourrait donc se demander sur quels arguments ils comptent se baser pour obtenir des suffrages à même de leur permettre de diriger le pays.
Pour être un président de la République, il faut d’abord une vision déclinée en plans et programmes étalés dans un temps précis. La Vision attendue par les populations est celle d’un avenir meilleur, tendu vers un bien-être collectif
Pour les jeunes, qui constituent l’essentiel de la population, ce bien-être passe par le règlement de l’épineuse question de l’emploi, la progression du pouvoir d’achat pour les populations.
La quantité et la qualité des emplois pour les jeunes sont dépendantes du développement de l’agriculture dont la période d’activités est de trois voire 4 mois durant la saison des pluies, de la création et du renforcement d’une industrie performante et compétitive pour attaquer les marchés export, d’où la nécessité d’un modèle économique de substitution à celui adossé aux rentes issues de l’exportation brute de matières premières mal rémunérées et en proie aux spéculations des marchés boursiers internationaux.
Au-delà des investissements infrastructurels, le maître mot du développement de l’agriculture et de l’industrie est bien entendu la compétitivité. Les problématiques posées sont celles de savoir les réformes à mettre en œuvre pour produire aux meilleurs coûts des produits agro-industriels et industriels susceptibles de concurrencer ceux des entreprises chinoises et indiennes entre autres.
Où trouver les financements nécessaires aux investissements en capital matériel et humain ? Faudrait-il s’en remettre totalement à l’investissement direct étranger dépourvu d’apport en know-how apte à faire faire au pays des bonds technologiques ?
Le bien-être des populations, à relier à l’amélioration de leur pouvoir d’achat, dépend du rythme et du volume de la croissance de l’économie, et surtout de la politique redistributive au profit des populations.
De ce point de vue, l’utilisation à bon escient des ressources du budget devrait permettre de pourvoir aux besoins essentiels des populations dont le pouvoir d’achat est agressé par la hausse du coût des produits alimentaires, de l’électricité, des soins de santé et produits pharmaceutiques etc. Sans compter la hausse exponentielle des loyers.
Autre grande source de préoccupation pour tout président de la République : l’endettement public qui suit une courbe fortement ascendante. Selon le FMI, « La dette publique est estimée à 75 % du PIB, dont 67,5 % pour le gouvernement central. Le déficit des comptes courants s’est considérablement creusé en raison principalement de l’augmentation des factures d’importations. Les premiers signes d’un resserrement des conditions de financement sur le marché régional des titres publics appellent à la vigilance et à l’élaboration d’un plan de contingence ».
Dans ce contexte, l’institution financière de Washington prône « l’amélioration de la mobilisation des recettes fiscales et la rationalisation des dépenses publiques non prioritaires afin d’atténuer les pressions financières, tout en préservant la viabilité de la dette ». Les budgets publics sont lourdement lestés par le remboursement de la dette, en principal et intérêts.
Endettement public : le Sénégal en mode course-poursuite depuis l’indépendance !
Lorsque les montants empruntés ne sont pas utilisés de sorte à générer des capacités de remboursement correspondantes, cela déséquilibre les budgets et entraîne du surendettement, puisqu’on est obligé soit de demander la restructuration de la dette, soit de s’endetter à nouveau « pour payer la dette » ; ce phénomène de cavalerie financière a été constaté au Sénégal sur les eurobonds. En conclusion sur l’endettement public, il faut rappeler que depuis l’indépendance, le Sénégal est en mode « course/poursuite ».
Par le passé, lorsque l’endettement émettait des signaux d’alerte basés sur l’évolution du ratio « Endettement/PIB », et que les capacités budgétaires s’amenuisaient, le système était quasiment « réinitialisé » par des abandons de dettes, ou des réaménagements d’échéanciers de remboursements.
Aujourd’hui, l’endettement public est un phénomène mondial ; on note des ratios d’endettement dépassant les 100% du PIB aux USA, mais aussi en France, entraînant l’utilisation de la « planche à billets » et le maniement des taux d’emprunts obligataires par les banques centrales (via les taux directeurs) pour soulager les budgets publics.
Au regard de ce contexte, l’heure n’est plus pour les institutions financières internationales et les créanciers privés à envisager des initiatives du genre PPTE, mais plutôt à recouvrer les sommes dues.
Privés de planche à billets et faute de trouver des sources de financement à taux concessionnels (entre 0 et 1% de taux d’intérêt) et même difficilement des ressources financières du marché obligataire international (10%), il faudrait s’attendre à court terme à un recours de nos pays au FMI, comme ce fût le cas lors de la période de l’ajustement structurel des années 80.
Si d’aventure on était tenté de compter sur une capacité propre d’emprunt additionnelle permise par les revenus du gaz et pétrole, il faudrait savoir que les réflexions engagées au niveau des institutions financières internationales ne vont pas dans cette direction.
La directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, et Akinwumi Adesina, président de la BAD, ont conclu, lors d’un récent entretien, que « les prêts aux Etats adossés aux ressources naturelles sont non transparents, coûteux et de plus rendent difficile le règlement de la dette. Si la tendance se poursuivait, ce serait un désastre pour l’Afrique ».
Ils prévoient par conséquent de « parler d’une voix forte pour dire aux pays de ne pas ouvrir des voies à des prêts prédateurs et asservissants ».
Ce point de vue ne nous semble point évident non seulement parce qu’il met à mal le principe de souveraineté des Etats, mais surtout en ce qu’il met en doute la capacité des Etats à rembourser de leur propre chef, comme si ces prêts avaient pour finalité de financer des activités sans retour en termes de revenus.
A l’endettement public se rajoute la problématique de la transition climatique en Afrique dont l’effet majeur est de fermer à terme la porte aux énergies fossiles, en particulier à l’exploitation du charbon et du pétrole.
La raison avancée par l’institution financière est la suivante : « Bien que l’Afrique subsaharienne soit la région du monde qui contribue le moins aux émissions mondiales de gaz à effet de serre, elle est la plus vulnérable face aux chocs climatiques »
« En outre, la demande d’énergie devrait augmenter fortement dans la région au cours des prochaines décennies. Suivre les mêmes sentiers de développement à forte intensité en carbone que ceux empruntés par d’autres économies risque de porter atteinte à l’effort mondial entrepris pour endiguer le réchauffement climatique » (FMI, 2021) .
Or, les investissements nécessaires à assurer une transition vers les énergies vertes sont réputés lourds
C’est pourquoi, dans une note sur les « perspectives économiques en Afrique subsaharienne », le FMI évoque la solution d’un financement « concessionnel » de l’action climatique en Afrique subsaharienne.
Faudrait-il alors s’attendre, à court terme, à un afflux de ressources financières longues vers l’Afrique pour assurer la transition mais également compenser les ressources pétrolières attendues du pétrole dont on serait amené à abandonner progressivement l’exploitation alors que les premiers barils sont escomptés en 2024 ?
Rien n’est moins sûr si l’on en croit Carlos Lopes, président de la Fondation pour le Climat en Afrique, qui informe que l’Afrique ne reçoit pour l’instant que 2 % des investissements dans le monde pour les énergies renouvelables.